Dans la matinée du 1er octobre 1990, le FPR-Inkotanyi attaqua le poste-frontière de Kagitumba entre le Rwanda et l’Ouganda. Cette attaque marqua le début d’une guerre qui finira par embraser toute la région des grands lacs africains et qui dure depuis 30 ans.
Officiellement, cette guerre avait pour objectif essentiel le retour au pays des réfugiés qui avaient fui le Rwanda pendant la période révolutionnaire de 1959 -1962 et dans des années qui ont suivi. Pour sa propagande, le FPR publia un programme politique consistant en 8 points qui devaient constituer la base de sa politique gouvernementale.
La guerre de 1990
Peu après le début de la guerre, le gouvernement rwandais entama des négociations avec le FPR afin de trouver un accord politique au conflit. Les négociations se sont soldées par les accords d’Arusha signés le 04 août 1993 à Arusha en Tanzanie. L’ironie de l’histoire a voulu que ces accords soient signés par Juvénal Habyarimana pour le gouvernement rwandais et Alexis Kanyarengwe pour le FPR, deux « camarades du 5 juillet », respectivement numéro 1 et 2 du « Comité pour la paix et l’unité nationale » qui renversa le président Grégoire Kayibanda le 05 juillet 1973.
Aux termes de ces accords, un gouvernement de transition à base élargie (GTBE) associant les partis intérieurs et le FPR devait être mis en place. Ce gouvernement avait pour mandat de mener une transition de 22 mois jusqu’aux élections générales, organiser le retour des réfugiés et l’intégration de l’APR, la branche armée du FPR, dans l’armée nationale.
Malheureusement pour les Rwandais, les accords de paix n’ont jamais été appliqués. Le gouvernement et le parlement de transition ne sont jamais entrés en fonction à cause des blocages dus à la mauvaise volonté de politiciens de tout bord. Le FPR et ses alliés intérieurs ont usé de toutes sortes de manœuvres dilatoires pour retarder la mise en place des institutions tout en préparant l’assaut final pour la prise du pouvoir.
Le 06 avril 1994, le FPR abattit l’avion du président Juvénal Habyarimana, déclenchant ainsi la reprise de la guerre. Cette guerre qui allait devenir une des catastrophes majeures humanitaires du 20ème siècle a été marquée par des crimes de génocide, des contre l’humanité et des crimes de guerre dirigés contre la population rwandaise dans son ensemble. Dans les zones contrôlées par le gouvernement de l’époque, les massacres ont visé surtout les Tutsi traqués dans leur ensemble et les sympathisants avérés ou supposés de l’opposition alors que dans les zones sous contrôle du FPR, les massacres visaient surtout les civils hutu.
Actuellement, la qualification officielle officielle admise au Rwanda pour ces événements est la la qualification de génocide contre les Tutsi et toute autre discussion est interdite sous peine de finir en prison pour de nombreuses années pour révisionnisme ou minimisation du génocide. L’histoire complète de ce qui est arrivé aux Rwandais en 1994 reste encore à écrire et tant de victimes et survivants attendent encore que justice leur soit rendue.
En Juillet 1994, le FPR a pris le contrôle de la quasi-totalité du pays, exception faite des préfectures de Gikongoro, Kibuye et Cyangugu alors en « zone Turquoise », c’est-à-dire sous contrôle de l’armée française. Après la prise de Kigali, le FPR déclara unilatéralement un cessez-le-feu.
Le FPR ayant gagné le conflit armé et pris le contrôle de l’Etat, il avait la responsabilité de faire revivre ce dernier. Un gouvernement de transition dominé par le FPR a été mis en place le 19 juillet 1994. Ce gouvernement était constitué sur la base du GTBE prévu par les accords d’Arusha, à l’exclusion des partis MRND et CDR, dont les postes ont été occupés par le FPR.
Le choix de la paix
L’histoire humaine peut être considérée comme une succession de guerres, et l’un des enseignements qu’on peut en tirer est qu’il est facile de commencer une guerre, difficile de la gagner et encore plus difficile de faire la paix, mais aussi que la paix ou la guerre sont toujours des choix politiques.
Une des voies pour mettre fin à une guerre est d’associer l’ennemi battu à l’établissement de la paix. L’exemple typique en est le congrès de Vienne (1815) qui mit fin aux guerres Napoléoniennes et fonda l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Les contre-exemples sont aussi nombreux : le traité de Versailles imposé aux vaincus de la Première Guerre mondiale conduiront directement à la seconde guerre mondiale ; plus proches de nous, les guerres d’Irak, d’Afghanistan etc.
Après la Seconde Guerre mondiale, les vainqueurs, qui avaient appris les leçons de la Première, ont associé les Allemands et les Japonais à la reconstruction malgré tout ce qui s’était passé et le fait qu’ils venaient de subir une défaite totale.
Une autre voie pour terminer une guerre est le compromis issu de négociations. Elle n’est praticable que si les belligérants renoncent à la victoire totale: chacun y gagne et y perd. Aucun n’atteint totalement ses objectifs. Autrement dit: chaque partie considère qu’elle a gagné assez ou qu’elle pourrait perdre davantage, pour arrêter ou suspendre le conflit. La voie du compromis étant la seule voie possible pour mettre fin à une guerre intra étatique.
Mais le compromis est un art difficile. Il est plus facile d’arriver à un compromis lorsqu’on se bat pour des intérêts calculables, cela devient plus compliqué lorsque le conflit se situe au niveau des identités mêmes des protagonistes comme c’est le cas au Rwanda. Mais malgré les difficultés, l’histoire nous apprend que dans une guerre civile, les choix sont limités entre le compromis et l’anéantissement total de l’adversaire. Le compromis est plus facile à atteindre lorsqu’il fait partie de la culture politique d’un pays, où l’on considère qu’une entente, même boiteuse, est préférée à une domination coûteuse. Malheureusement, l’histoire et la culture politique du Rwanda ne poussent pas à l’optimisme sur ce point.
« Pax FPRiana » ou la guerre sans fin
Le FPR ayant dirigé le Rwanda depuis 26 ans, il ne peut plus être jugé sur ses intentions mais plutôt sur ses actes. Si on examine la situation actuelle en rapport avec les huit points de son propre programme du FPR, dire que c’est un échec serait un euphémisme.
- Le pays est plus divisé que jamais ;
- La souveraineté nationale est foulée au pied ;
- En matière de gouvernance, le Rwanda est passé d’un parti-Etat à un Etat-garnison ;
- L’économie du pays est en lambeaux ;
- La corruption et le népotisme dépassent l’entendement, l’ « Agatsiko » a remplacé l’ « Akazu » ;
- Le Rwanda fait partie du dernier carré des pays sur le World happiness index ;
- Le Rwanda compte actuellement plus de réfugiés qu’en 1990. Même des réfugiés de 1959 sont rentrés puis ont repris le chemin de l’exil ;
- Le gouvernement rwandais mène une guerre larvée contre sa propre population et en même temps une guerre plus ou moins froide contre ses quatre voisins.
La question qui se pose alors est de savoir si cette situation de faillite généralisée est vraiment due à l’incompétence d’un FPR de bonne volonté ou si elle est voulue et constitue sa politique-même.
Sur la question de la paix, qui est la plus importante de toutes, la volonté de garder le pays dans un état de guerre latente est aujourd’hui indiscutable. En examinant de près les actions ou les discours du régime rwandais, il se comporte lui-même comme si le pays était en guerre. Un indice simple à observer est la mainmise des structures militaires sur l’administration civile du pays. Il n’y a pas une administration publique où l’on ne trouve un militaire dans un poste de direction ou de conseiller. Normalement, le seul moment où l’administration militaire devrait être visible dans un pays est quand le pays se trouve en état de guerre. Or, au Rwanda, même une réunion d’une coopérative quelconque de paysans dans le coin le plus reculé du pays ne peut se tenir sans la présence du responsable des services de sécurité ou même du commandant militaire local.
Mais puisqu’aucun pays étranger n’a déclaré la guerre au Rwanda, contre qui le régime est-il en guerre, sinon sa population ?
Que faire?
Le FPR a fait le choix de mener une guerre d’usure à la population rwandaise pour se maintenir au pouvoir. Mais si on peut affirmer sans trop de risque qu’il finira par la perdre, les Rwandais ne peuvent pas se contenter d’attendre et laisser faire le temps. Le pays vit actuellement une période de désordre caractéristique de situations prérévolutionnaires et si rien n’est fait pour diminuer la tension, et au vu des rancœurs accumulées ces dernières années et des nombreuses contradictions qui traversent la société rwandaise, la situation peut vite dégénérer et devenir incontrôlable à la moindre étincelle.
Des initiatives politiques se mettent en place pour rassembler l’opposition en exil et appeler le FPR au dialogue et à la raison. Plusieurs voix se font entendre à l’intérieur pour dénoncer les injustices et la mauvaise gestion, mais le FPR continue à faire la sourde oreille et à faire comme si de rien n’était.
Les Rwandais viennent de vivre 30 années de guerre sous une forme ou une autre, certains sont sur le chemin de l’exil depuis 1990. La sagesse rwandaise dit que « Nta joro ridacya! » pour dire qu’aussi longue que soit la nuit, le jour finit toujours par se lever. Mais après 30 années d’une nuit sans fin, il est temps que tous les Rwandais de bonne volonté se mettent ensemble pour dissiper le brouillard qui empêche l’avènement d’un jour nouveau au pays des milles collines.
Rugamba Luc
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