Il était une fois un pays à mille vallées et à mille collines. Tout le monde parlait de pays à mille collines car personne n’osait parler des mille vallées.
Non personne !
Et pourtant un vieux venant de ce coin là me fit une confidence qu’il me livra sous serment car me disait-il, il fallait que je jure de tenir ces propos comme un secret toute ma vie durant.
Il n’avait pas hésité d’ajouter que si jamais le secret venait à échapper à ma langue et sortir de
ma bouche, je verrai ma tête aussitôt décapitée.
Avec une assurance insolite, de sa voix grave et claire le vieux me demanda d’un ton sec, ne manifestant aucune colère « voulez-vous oui ou non connaître le secret ? »
Ma curiosité étant de naissance et bien que, mesurant le poids que ce secret pèserait sur moi toute la vie, j’acquiesçai sans la moindre hésitation.
Pour paraître encore plus sur de moi j’ajoutai avec force « absolument, absolument comme si le fait de le dire deux fois me donner une assurance plus substantielle.
Il se leva, fit 2 pas vers l’arrière, comme pour se distancer de moi. Il prit alors une attitude assez réservée et me dit « Vous n’êtes plus un enfant aujourd’hui, vous devez connaître la vérité, je ne veux pas mourir avec ce secret.
Vous devez donc savoir que si dans ce pays personne ne parle de vallée c’est que dans une des vallées se cache un diable redoutable qui terrorise, hante et tue celui qui ose s’y aventurer. Toutes les personnes qui s’y sont aventurées se sont fait dévorées crues par ce diable impitoyable.
– Alors comment avez-vous pu savoir que le diable existe et dans quelle vallée il habite si personne n’y est jamais revenue ?
Il leva les yeux au ciel, les cligna quelques secondes et regarda alors droit dans les miens et me dit : Eh bien ! La seule personne qui y soit revenue c’est moi.
– Mais comment avez-vous fait pour lui échapper ?
– Eh ! bien je me suis battu avec le diable, son cœur battait très fort, gonflait de plusieurs centimètres et sortait de son corps, alors je l’ai saisi d’un mouvement de bras rapide avec l’idée de le lui arracher car me disais-je, si je réussissais à lui arracher le cœur alors il mourrait pour toujours. Ce n’est pas ce qui est arrivé.
En un clin d’œil il m’a arraché mon bras. Mon fils je suis sans bras. Vous ne l’aviez pas remarqué n’est-ce-pas ? Je porte un bras en caoutchouc mais personne ici ne le sait. Il me le montra en le détachant de son moignon et continua son récit sans interruption.
J’ai eu le temps de voir son cœur, le cœur du monstre je veux dire, il était dur comme fer ; en fait ce n’était pas un cœur c’était une boule fer, raison pour laquelle le diable est féroce envers toute personne humaine.
J’ai failli y laisser ma vie mais pendant qu’il remettait son cœur de fer à la bonne place je me suis caché derrière un buisson et me suit sauvé en passant par l’autre versant de la colline.
C’est ainsi que j’ai appelé ce pays, Pays aux mille collines. Je voulais qu’au grand jamais personne ne puisse s’aventurer dans ses vallées et y rencontrer le diable.
Voilà maintenant vous avez le secret !!
Depuis que ce vieux m’avait raconté son histoire je ne cessai de me demander si le peuple laisserait toutes ses vallées à ce monstre. Le diable ne vivait que dans une vallée mais laquelle ? Comment la découvrir et surtout comment l’y déloger.
Tout le monde vivait paisiblement, disait-on, avec la peur au ventre de ce diable qui de temps à autre remontait la vallée pour terroriser le monde. Il arrachait les bras des hommes laissant ainsi sa trace indélébile et démoniaque. Les femmes terrorisées étaient vouées aux corvées éternelles, elles avaient l’échine courbée à force de marcher la tête baissée de peur de croiser un jour le regard du diable. Et pourtant personne n’avait jamais raconté ce secret. Quoique chacun se gardait d’ouvrir sa bouche, tout le monde savait, que chacun savait ce que personne n’osait dire.
Ce pays dont je vous parle c’est mon pays !!
Un jour, apparut un nuage blanc au dessus de l’une des collines. Les enfants coururent dans tous les sens avec frénésie racontant qu’ils avaient entendu une voix dans le nuage. Le nuage parlait. C’était une affirmation, ce n’était pas une interrogation.
Le plus âgé des enfants raconta que la voix était comme celle d’une petite fille. Le nuage d’abord petit, grossit très rapidement à la manière d’un éclair. La voix de la petite fille s’intensifia de plus en plus ; de colline en colline tous les villageois l’entendirent.
Les plus septiques dirent que cette voix sera éphémère et qu’elle s’éteindra comme elle est venue.
Les plus fous dirent qu’une voix venue de nulle part dure le temps d’une lune. C’est comme, dirent-ils, la pluie qui tombe avec fracas mais qui, quoiqu’il arrive laisse les rayons de soleil sécher le sol de manière que d’aucuns ne devineraient son bref passage.
Les plus sages qui avaient pris soin d’écouter minutieusement cette voix, dirent qu’elle était là pour rester ; comme un écho ne quitte jamais la montagne et la montagne n’échappe jamais à l’écho.
Les sages surnommèrent cette voix « La déesse dans le nuage » ! La déesse affirma que plus jamais, aucun homme ne perdrait un bras, aucune femme ne verserait une larme, aucun enfant ne perdrait sa mère.
– Voici, dit-elle, trois larmes versées pour les trois ethnies de mon peuple. Alors on vit trois petits morceaux de nuage se détacher et trois larmes telles trois ruisseaux coulèrent de la colline jusque dans la vallée du diable.
Surpris dans son sommeil et comme si les larmes étaient bénites, le diable se débattit de toutes ses forces. Il faillit se noyer! Ce n’était plus un proverbe de catholiques, la scène était réelle. Depuis ce jour là le diable eu du mal à remonter de sa vallée pour arracher les bras des hommes.
Le nuage demeura d’un blanc immaculé mais, le diable se jura de l’arracher du ciel où il semblait être accroché; de le réduire en plumes d’oiseaux qu’il noierait à son tour dans les eaux ruisselantes.
La voix dans le nuage s’intensifia de plus en plus. Le diable réunit toutes les forces qu’il possédait, peut-être a-t-il fait une prière à Dieu où au diable, ça je ne saurai vous le dire. Il remonta de la vallée à la colline, essaya d’arracher le nuage et sans qu’il ne s’y attende, il rebondit sur son derrière, les pieds dans les airs et dévala la colline jusque dans la vallée endiablée. Il se releva titubant, se tenant sur une jambe et continua à jurer qu’il arracherait le nuage.
Les gens continuèrent à écouter la voix de « la déesse dans le nuage », avec la peur au ventre, en attendant le moment où le diable remonterait la colline.
Certains racontent qu’il s’est noyé mais, personne n’a vu son corps. Les sages disent qu’il ne faut jamais dormir sur ses deux oreilles quand le loup dort sur ses deux pattes à votre porte.
Montréal, le 20 août 2010
Texte de Perpétue Muramutse
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