Des remaniements à la tête des principaux services de renseignements rwandais ont été effectués par le Président Paul Kagame ce mercredi 13 juillet 2011, le principal d’entre eux étant le remplacement du Docteur Emmanuel Ndahiro par Karenzi Karake à la tête du NISS (National Intelligence and Security Service) qui chapeaute les services de renseignement rwandais.
Ce remaniement a été annoncé par la présidence au lendemain d’un nouvel attentat à la grenade perpétré à Kamembe, dans le sud ouest du Rwanda et ayant fait 21 blessés (voir lien BBC), bien que ces deux événements ne semblent pas liés.
Dans ce jeu de chaises musicales, outre le remplacement du Colonel Emmanuel Ndahiro par le Général Karenzi Karake, le Colonel Dan Munyuza jusqu’ici chef des renseignements militaires (« J2 », communément appelée DMI) prend la tête des renseignements extérieurs et est remplacé au « J2 » par le Général Richard Rutatina qui était jusque là conseiller du président pour les questions de défense et de sécurité.
Patrick Karuretwa, beau frère d’Emmanuel Ndahiro remplace Rutatina à la présidence et le colonel Tom Byabagamba qui était jusque là commandant de la garde de Paul Kagame est nommé responsable de l’unité anti-terroriste fraichement créée.
Karenzi Karake, Dan Munyuza et Richard Rutatina deviennent donc les nouveaux hommes forts d’un service de renseignement étoffé ayant des ramifications jusque dans les villages les plus reculés du Rwanda et dans plusieurs capitales étrangères, comme c’est le cas avec Joseph Uwamungu, Olivier Kayumba et Jimmy Uwizeye respectivement agents des renseignements rwandais à Bruxelles, Paris et Londres.
Des nouveaux responsables sous mandat d’arrêt international
Le remaniement effectué par le Président de la République suscite plusieurs questions. Les deux principaux nouveaux responsables des renseignements extérieurs rwandais , Dan Munyuza et Karenzi Karake sont en effet sous le coup de mandats d’arrêts internationaux, délivrés en février 2008 par la justice espagnole.
Dan Munyunza est accusé par le juge espagnol Fernando Andreu Merelles (lire l’accusation par le juge espagnol) d’avoir participé à de nombreux massacres visant les réfugiés civils Hutu ainsi que la population congolaise dans l’axe Bukavu, Numbi, Walikale, Tingi-Tingi, Ubundu, Bokungu , Boende et Mbandaka.
Selon le même juge, il aurait également participé le 23 avril 1994 à l’attaque contre la population rwandaise déplacée dans le stade de Byumba qui a fait environ 2500 morts ainsi qu’aux massacres commis dans l’école sociale du Bon conseil et dans le centre Scolaire de Buhambe, à Byumba toujours en avril 1994.
Il est enfin accusé, d’être intervenu dans les attaques contre les camps de réfugiés au Kivu, dans des assassinats sélectifs ainsi que dans des « actions de pillage de guerre, en argent, minerais, biens et ressources naturelles de la République Démocratique du Congo. »
Pourtant, c’est tout récemment que son nom est apparu avec fracas sur la toile, lorsqu’un enregistrement dans lequel, il évoque un plan d’élimination de Kayumba Nyamwasa par le poison a circulé sur internet. Jusqu’à présent, les autorités de Kigali habituellement promptes à réagir à toute accusation, n’ont pas réagi officiellement sur ces enregistrements et la justice sud-africaine devrait prochainement se prononcer sur leur authenticité.
Cliquez ici pour écouter l’enregistrement complet
Karenzi Karake, ancien numéro deux de la Mission conjointe ONU-UA au Darfour, est pour sa part accusé par la justice espagnole d’être le commanditaire d’assassinats terroristes de personnalités politiques clés de l’opposition rwandaise comme ceux d’Emmanuel Gapyisi le 18 mai 1993 et Felicien Gatabazi le 21 février 1994.
Il serait également « le plus haut responsable des massacres et « élimination » de la population Hutu à Nyakinama et à Mukingo ». Le même juge affirme également que Karake « aurait eu connaissance de et aurait approuvé le massacre de population civile depuis 1994 jusqu’à 1997 dans les localités de Ruhengeri, Gisenyi et Cyangugu, parmi lesquelles on compte le meurtre des trois coopérants espagnols de Médecins du Monde ».
Il est donc étonnant de constater que des postes aussi stratégiques dans le contact avec la diaspora et la communauté internationale soient désormais occupés par des personnes sous mandat d’arrêt international pour « génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre » et qui ne peuvent donc en principe pas se déplacer et surtout pas dans les capitales occidentales ou ils risquent d’être arrêtés et transférés à la justice espagnole.
Nomination de KK, piège ou réhabilitation ?
De manière surprenante, alors que sur le papier, Karenzi Karake semble être le grand gagnant de ce jeu de chaises musicales en héritant de la tête des services de renseignement, la plupart des personnes que nous avons contactées afin de recueillir leur analyse, estiment qu’il s’agit d’un piège pour KK et non une réhabilitation.
L’ancien directeur de cabinet de Paul Kagame, le Docteur Théogène Rudasignwa , désormais coordinateur du Rwanda National Congress est du même avis en estimant dans son écrit que « le poste n’est pas nécessairement sans risques et n’est pas non plus le signe d’une montée soudaine de la confiance qu’a Kagame en KK. » (cliquez ici pour lire l’article)
Pour le journal Umuvugizi, KK sera surveillé de près par Dan Munyuza et Richard Rutatina.(cliquez ici pour lire l’article)
Selon un ancien officier de l’APR réfugié en Belgique et autrefois proche de « KK », le général Karenzi Karake fait partie des personnalités proches de Kagame que ce dernier craint car il aurait un profil qui pourrait facilement remplacer le numéro 1 rwandais à la tête du pays.
Né à Gitarama au Rwanda, Karenzi Karake est anglophone, bien que ses parents soient francophones, ayant été réfugiés au Congo ou son père, Karake Epimaque fût enseignant dans les camps de réfugiés rwandais au Congo et était particulièrement apprécié des réfugiés et des congolais qu’il a enseignés, nous dit un ancien réfugié Tutsi au Congo.
Dans les rangs du FPR, Karenzi Karake est très populaire, du fait du rôle clef qu’il a joué dans la chute du gouvernement de Habyarimana, facilité par sa présence à Kigali avant l’année 1994 en tant que membre du groupe d’observation militaire neutre (GOMN, formé conjointement par des FAR et des soldats de l’APR sous la supervision des Nations Unies). C’est sous cette couverture qu’il aurait supervisé plusieurs attentats terroristes dont ceux ayant couté la vie à Emmanuel Gapyisi et Félicien Gatabazi.
En 2010, il fût placé pendant plusieurs mois en résidence surveillée au motif obscur de « mauvaise conduite non conforme aux principes qui régissent la discipline des Forces rwandaises de défense » avant de « reconnaitre ses fautes » et d’être « pardonné » par sa hiérarchie . (cliquez ici pour lire l’article de La Libre Belgique)
Selon l’ancien officier jadis proche de KK qui a requis son anonymat, Karenzi Karake aurait payé la fuite de Kayumba Nyamwasa. Alors qu’il aurait eu écho du plan d’élimination physique de ce général dissident devenu encombrant pour Paul Kagame, Karake, en collaboration avec James Kabarebe et le Géneral Charles Muhire (également mis aux arrêts) aurait organisé la fuite de Kayumba Nyamwasa, très populaire dans les rangs de l’APR (actuellement FRD). Charles Muhire, ancien chef des forces aériennes a été libéré an avril 2011, après avoir également « demandé pardon » à sa hiérarchie et avoir été pardonné par cette dernière. (cliquez ici pour lire l’article de RNW)
L’ancien officier contacté par Jambonews affirme encore que la nomination de Karake est un piège car la priorité du NISS serait l’élimination de Nyamwasa et sa seule manière de prouver sa loyauté au régime sera d’exécuter une mission à laquelle il s’est toujours refusé.
Raisons du remaniement
Depuis l’annonce du remaniement, nos recherches sur les raisons de ce dernier nous ont menés sur plusieurs versions parfois complémentaires. La présidence Rwandaise pour sa part n’a pas communiqué les raisons du remaniement.
Selon certaines nos sources, dont un ancien membre des services de renseignements du FPR, la version véhiculée par le journal Umuvugizi (cliquez ici pour lire l’article), serait la plus proche de la réalité.
Selon cette version, Paul Kagame s’est récemment rendu en Angleterre pour recevoir une médaille de la part d’une ONG et à cette occasion, il a rencontré les services secrets britanniques, qui lui ont montré des preuves notamment des enregistrements téléphoniques montrant l’implication de hautes autorités rwandaises dont Emmanuel Ndahiro dans la tentative d’élimination d’opposants vivant en UK, comme le rapporte le site « africandictator ».(cliquez ici pour lire l’article).
La ligne de défense de l’homme fort de Kigali aurait alors été de prétendre ne pas être au courant et aurait promis aux britanniques des sanctions contre les responsables. La mise à l’écart d’Emmanuel Ndahiro répondrait donc à cet impératif.
Selon une autre source, cette interprétation selon laquelle il s’agirait d’un chef d’Etat prenant ses distances avec ses hommes forts qui sont dans le collimateur d’Etats étrangers est toutefois affaiblie par l’occurrence que Dan Munyuza, sous mandat d’arrêt international et cité dans l’affaire sud-africaine, est nommé à l’ESO, un poste stratégique dans les relations extérieures.
Pour lui, ce remaniement et surtout la nomination de Dan Munyuza est plutôt « un doigt d’honneur » de Paul Kagame aux Etats étrangers et à l’opposition qui n’ont cessé ces derniers mois de lui reprocher de vouloir éliminer des opposants à l’étranger et la même personne dit « craindre le pire » car Dan Munyuza au même titre que Jack Nziza, secrétaire permanent auprès du ministère de la Défense est réputé être « l’homme des sales besognes » du régime.
Virage historique pour le FPR ?
Depuis que le FPR a consolidé son pouvoir au début des années 2000, les divisions au plus haut sommet de la hiérarchie se sont accentuées entre deux camps ayant le même objectif de consolider le pouvoir de ce parti-Etat mais une vision différente sur les moyens.
D’une part, il y’a le camp des « fins » qui avaient réussi à tirer leur épingle du jeu en Ouganda et à y poursuivre des études universitaires, malgré les conditions difficiles d’une vie, la plupart du temps de réfugiés. (Cliquez ici pour lire un aperçu de l’enfance et jeunesse de Rudasingwa, illustrant certaines de ces difficultés)
De l’autre côté, le camp des « durs » du régime, adeptes de la méthode forte et s’étant souvent radicalisés dès le plus jeune âge, souvent même avant de rejoindre la rébellion de Museveni.
Ces deux camps, se vouent un certain mépris, voire une véritable haine. Dans son analyse, Thèogène Rudasingwa laisse d’ailleurs apparaitre ce mépris envers certains de ses anciens compagnons d’armes. C’est ainsi que Rutatina, nouveau chef de la DMI est décrit comme étant un « flatteur incompétent par excellence » récompensé, de ses insultes formulées à l’égard des membres du RNC. Alors qu’à l’inverse, « KK » reçoit les louanges et est présenté comme étant « indépendant d’esprit et intelligent ».
Dan Munyuza n’est guère mieux loti que Rutatina en étant décrit comme étant « un homme avec très peu de compréhension du monde dans lequel il est censé exercé le métier d’agent de renseignement ». Sa meilleure chance poursuit Rudasingwa « est de plaire à son maître en chassant les réfugiés rwandais et en les empoisonnant ou il peut ».
En privé, en discutant avec des membres actuels du FPR ou d’anciens membres quels que soient les échelons, les propos à l’égard de certains cadres du FPR ne sont guères plus flatteurs, et ils sont qualifiés par leurs compagnons ou anciens compagnons d’« Injiji zizaturoha » (Ignorants qui vont nous couler), convaincus qu’une politique dure et répressive ne peut que déboucher sur une nouvelle catastrophe au Rwanda et accessoirement couler le FPR.
Paul Kagame n’est pas épargné par les critiques et est peu apprécié par les militaires de l’APR et spécialement les hauts gradés qui dès le départ n’en voulaient pas, comme en témoigne en détail le lieutenant Abdul Ruzibiza dans son livre.
Pour faire face aux critiques croissantes de l’opposition interne, des exilés rwandais et de la communauté internationale et les désamorcer, ces deux courants au sein du FPR ont leur opinion sur la méthode à suivre.
La première, privilégiée par le premier camp est « la méthode douce », consistant à séduire les opposants à l’extérieur et les bailleurs de fonds. Pour cela, il faut adoucir le discours, reconnaitre « quelques erreurs du FPR », libérer l’un ou l’autre prisonnier politique, mettre également des Hutu à des postes clefs, autoriser l’expression de voix critiques au Rwanda, respecter d’avantage les Droits de l’Homme ou encore séduire la jeunesse rwandaise exilée.
C’est sans aucun doute, Patrick Karegeya, qui a le mieux symbolisé cette politique « de la séduction », ce dernier, souvent décrit comme « charismatique, intelligent et séducteur » avait parcouru plusieurs capitales étrangères lorsqu’il était en charge de l’ESO, séduisant une partie de la diaspora et la convainquant de rentrer au Rwanda. Sa personnalité contraste avec celle de Munyuza, qui inspire essentiellement la crainte auprès de ceux qui le connaissent et qui ne peut de toute façon pas voyager.
La seconde méthode, privilégiée par les plus radicaux du régime est au contraire de durcir le ton, d’emprisonner, d’assassiner afin d’intimider d’avantage toute voix critique et à terme, l’éteindre.
En décidant de se séparer d’Emmanuel Ndahiro, présenté comme « éloquent » et « impressionnant » au premier contact (lire l’article de Africa Global Village) et qui était devenu ces derniers mois, une sorte d’ « ambassadeur officieux » auprès des capitales occidentales et en mettant Dan Munyuza et Richard Rutatina à ces postes clés et en conservant Jack Nziza dans un rôle « d’électron libre » au sein des services de renseignement, Paul Kagame semble avoir définitivement opté pour la méthode forte envers les critiques en tout genre, « Guhangana » pour reprendre son propre terme.
Dans son discours du 4 juillet 2011, le Général Paul Kagame, habituellement peu discret sur ses véritables intentions avait d’ailleurs clairement affiché la couleur de la ligne politique qu’allait désormais adopter le régime face à ces critiques croissantes.
Dans ce discours au stade Amahoro, il avait, faisant référence à ces critiques croissantes dit que « Lorsqu’une personne te persécute à plusieurs reprises, te court après en te persécutant elle finit par t’ôter toute peur et alors tu t’arrêtes et la combats », « Les rwandais, le Rwanda avons été suffisamment persécuté, nous n’avons plus peur, même si nous n’avons jamais eu peur ». (…) « Tout ce que vous rencontrez, entendez, tout ce qui se dit sur le Rwanda, par certains, qui ne sont pas nombreux (…), ceux là doivent savoir que nous n’avons plus peur. »
Avant de continuer « Ceux qui veulent que le Rwanda soit comme ils veulent, ce n’est pas possible, le Rwanda sera comme les rwandais le veulent » « On ne peut pas être comme les autres veulent qu’on soit » rappelant ainsi un de ses refrains favoris, à savoir qu’aucune puissance étrangère, aucune organisation internationale, n’a le droit de dicter au Rwanda sa conduite, que ce soit en matière de Respect des Droits de l’Homme ou de composition du gouvernement ou des délégations.
Déjà peu réputé pour être tendre avec les critiques quel que soit leur qualité, le FPR semble donc avoir entamé un nouveau tournant et semble désormais décidé à les affronter avec la plus grande des virulences.
Ruhumuza Mbonyumutwa
Jambonews.net
Voir le discours de Paul Kagame: