Huit prisonniers sierra-léonais purgeant leur peine au Rwanda se plaignent de « traitements inhumains » dont ils feraient l’objet depuis leur arrivée dans les prisons rwandaises. Condamnés par le tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) pour les atrocités commises pendant la guerre civile, ces huits prisonniers se disent « privés de soins médicaux, menacés de mort par les gardiens, battus, torturés, mal-nourris et contraints à des travaux durs de menuiserie et maçonnerie notamment», selon un article publié le 16 octobre 2011 par « The Exclusive Newspaper », un journal Sierra-léonais.
Les huit condamnés du tribunal spécial pour la Sierra Leone qui purgent leurs peines au Rwanda sont, trois anciens responsables du Front révolutionnaire uni (RUF), trois autres du Conseil révolutionnaire des forces armées (AFRC) et deux responsables des Forces de défense civile (CDF) pendant la guerre. Ils purgent des peines allant de 15 à 52 ans de prison au Rwanda, où ils ont été transférés en 2009 après leurs jugements et condamnations.
Le TSSL a été établi en 2002 par les Nations unies pour juger les plus importants responsables des crimes commis durant la guerre civile (1991-2001) en Sierra-Leone. Le seul autre procès du TSSL encore en cours se tient aux Pays-Bas, pour des raisons de sécurité, il s’agit de celui de l’ancien président libérien Charles Taylor qui est jugé à La Haye, pour son implication dans la guerre civile en Sierra Leone. Ces prisonniers sierra-léonais condamnés par le TSSL ont été transférés en 2009 à la prison de Mpanga, dans le Sud du Rwanda, en vertu d’un Mémorandum d’entente signé entre la Cour et Kigali. Cette prison avait été spécialement conçue pour accueillir les condamnés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) jugés à Arusha (Tanzanie) pour leur participation au génocide de 1994. En mars dernier le Rwanda a signé un accord avec le TSSL pour accueillir les condamnés qui ne peuvent rester à Freetown faute d’établissement pénitentiaire aux normes des Nations Unies.
Les actes de torture sont courants dans les établissements carcéraux rwandais. Ces établissements sont qualifiés par bon nombre d’observateurs de « prisons-mouroirs » en raison du taux de mortalité qui y est très élevé.
Par exemple des agents de la Police Nationale du Rwanda ont tué au moins 20 détenus pour le seul mois de novembre 2007, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié à cetteépoque. Selon les rapports du « Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail » du Département d’État des États-Unis d’Amérique, des dizaines de milliers de détenus arbitrairement arrêtés et illégalement détenus dans les prisons rwandaises surchargées sont morts sans jugement dans les mains de l’État. Ce Département a recensé 860 décès en 1997, 3.300 décès en 1998, 1.148 décès en 1999, 1100 décès en 2000, 708 décès en 2001. Comme bon nombre de prisonniers n’étaient pas officiellement enregistrés, ces chiffres alarmants ne révèlent que le bout de l’iceberg. Ceux qui ne meurent pas vivent dans des conditions particulièrement inhumaines et subissent à la longue les effets débilitants du surpeuplement carcéral, sans compter ceux qui succombent suite à des tortures. Les témoignages de ceux qui ont pu sortir de ces prisons et s’exiler sont bouleversants.
Certains des décès attribués à la police semblent constituer des exécutions extrajudiciaires, selon Human Rights Watch. Leur rapport de 2007 totalisant 37 pages et est intitulé « Il n’y aura pas de procès : Détenus abattus par la police et imposition de punitions collectives », est basé sur des douzaines d’entretiens avec des familles de victimes, des témoins et autres personnes.
Les prisonniers politiques, nombreux dans les prisons rwandaises, ne sont pas non plus épargnés par ces traitements inhumains et tortures, selon plusieurs sources. C’est le cas entre autres de NTAGANDA Bernard Président du parti PS Imberakuri. Son parti ne cesse de déplorer les tortures dont fait l’objet leur président, condamné le 11 février dernier par la Haute cour de Kigali à quatre ans de prison ferme. Arrêté en juin dernier, l’opposant a toujours clamé son innocence, affirmant que les poursuites engagées contre lui étaient politiquement motivées. Ce dernier est emprisonné dans des conditions inhumaines : il est gardé en isolation totale dans un trou-cachot sans lumière et l’interdiction de recevoir sa ratio alimentaire de la part de sa famille et amis. Son parti soupçonne sérieusement le gouvernement de Kigali de chercher à « tuer Ntaganda par la faim, la torture physique et le désespoir ».
Victoire Ingabire , une autre opposante incarcérée elle aussi au Rwanda, n’est pas en reste, on ne cesse de dénoncer les conditions de sa détention dans la célèbre prison rwandaise « LE 1930 ». Déjà dès son arrestation en octobre 2010, « elle a passé deux nuits assise et menottée », avait indiqué son parti le FDU, soulignant que « son matelas et des draps » avaient été confisqués. »La nourriture qui lui avait été portée pour son déjeuner a été retournée intacte le soir même. « L’eau et le seau (lui) ont été refusés. Les conditions de détention de Madame Ingabire Umuhoza, avaient été qualifiées d’ »intolérables et immorales » par son parti. Pourtant à ce jour, pendant que son procès, que nombreux qualifient de « comédie judiciaire » (car on ne sait distinguer le juge du procureur), suit son cours, les conditions de sa détention ne se sont pas améliorées. La trésorière du parti FDU-Inkingi, Alice Muhirwa, a dénoncé il y a une semaine dans une interview à la presse, des conditions déplorables de sa détention, notamment, » isolement, intimidations, insultes, harcèlement, etc..« .
Suite à ces nouvelles accusations venant de prisonniers sierra-léonais, les autorités pénitentiaires rwandaises ont pris le devant pour démentir. Le Commissaire général du Service correctionnel du Rwanda, le général Paul Rwarakabije, dans un entretien au quotidien progouvernemental New Times s’est chargé lui-même de désavouer les ex combattants. « Les prisonniers se plaindront toujours, mais la réalité est que nous leur avons accordé plus que ce qui est nécessaire. Ils reçoivent fréquemment des visites de leurs proches et ont droit à des visites conjugales (de leurs épouses). Ce sont des prisonniers internationaux et nous les traitons de façon spéciale », a affirmé l’ancien chef des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), toujours actives dans l’Est de la RDC.
Suite à la grogne des détenus sierra léonais, le TSSL a dépêché des émissaires à Kigali, qui ont été reçu ce lundi 7 novembre par le ministre rwandais de l’intérieur Moussa Fasil. Au cœur des débats bien sûr, les accusations de maltraitance et torture qu’auraient subies les prisonniers sierras léonais. Ces émissaires du TSSL ont pu également visiter la prison de Mpanga où sont détenus les prisonniers mécontents de leurs conditions. Cependant rien n’a filtré après cette visite de la prison.
Le Rwanda fait régulièrement la une des médias, en raison des nombreuses violations des Droits de l’Homme dont il est constamment accusé notamment par des ONG telles que Amnesty International, Human Rights Watch ou Reporters sans Frontières.
Dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières publié chaque année, le Rwanda se trouve régulièrement au bas du classement (169 cette année), juste devant l’Erythrée (173e et dernière position cette année), la Corée du Nord (172e) et le Turkménistan.
Dans un tel climat de violation constante des droits fondamentaux des citoyens ordinaires, journalistes ou opposants politiques, comment les droits de détenus condamnés parfois à de lourdes peines peuvent-ils être assurés ?
Par Jean Mitari