Selon la politique nationale de la jeunesse du Rwanda, 67% de la population est âgé de moins de 25 ans. Malheureusement, au Rwanda la jeunesse fait face à de nombreux défis qui les empêchent de profiter de la croissance économique de leur pays. Contre toute attente, certains de ces défis sont le résultat des politiques mises en place dans la poursuite de la croissance économique du pays.
Les défis de l’éducation
Le manque d’éducation de qualité est l’un des défis rencontrés par les élèves des écoles primaires au Rwanda et ceci est lié aux contraintes budgétaires du pays. Le Rwanda est un pays pauvre qui n’a pas les moyens financiers de construire rapidement les infrastructures éducatives suffisantes. Egalement, le pays manque de fonds pour former suffisamment d’enseignants. Par conséquent le pays ne peut garantir une éducation de qualité pour tous les élèves de l’école primaire. Le pays consacre déjà 4,8% de son PIB à l’éducation, dont 45,3% sont alloués à l’enseignement primaire [1]. En dépit de cet engagement financier, le Rwanda connaît des ratios élèves/maîtres et élèves par classe élevés mais en baisse constante. Ces ratios sont estimés à 58 et à 81 élèves respectivement.
En outre, ce manque d’éducation de qualité est aussi due à la négligence du soutien à l’enseignement primaire dans le pays. Un rapport publié en mai 2012 par la commission évaluant l’impact de l’aide accordé par le Département britannique pour l’aide au développement international(DFID) des programmes éducatif dans trois pays d’Afrique de l’est incluant le Rwanda souligne qu’ « il n’y a aucune étude de grande envergure menée par les ministères de l’éducation sur la présence des enseignants ou du temps d’enseignement au cours de la journée d’école, dans le cadre de la gestion de base du système d’éducation». Le même rapport a également découvert « une négligence relative des autres aspects de la gestion de l’effectif des enseignants comme le recrutement, la rétention et la direction de l’école »
Les préoccupations des enseignants quant à la qualité de l’enseignement dans les écoles primaires au Rwanda, ont déjà été mises en évidence par l’organisation Volunteers Overcoming Poverty(VSO) dans un rapport de 2003 intitulé «Seen but not heard» ainsi que lors d’un programme de British Broadcasting Corporation (BBC) diffusé en 2011 qui a comporté des entretiens avec des enseignants du Rwanda. Les inquiétudes des enseignants qui influent sur leur capacité morale à fournir une éducation de qualité incluent le paiement différé et le bas salaire, le manque d’outils pour améliorer leurs performances professionnelles, la gestion peu favorable ainsi que le manque de valorisation des enseignants dans la société rwandaise..
En raison de l’absence d’une éducation de qualité dans les écoles primaires, seulement la moitié des élèves du primaire au Rwanda répondent aux attentes scolaires en lecture dans leur langue maternelle, alors que la majorité ne répond pas aux attentes scolaires en calcul [3]. Selon les statistiques du ministère de l’éducation au Rwanda, en 2011, il y avait 2.341.146 élèves inscrits dans les écoles primaires, ce qui représente près de 20% de la population du pays. Toutefois, en raison de la faible qualité de l’éducation, même dans le cas où ces étudiants réussissent à terminer leurs études à l’école primaire, leur niveau d’alphabétisation et de calcul pouvait généralement être bien inférieur aux attentes.
Un autre défi auquel sont confrontés les jeunes au Rwanda, c’est qu’une grande majorité d’entre eux n’est pas en mesure de terminer l’école primaire ou secondaire. Cela se produit en dépit des efforts du gouvernement visant à permettre à tous les enfants dans le pays d’aller à l’école par la suppression des frais d’études primaire et secondaire inférieur. Cette politique encourageante a conduit à une augmentation des taux de scolarisation dans les écoles primaires. Cependant, « la moitié des enfants qui vont à l’école primaire au Rwanda abandonnent l’école avant la fin du cycle de l’école primaire», affirme un rapport récent mondial de l’UNESCO publié en 2012. Les raisons du décrochage peuvent être associées principalement à la pauvreté, à l’éducation de mauvaise qualité, et la perception culturelle envers les filles. Les inscriptions dans l’enseignement secondaire inférieur restent également faibles. Le ministère de l’Éducation du pays a estimé le taux de décrochage dans les écoles secondaires à 7,4% en 2010. Lorsque ce taux est agrégé à celui des enfants qui abandonnent au niveau de l’école primaire, le nombre de jeunes qui sont encore privés de l’éducation à la fin de chaque cycle de vie de l’éducation devient préoccupant.
Puisque de nombreux enfants issus des familles les plus pauvres sont les plus susceptibles d’abandonner l’école, l’inégalité dans l’éducation reste un défi pour l’indice de développement humain global (IDH) du pays. Le rapport sur l’indice de développement humain(IDH) de 2013 indique que le Rwanda perd 29,4% de son IDH en raison de l’inégalité dans l’éducation. On ne peut qu’espérer que la nouvelle approche de distribution de l’aide à travers un transfert de trésorerie accordée directement aux plus pauvres, comme annoncé récemment par le ministre britannique DFID [4], aidera les enfants des familles pauvres dans le pays à aller à l’école et par la suite à réduire l’inégalité dans l’éducation.. En outre, le but d’atteindre 12 ans d’éducation gratuite pour tous dans les prochains sept ans [5] pourrait également contribuer à réduire les inégalités en matière d’éducation dans le pays.
Néanmoins, d’autres défis dissuadent les jeunes de fréquenter l’école secondaire, malgré le fait qu’ils en aient la possibilité.
Défi politique
Une des raisons les plus poignantes qui explique le fait que beaucoup de jeunes issus des zones rurales du Rwanda ne fréquentent pas ou abandonnent l’enseignement secondaire, est lié aux politiques mises en œuvre pour parvenir à la croissance économique dans le pays. Ce fait est expliqué en détail par Marc Sommers, un expert de la jeunesse reconnue internationalement.
Dans sa recherche menée sur la jeunesse rwandaise publiée en 2012, Sommers explique que la culture rwandaise précise que pour que les jeunes soient considérés comme des adultes, ceux-ci doivent êtres mariés. Pour se marier, un jeune homme doit commencer par construire une maison décente. Dans la zone rurale rwandaise, une telle maison doit être couverte de tuiles parce que les tuiles sont faciles à accumuler et sont devenus l’option de revêtement préférable aux feuilles de fer coûteux qui ne durent pas longtemps. En outre, la toiture d’une maison avec des feuilles de bananier est hors de question, car elle est considérée comme une honte au sein de la société rwandaise.
L’étude de Sommers affirme qu’avant la politique du gouvernement du Rwanda qui interdit la coupe des arbres dans le cadre de la protection environnementale depuis 2005, les tuiles étaient moins chers pour les jeunes hommes. Les tuiles étaient durcies par le bois de chauffage et cela rendaient son offre abondante. Après que la politique ait été introduite, la fourniture de tuiles a diminuée alors que la demande est restée élevée. Par la suite, le prix des tuiles a explosé et il est maintenant difficile pour les jeunes hommes des zones rurales du Rwanda de construire une maison. «La nouvelle méthode qui emploi des fours à tuiles au feu de tourbe est inconnu et nécessite des machines et une formation technique. Pour se procurer ces dernières une autorisation doit être obtenue auprès d’un gouvernement national dans la capitale de la ville », indique l’étude.
La recherche indique également que la politique de logement exigeant que toutes les maisons neuves construites dans les villages appelées imidugudu affecte les jeunes. La politique a été adoptée entre autres afin de gérer les terres de manière efficace afin d’augmenter la production agricole dans le pays. Cependant, cette politique impose que des grandes maisons de dimensions standards soient construites, ce qui implique que les jeunes hommes doivent se procurer plus de tuiles. Toutefois, étant donné que le prix des tuiles a considérablement grimpé, les jeunes hommes ne peuvent pas se permettre de construire une grande maison dans les nouveaux villages.
Dû en partie aux politiques susmentionnées, de nombreux jeunes des zones rurales ne fréquentent pas ou abandonnent les écoles secondaires afin de chercher du travail. Ces jeunes préfèrent travailler plutôt qu’étudier afin qu’ils puissent commencer à gagner et économiser en vue d’acheter suffisamment de tuiles pour leurs maisons et se marier afin d’etre reconnues comme des adultes dans la société culturelle rwandaise. Cependant, trouver un emploi est un autre défi pour la jeunesse.
Défi dû au chômage
Quel que soit leur niveau d’éducation et leur lieu de résidence dans le pays, les jeunes sont confrontés à un problème similaire: le chômage. L’édition 2010 des indicateurs statistiques de la jeunesse montre que le chômage des jeunes dans le pays a augmenté de 10,5% en 2000 à 28,9% en 2005. En outre, conformément à la politique nationale de la jeunesse, 42% des jeunes âgés de 14 à 35 ans sont au chômage ou travaillent dans l’agriculture saisonnière à petite échelle. Le chômage des jeunes est un problème commun à tous les pays africains et au-delà, mais le fait est que la croissance économique que le Rwanda a connue n’a pas conduit à la création d’emplois en nombre suffisant. Un rapport de l’Institut d’analyse politique et de la recherche publiée en 2011 suggère que «pendant les deux dernières années de suite, le Rwanda est classé comme l’un des premiers pays réformateurs dans les indicateurs Doing Business de la Banque mondiale mais elle s’est classée en bas sur l’indicateur CIP de ONUDI(Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel) qui indique le niveau auquel la croissance s’est traduite par la transformation économique et la création d’emploi ultérieur.». Le ratio emploi/population qui indique la capacité d’une économie à créer des emplois pour les chômeurs est passé de 86,7 en 2005/’06 à 84,2 en 2010/’11. Le rapport explique que tout ratio supérieur à 80% implique qu’il ya une abondance d’emplois de faible qualité et un besoin de travailler pour survivre. C’est le cas avec l’économie en croissance rapide du Rwanda. L’agriculture demeure le travail le moins rémunéré et disponible pour la majorité des jeunes vivant dans les zones rurales.
Les causes du chômage des jeunes comprennent également le fait que ces derniers, en particulier ceux qui vivent dans les zones urbaines, n’ont pas les compétences requises par les recruteurs potentiels. En outre, les compétences entrepreneuriales sont encore faibles chez les jeunes et l’entreprenariat basé sur le porte-à-porte, dans les rues est également limitée dans la capitale, Kigali. Ceux qui s’y aventure doivent d’abord demander un permis aux autorités pour vendre leur marchandises, une fois que le permis leur est accordé, ils se verront ensuite attribué une place dans la ville oùgérer leurs entreprises. Cependant, l’obtention d’un permis exige de l’argent et des connexions, que les jeunes gens pauvres qui ont émigré de la zone rurale ne possèdent pas. En conséquence, ils sont privés de possibilités d’emploi. Cela signifie que le décrochage scolaire et la recherche d’un emploi afin d’acheter suffisamment de tuiles pour les maisons n’est pas suffisant. Les jeunes issus des zones rurales au Rwanda doivent immigrer vers la ville tout en n’ayant aucune garantie d’y obtenir un emploi. Dans un rapport spécial rédigé par Marc Sommer et Peter Uvirn publié en 2011, il est précisé que « les jeunes Rwandais dans les villages et à Kigali principalement ont vu l’exode rural comme une évasion de l’humiliation et l’échec dans les zones rurales plutôt que d’un moyen de sortir de l’appauvrissement ».
Pour résumer, le manque d’éducation de qualité, le taux élevé de décrochage dans les écoles primaires, les faibles taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire et l’absence de la création d’emplois peut nous amener à nous questionner sur l’aspect réaliste de la vision du pays de transformer son économie à partir d’une économie agraire à une économie s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication(TIC). En fait, un récent rapport mondial de l’UNESCO publié en 2012 indique, en référence au Rwanda qu’ « (…) il n’est pas évident que les TIC et d’autres services, qui ont tendance à ne pas créer autant d’emplois que les autres types d’industrie, peuvent aider les enfants des parents pauvres à sortir de la pauvreté dans ce pays où 90% de la population est engagée dans la production agricole et le taux brut de scolarisation secondaire n’est que de 36% ».
En plus des défis susmentionnés, les jeunes sont continuellement aux prises avec la complexité de difficultés sociales et conjoncturelles internes et régionales de la politique passée et actuel de leur pays. Les répercussions sont qu’une jeune personne sans éducation et sans emploi est exposée à différents types de nuisances, en particulier du fait que le Rwanda est situé près d’une zone de conflit dans l’Est de la République démocratique du Congo. En outre, il a été récemment rapporté que le nombre de suicides au Rwanda a augmenté, passant de 94 en 2011 à 290 en 2012. Parmi les causes de suicide, les programmes économiques qui ne répondent pas aux aspirations des gens ordinaires au Rwanda ont été cités [6].
La voie à suivre
Considérant que la jeunesse rwandaise reste la seule et principale ressource du pays, et que le Rwanda ne sera jamais en mesure de réaliser sa vision économique si un grand nombre de ses jeunes n’est pas éduqué, la solution la plus viable est d’augmenter le budget accordé à l’éducation afin d’atteindre une éducation de qualité et développer la capacité de la majorité de sa jeunesse. En particulier, les décideurs doivent veiller à ce que la jeunesse du Rwanda développe un esprit critique qui pourrait être traduit en idées entrepreneuriales pour la création d’emploi dans le pays. Quant à l’augmentation du budget de l’éducation, cet objectif pourrait être atteint en prenant le surplus à d’autres programmes surcapitalisés tels que la défense et les relations publiques et l’affecter à des programmes d’éducation des jeunes.
La nécessité de préserver l’environnement et de loger la population de manière moderne et ordonnée afin d’augmenter la production agricole doit être soutenue. Cependant, les décideurs politiques devraient prendre en considération les facteurs culturels qui influencent aussi le comportement des gens dans la société et de facto, ont des implications économiques. Par ailleurs, les responsables politiques doivent veiller à ce que les politiques à mettre en œuvre dans la poursuite de la croissance économique soient examinées en profondeur afin qu’elles répondent aux besoins actuels et futurs de la jeunesse rwandaise, toutefois en considérant que les jeunes auront le besoin d’être reconnus comme des adultes et jouir d’une vie de famille saine au sein de leur société culturelle.
Par ailleurs, la poursuite d’une croissance économique ne se traduit pas nécessairement dans le bonheur des gens. Ce concept est originaire du Bhoutan, un État enclavé dans l’Asie du Sud situé à la périphérie orientale de l’Himalaya. En 1972, le Bhoutan a rejeté le Produit Intérieur Brut comme la seule mesure de son progrès économique et a plutôt utilisé le Bonheur National Brut. Ce nouvel indicateur mesure la qualité de vie et le progrès social dans un terme plus holistique et psychologique. Le concept a gagné une popularité au cours des dernières années au point que l’ONU a commandé un rapport de l’indice du bonheur. Le rapport présente une liste de facteurs démontrant les causes de mécontentement chez les citoyens de toute nation. Étonnamment, certaines des causes du malheur décrites dans le rapport de l’indice du bonheur mondial sont les défis susmentionnés rencontrés par les jeunes au Rwanda. Le taux de chômage, le manque de travail de qualité, le manque d’éducation de qualité, l’insuffisance des citoyens de pratiquer leur culture et d’atteindre une vie de famille quand on veut le faire, sont tous répertoriés comme des obstacles à l’atteinte du bonheur. Comme expliqué la croissance économique rapide du Rwanda n’a pas nécessairement répondu à ces obstacles et il se pourrait que celle-ci ne le fasse jamais, selon le concept du Bonheur National Brut du Bhoutan.
Par conséquent, le Rwanda devrait également travailler à apporter le bonheur à sa jeunesse aux côtés de sa croissance économique. Dans ce premier rapport de l’indice de bonheur de l’année publié en 2012, le Rwanda a été classé 132ème sur 156 pays, le deuxième pays le moins bien classé dans le bloc de l’Afrique de l’est après l’Ouganda. Les décideurs peuvent ils faire plus pour améliorer le classement de l’indice du bonheur du Rwanda? Le rapport se lit comme suit: « Les objectifs politiques devraient inclure un taux d’emploi élevé et un travail de qualité, une forte communauté jouissant d’un niveau élevé de confiance et de respect, que le gouvernement peut influence par le biais de politiques inclusives et participatives; l’amélioration de la santé physique et mentale, le soutien de la vie familiale, et un enseignement décent pour tous ».
Rédigé par Aimé Sindayigaya et édité par Jules Niyibizi
Traduit de l’anglais par Honorine Sebatware
Jambonews.net
Visitez le site www.insightfulquotient.com pour lire plus d’articles d’analyse économique et de développement humain concernant le Rwanda.
[1] http://www.guardian.co.uk/news/datablog/2011/apr/27/africa-education-spending-aid-data
[2] Rwanda education statistics report released by the Ministry of Education of Rwanda in January 2012, pg 8. Teacher and classroom pupils ratios means 1 teacher for every 58 pupils and 1 classroom for 81 pupils.
[3] http://www.unicef.org/rwanda/education.html
[4] https://www.gov.uk/government/speeches/statement-from-justine-greening-on-aid-to-rwanda
[5] http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002180/218003e.pdf
[6] http://www.reporters-360.com/2013/02/suicide-rate-increases-in-rwanda/