Dans un rapport publié ce lundi 8 octobre, Amnesty International pointe de nouveau du doigt le Rwanda pour ses pratiques de torture, détentions illégales voire même les disparitions qui prennent de l’ampleur. Décharges électriques, bastonnade, asphyxie au moyen d’un sac placé sur la tête ou encore privation sensorielle sont parmi les méthodes de torture employées par les services de renseignement militaire J2. Amnesty International annonce également avoir dénombré plusieurs cas de disparitions forcées. Le gouvernement rwandais par la voix de son ministre de la justice minimise ces accusations sans toutefois les nier.
« Le Service de renseignement militaire, J2, gère un système parallèle d’arrestation et de détention. Ce système à l’intérieur d’un système est en grande partie réservé aux personnes soupçonnées de menacer la sécurité nationale » déclare Amnesty International dans un nouveau rapport qu’il vient de publier, intitulé « Rwanda. Dans le plus grand secret détention illégale et torture aux mains du service de renseignement militaire ».
Ce rapport de quarante cinq pages expose en détail les pratiques de détention illégale, les actes de torture et autres formes de mauvais traitements ainsi que les disparitions forcées, infligées essentiellement aux civils, par des agents du Service de renseignement militaire rwandais connu sous le nom de J2. Amnesty International fonde ce rapport sur les informations recueillies dans le cadre des recherches menées pendant plus de deux ans, et notamment lors de sept visites au Rwanda. Plus de 45 cas de détention illégale et 18 cas d’allégations d’actes de torture et d’autres mauvais traitements impliquant des agents du Service de renseignement militaire en 2010 et en 2011 ont été passés en revue.
Cette vague de violations des droits humains a commencé avec le début de la guerre en 1990. Plus récemment cette violation s’est intensifiée à l’approche des élections présidentielles d’août 2010 remportée haut la main par l’actuel président rwandais le général Paul Kagame, avec un score stalinien de 95%. C’est en effet dans le cadre des attaques à la grenade qui se sont multipliées dans le pays à l’approche des élections présidentielles d’août 2010, mais devenues rares ces dernières années, et à la suite du départ de l’ancien chef d’état-major, le général Kayumba Nyamwasa en février 2010 que cette vague de violations des droits humains s’est amplifiée.
« Des individus ont été arrêtés, souvent de manière arbitraire, par l’armée agissant parfois en collaboration avec la police, dans le cadre des enquêtes menées par les autorités rwandaises sur des questions de sécurité. Les personnes concernées étaient presque toutes des hommes âgés de 20 à 45 ans. La plupart des cas évoqués dans le présent document sont ceux de civils, parmi lesquels figurent des soldats démobilisés. On trouve également des membres de l’armée rwandaise ou des personnes soupçonnées par les autorités d’appartenir aux FDLR (NDRL : Forces démocratiques de libération du Rwanda, un groupe armé d’opposition basé dans l’est de la République démocratique du Congo)».
Après leur arrestation, les hommes sont maintenus dans un lieu tenu secret et interrogés par des agents du service de renseignement militaire sans que les familles aient la possibilité d’obtenir confirmation du lieu de détention de leurs proches ni même de savoir s’ils sont encore en vie. Les autorités nient toujours la détention des personnes concernées ou refusent tout simplement de répondre aux demandes d’information des familles et des avocats.
Le Service de renseignement militaire J2, qui gère un système parallèle d’arrestation et de détention opère souvent, selon Amnesty, des transferts de prisonniers d’un endroit à l’autre. « Les suspects sont généralement déplacés d’un endroit à l’autre au début et à la fin de leur détention aux mains de l’armée et incarcérés pendant longtemps dans le même endroit au milieu de leur période de détention », annonce Amnesty International.
D’ailleurs l’organisation de défense des droits humains affirme que ce présent rapport a pu voir le jour parce que de nombreuses familles lui ont sollicité de l’aide pour retrouver leurs proches. C’est au cours des recherches effectuées sur ces cas, que des informations détaillées ont été recueillies sur d’autres personnes qui avaient été victimes de disparition forcée ou qui avaient été détenues par l’armée dans des lieux secrets.
Selon Amnesty, des centres de détention secrets sont installés dans les camps militaires notamment le Camp Kami situé dans le secteur de Kinyinya en périphérie de Kigali, où une soixantaine de personnes étaient détenues fin de 2010 et en 2011. Selon le rapport, certains prisonniers y sont maintenus à l’isolement, et d’autres pendant plusieurs jours, mais la grande majorité d’entre eux sont enfermés avec quelques autres détenus dans de petites pièces. Le rapport évoque également le camp militaire de Mukamira situé entre Gisenyi et Ruhengeri où nombreux civils arrêtés dans les environs sont gardés. Selon le rapport d’Amnesty, l’immeuble de plusieurs étages abritant le ministère de la Défense (MINADEF) servirait également comme lieu secret de détention où plusieurs détenus passent pour y être interrogés avant leur transfert à Camp Kami.
C’est pendant leur détention dans le secret que les détenus privés de contacts avec leur famille et leur avocat ainsi que de soins médicaux, se voient infliger des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Les actes de torture visent en général selon Amnesty à obtenir des aveux. Ainsi, nombreux prisonniers ont déclaré aux juges qu’ils avaient été roués de coups pendant leur interrogatoire alors qu’ils étaient détenus par l’armée. « Certains ont affirmé que ces violences les avaient amenés à faire des « aveux » qu’ils ont ensuite rétractés devant le tribunal. D’autres ont dit aux juges qu’ils avaient été torturés, mais ont toutefois plaidé coupable » pouvons nous lire à la page 37 du rapport. « Ils m’ont emmené dans un autre bureau. Tout le monde était présent quand ils ont appliqué cet appareil électrique sur mon dos pour m’obliger à avouer que je travaillais avec les gens qui jettent des grenades […] Quand j’ai senti que j’allais mourir, je leur ai dit de me donner un papier [à signer], mais ils ont continué à me torturer » affirme un témoin interrogé par Amnesty (page 23).
Pourtant la loi rwandaise n° 15/2004 du 12/06/2004 portant mode et administration de la preuve interdit l’usage d’aveux ou d’éléments obtenus par la torture. Les avocats, même les juges pour leur sécurité, sont réticents à poser des questions aux détenus sur leurs conditions de détention, annonce Amnesty.
Le rapport d’Amnesty affirme que dans leur détention, les détenus sont sauvagement bastonnés et soumis à des décharges électriques. Néanmoins, Amnesty International souligne que les méthodes de torture privilégiées par les agents de renseignements rwandais, sont celles qui ne laissent aucune trace physique. mais qui pourtant infligent une souffrance extrême, en particulier lorsqu’ils sont répétées pendant une période prolongée. Il s’agit notamment d’asphyxie au moyen d’un sac placé sur leur tête, la privation sensorielle, placer les détenus dans une pièce remplie d’eau qu’on fait chauffer, etc.
Ce n’est pas la première fois que le régime de Kigali est accusé des actes de tortures et mauvais traitements envers les détenus. L’exemple récente est le cas des huit prisonniers sierra-léonais condamnés par le TSSL (Tribunal spécial sur la Sierra Leone), et emprisonnés au Rwanda depuis 2009 à la prison de Mpanga, dans le Sud du Rwanda, qui se sont plaints en novembre 2011, de « traitements inhumains »: privation de soins médicaux, bastonnade, menacés de mort par les gardiens de la prison, malnutrition et des travaux forcés de menuiserie et maçonnerie.
Une délégation d’Amnesty International qui s’est rendue au Rwanda en juin 2012 pour solliciter une réponse des autorités rwandaises sur les violations des droits humains exposées dans ce rapport, n’a pas été autorisée à rencontrer le général James Kabarebe, ministre rwandais de la Défense , ni le général de corps d’armée Charles Kayonga, chef d’état-major , ni le commandant Kayijuka Ngabo, auditeur militaire général.
Réagissant à ces accusations, le ministre rwandais de la Justice Tharcisse Karugarama a déclaré à la Voix de l’Amérique ce mercredi le 10 octobre 2012 que « les allégations sont exagérées » sans toutefois les nier. Le ministre affirme admettre « l’existence d’incidents où des civils ont été détenus illégalement sans accusation » et ajouter que « ces cas ont tous été entendus par les tribunaux rwandais ». D’après le ministre Karugarama « les preuves de torture ont été fournies par des personnes vivant à l’extérieur du pays qui cherchent l’asile politique ou veulent simplement nuire au gouvernement rwandais ». «Elles ont toutes les raisons de dire du mal du gouvernement qu’elles ont fui. Donc, l’idée de la torture dans nos cellules n’est pas correcte. Il s’agit d’une fabrication par ces personnes et c’est très malheureux » a-t-il déclaré.
Vu la gravité des actes de torture et mauvais traitement au Rwanda, Amnesty International recommande aux donateurs étrangers, et tout particulièrement aux partenaires de développement dans les secteurs de la justice et de la coopération militaire « de suspendre toute aide financière aux institutions ou aux forces de sécurité impliquées dans des violations des droits humains ».
Jean Mitari
Jambonews.net