14 septembre 2011. Le président Joseph Kabila tient, dans sa ferme privée de Kingakati, un discours-bilan sur son mandat à la tête de la RDC. Ce jour-là, le vocabulaire politique congolais va s’enrichir d’un nouveau concept lancé par le président congolais: « La Révolution de la modernité ».
Quid de la « Révolution de la modernité » ?
C’est grâce à la campagne électorale de Novembre 2011 que cette expression lancée par Joseph Kabila va commencer petit à petit à se vulgariser : ses sympathisants et son équipe de communication, vont, à travers des multiples interventions médiatiques, s’époumoner à la promouvoir et à la populariser. Selon la pensée de son initiateur, la « Révolution de la modernité » peut être comprise comme une vision ambitieuse et à long terme de modernisation et de développement de la RDC. Cette expression sera même adjointe à la nouvelle dénomination du ministère du Plan (Ministère du Plan et du suivi de la Révolution de la modernité), lors de la mise en place du gouvernement Matata et depuis, les congolais s’y sont habitués, oubliant peu à peu celle des 5 chantiers en vogue lors de la précédente législature.
Bien avant la Révolution de la modernité
En effet, « la Révolution de la modernité », n’est pas le premier slogan entendu par la nation congolaise au cours de son histoire. Sous le long règne du Président Mobutu, elle a eu droit à un florilège de phrases chocs et des concepts à la fois ambitieux, originaux mais toujours creux dans leurs matérialisations : « Retroussons les manches », « Salongo alinga mosala », « Objectif 80 », « Moto na moto abongisa », « Plan Mobutu », « Plus rien ne sera comme avant », « le Septennat du social », « Tout doit changer, tout va changer ». La courte présidence de Laurent-Désiré Kabila a elle aussi eu son lot de concepts et de slogans : « Révolution-pardon », pour traduire une sorte de variante humaniste de la révolution populaire, « La paix se gagne », « la guerre finira où elle a commencé », slogans véhiculés au début de la guerre d’agression de 1998 ou encore « CPP, pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple »
Un concept assez flou
Tous ces slogans, bien que n’ayant pour la plupart jamais dépassé le cycle de la parole ont en commun un mérite : celui d’avoir un sens et de ne pas mobiliser une lourde cogitation pour les comprendre. Le « Retour à l’authenticité », par exemple, sur le plan sémantique, se comprend aisément comme une volonté de recours aux valeurs zaïroises de l’époque(en rupture avec le passé colonial), de même le « pouvoir au peuple, par le peuple et pour le peuple » cher à Mzee Laurent-Désiré Kabila est clairement une forme de galvanisation du nationalisme et du patriotisme du peuple congolais.
L’expression « Révolution de la modernité » quant à elle semble brumeuse. Le mot « révolution » peut être compris de diverses manières. Cependant toutes les définitions de ce mot s’accordent sur quelques points : une révolution est un changement à la suite d’une action (brutale ou violente). Quant au mot modernité, il exprime l’idée qu’une époque se fait d’elle-même dans sa différence avec ce qui la précède. Elle (la modernité) sous-entend donc une idée de changement et de nouveauté. Qu’en est-il alors de l’expression « Révolution de la modernité » ? En se basant sur la compréhension de ces deux mots (révolution et modernité), la « Révolution de la modernité » devrait donc être comprise comme un changement de ce qui est nouveau, c’est à dire « une action pour changer» ce qui est, en soit, déjà « un pas vers l’avant ». Quel serait le résultat d’un changement de ce qui déjà apporte du changement ?
Un concept à renommer
La modernité ne peut être révolutionnée. L’affirmer c’est user d’une tautologie insensée car en elle-même la modernité est déjà une forme de révolution. Voulait-t-on parler de « De la Révolution (du 17 mai 1997) vers la modernité » ? Pour traduire un certain progrès depuis la chute du régime du maréchal Mobutu à l’avènement de celui de Joseph Kabila ?, « De la modernité de la Révolution ? » ou de « Révolution moderne » pour marquer une sorte de rupture ou un caractère novateur par rapport aux révolutions d’antan ? On peut certes construire de belles routes, de beaux et grands hôpitaux, d’impressionnants barrages hydroélectriques, de magnifiques cités ; toutes ces réalisations ne sont pas une « révolution de la modernité » mais plutôt une « évolution » vers la modernité dans un Congo où presque tout est à reconstruire. De plus, comme l’affirmait le philosophe français, Jean Baudrillard : il n’y a pas de lois de la modernité, il n’y a que des traits de la modernité, Il n’y a pas non plus de théorie (de la modernité), mais une logique de la modernité. C’est ainsi qu’on parle d’Etat moderne, de technique moderne, de musique moderne, d’art moderne ou encore d’idée moderne.
Changeons l’homme congolais !
La première des révolutions en République Démocratique du Congo devrait être mentale. Loin d’être un slogan creux, ce « changement des mentalités », n’arrivera non pas du fait du hasard mais dépendra tout d’abord de l’action du congolais, du peuple congolais. Ce dernier a non seulement la volonté de changer, mais aussi le potentiel pour le faire. Malheureusement, il reste encore cantonné au stade de la parole et n’atteint jamais celui de l’action. Quelles seraient les causes à la base de l’incapacité congolaise à réellement changer ? La question mérite d’être posée.
Prince Djungu
Jambonews.net