Ceci est la troisième et dernière partie d’une série d’articles sur Victoire. Cliquez ici pour lire les parties I et II.
De l’intérieur des murs de la prison, la cause de Victoire semble avoir réussi à rassembler des foules de personnes de différents horizons. Mère de trois enfants, elle est apparue comme le premier leader politique rwandais en exil à rentrer pour régler ses désaccords politiques là où ils sont, soit sur le territoire rwandais. Inspirés par son engagement pour la vérité et la justice pour tous, plusieurs années après son arrestation, les partisans de Victoire remplissent encore les rues occidentales pour exiger sa libération. Parmi eux se trouvent aussi bien des Hutus que des Tutsis. Elle est la politicienne rwandaise la plus évoquée dans les médias internationaux, allant jusqu’à figurer sur l’ordre du jour de la Commission européenne. Son cas a reçu une couverture médiatique dans le monde entier et elle reçoit un nombre élevé de visites dans sa cellule personnelle à Kigali. « La Nelson Mandela féminine », comme ses fans aiment l’appeler, est devenue un exemple emblématique de courage et de détermination dans les questions politiques du Rwanda, inspirant beaucoup à adopter « sa » lutte pour en faire la leur.
Manifester pour Victoire
Environ 150 hommes et femmes de différents pays européens se tenaient devant le parlement néerlandais à La Haye le 25 janvier dernier. Certains d’entre eux portaient des signes sur lesquels on pouvait lire « Pays-Bas : cessez de soutenir le régime dictatorial du Rwanda » tandis que d’autres se faisaient entendre par les passants du centre commercial de La Haye.
Parmi les voix criant « Libérez Victoire » et « Justice pour tous » se trouvait celle de Frans Zwanenburg, le président de la Fondation pour la Liberté et la Démocratie au Rwanda (FFFDR), qui vise à « sensibiliser la communauté internationale sur la forme de gouvernance au Rwanda », en particulier par la promotion d’élections « libres et équitables ». Sous la direction du Néerlandais, FFDR a toujours défendu la libération immédiate de Victoire.
Zwanenburg et Victoire devinrent amis après s’être rencontrés à une réunion de parents à l’école de leurs enfants. Depuis l’arrestation de Victoire, le consultant s’est consacré à une campagne continue pour faire connaitre son histoire au grand public et aux politiciens néerlandais en particulier. Avec la famille proche de Victoire, Zwanenburg organisa notamment la pétition en ligne contre la détention de Victoire qui fut remise au chef de cabinet du Ministère néerlandais des Affaires étrangères le 9 Octobre 2012.
Lors de l’émission de télévision néerlandaise « De Reünie », diffusée le 27 Octobre 2013[i],
cliquez ici pour lire
l’activiste était filmé en tenue rose devant le Parlement néerlandais, distribuant des tracts aux membres du parlement. Dans ses commentaires à la journaliste il déclara : « Nous sommes ici comme tous les jeudis matins, nous affichons notre pancarte et nous vendons nos bracelets. Nous sommes ici pour attirer l’attention sur Victoire (…) qui a été faussement accusée et emprisonnée (…). Je suis là pour rester, nous avons convenu avec Lin et Remy [respectivement le mari et le fils de Victoire] que nous continuerons aussi longtemps qu’elle sera en prison ».
La manifestation de La Haye est l’une des nombreuses actions qui ont émergé depuis l’arrestation de la chef de l’opposition. A Bruxelles, le Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix (IWNDP – RifDP) avait mobilisé des dizaines de femmes et de filles pour se rassembler devant de la Commission européenne le 16 janvier, date exacte à laquelle la présidente du FDU quitta les Pays-Bas il y a 4 ans. « Aujourd’hui c’est la date symbolique du début de son calvaire (…). Dès son arrivée à Kigali, dans son premier discours au mémorial du génocide, elle avait demandé à ce que tous les Rwandais puissent se reconnaître dans le symbole [le mémorial] mais au lieu de ça, elle fut accusée d’être une négationniste», avait déclaré Primitiva Mukarwego, coordonnatrice du RifDP en Belgique à Jambonews.
Par ailleurs, le RifDP a créé le « Prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la Démocratie et la Paix » qui est décerné chaque année à une personne qui a contribué de manière significative à la démocratie et à la paix dans sa région. Mukarwego avait précisé que son organisation avait l’intention d’accueillir plus d’événements en son honneur. « Pour nous, Victoire est une femme exceptionnelle d’un sacrifice extraordinaire, une source d’inspiration pour notre génération de femmes et d’hommes. Nous devons utiliser notre liberté pour promouvoir la sienne », avait-elle ajouté.
Après la Belgique et les Pays-Bas, plusieurs rwandais au Royaume-Uni ont également manifesté pour Victoire devant le Commonwealth et Ministère des Affaires étrangères à Londres ce 29 Janvier. La manifestation visait à réclamer la justice pour le leader du FDU et était organisée par la branche anglaise de son parti politique en collaboration avec le Congrès national du Rwanda (RNC). Depuis Janvier 2010, les deux partis d’opposition en exil ont uni leurs forces dans une plate-forme qui se consacre à la lutte pour « la démocratisation et les libertés civiles » au Rwanda. En outre, les membres du RNC, pour la plupart ex-leaders du FPR et anciens hauts gradés de l’armée rwandaise, ont à plusieurs reprises condamné la détention de « prisonniers d’opinion », dont fait partie Victoire Ingabire.
Toujours au Royaume-Uni, Marie Lyse Numuhoza, une militante de Voices of African Women basée à Londres, décrit Victoire comme une croyante engagée dans la défense des droits de l’homme au Rwanda
Elle déclare : « La première fois que vous la voyez, dans un groupe d’autres femmes, elle est comme les autres, comme nous (…). Mais quand il s’agit de discuter des questions qui touchent notre pays, vous pouvez voir que, même si elle ne change pas, elle a de fortes convictions. [Convictions] d’une véritable unité du peuple rwandais basée sur une vraie démocratie et une véritable réconciliation du peuple rwandais. Elle croit très fermement aux gouvernements qui reconnaissent le potentiel des citoyens et les mettent en avant, afin qu’ils ne vivent pas dans la crainte et ne soient pas opprimés. »
Appel à l’action
Victoire avait bien prévenu ses compères. Avant son départ au Rwanda, largement remis en question, beaucoup se demandaient pourquoi Victoire souhaitait retourner de son plein grès dans ce pays que son propre parti politique qualifiait d’antidémocratique sous la main de fer du président Kagame. Un pays où déjà en 2010, l’année de son retour, les journalistes étaient harcelés et les politiciens emprisonnés, quand ils n’étaient pas portés disparus. Les spéculations sur son avenir sombre au Rwanda avaient commencé avant même qu’elle n’embarque dans l’avion à Amsterdam. Les Rwandais qui doutaient de son action auraient qualifié son retour de « kwishora » en Kinyarwanda, ce qui dans son cas signifiait se rendre à l’ennemi
Pourtant, aussi naïfs que ses projets aient pu sembler à certains, Victoire partait délibérément et consciemment avec l’objectif d’ouvrir l’espace politique rwandais. Un espace qu’elle estimait avoir été réduit et réservé exclusivement au « fatigant » FPR depuis sa prise de pouvoir en 1994. Elle prenait ainsi sur elle, d’être celle qui allait changer cela, celle qui allait remettre en question le statu quo et apporter la démocratie et la liberté à ses compatriotes.
Dès le départ déjà, il était clair qu’elle n’allait pas le faire toute seule. Dans sa réflexion sur l’idée de construire une force politique au sein des frontières rwandaises, une idée qui avait pris naissance en 2006, Victoire prévoyait déjà la possibilité d’être arrêtée à son arrivée. En effet, lors d’une conférence à Montréal, au Canada, elle exhorta son auditoire de ne pas rester derrière passivement pendant qu’elle allait devant eux pour lutter contre les problèmes persistants du pays. Elle leur demanda de ne pas seulement observer ce qui lui arriverait comme ils auraient « regardé un match de foot », mais plutôt d’être impliqués.
« Nous allons au Rwanda parce que c’est là que se trouvent les problèmes. [Problèmes] qui doivent être résolus par des gens qui sont sur place et non par ceux qui sont à l’extérieur. (…) Nous allons sur le terrain de football. Vous savez qu’au football, certains jouent à l’avant, pendant que d’autres jouent au centre, et d’autres encore à l’arrière, dans les buts. (…) Nous [FDU] allons devant. Je voudrais vous demander d’occuper les postes restants, au lieu de rester derrière et de vous moquer si je me fais arrêter, comme si vous regardiez la télévision »[ii], annonça la combattante pour la liberté.
Quatre ans plus tard, son public semble avoir pris note.
Négationniste ?
Cependant, tous ne sont pas charmés par le travail de Victoire. Pour exemple, Tom Ndahiro, ancien membre de la Commission Rwandaise des Droits de l’homme et journaliste pour le quotidien rwandais « The New Times », qui caractérise Victoire de négationniste affirmée, formée par des auteurs du génocide au camp de réfugiés de Mugunga en RDC. « Bien que Victoire Ingabire se décrive comme opposante politique, le parti qu’elle dirige actuellement a la négation du génocide et l’idéologie génocidaire comme doctrine de base (…) Victoire Ingabire a été formée par les cerveaux derrière le génocide», a-t-il déclaré à Radio Netherlands World[iii]
Cliquez ici pour lire .
Pourtant, les partisans de Victoire, hommes et femmes, semblent provenir des trois ethnies rwandaises. Sur Twitter, Revi Mfizi, 35 ans, rescapé du génocide des Tutsis, tweete régulièrement au sujet de la détention injuste de la chef d’opposition et affirme qu’elle est en prison parce que « le gouvernement rwandais est une répression systématique mais qui a maintenant atteint le niveau de rendements décroissants. »
Reverien Mfizi, de son état civil, a déclaré à Jambonews qu’il défend la libération de Victoire parce que, pour lui, elle représente « quelqu’un qui a posé des questions auxquelles notre société rwandaise n’était pas préparée ». Mfizi, actuellement doctorant aux États-Unis sur le sujet des guerres civiles et des régimes autoritaires, croit fermement au principe de la non-violence. « Pour moi, elle représente quelqu’un qui s’est rendu compte que l’utilisation de la violence dans la lutte pour le pouvoir politique est contre-productive. Le passé politique de notre pays a été caractérisé par la violence, et voir quelqu’un qui s’engage à une lutte politique non-violente est quelque chose qui doit être apprécié, » affirme l’adepte de Twitter.
Une prisonnière spéciale
Selon l’avocat de Victoire, Jan Hofdijk, elle a non seulement le soutien des masses, mais aussi des sphères plus élevées. Hofdijk avait annoncé à la radio néerlandaise Radio1 le samedi le 25 janvier que Victoire avait reçu la visite de la Commission du Conseil de sécurité des Nations Unies lors de sa visite au Rwanda.
L’avocat, qui avait également aidé à réunir Victoire et sa famille aux Pays-Bas en 1996, a déclaré : « Aujourd’hui, j’ai reçu d’excellentes nouvelles de Kigali. La Commission du Conseil de sécurité est maintenant au Rwanda et ils ont eu une réunion avec Victoire et le secrétaire de son parti en prison. Cela est très rare. Si elle avait été condamnée à juste titre la Commission ne lui aurait pas rendu visite. La Commission a également discuté avec le gouvernement rwandais, ils ont posé des questions sur la peine de Victoire. Le gouvernement aurait dit que Victoire pouvait écrire une lettre à l’Ombudsman et que l’on verrait à partir de là si sa peine pouvait être revue ». En pareil cas, la courageuse dirigeante pourrait alors voir sa peine allégée par le gouvernement rwandais, quelque chose qui serait tout à fait remarquable.
Par ailleurs, au cours des quatre dernières années, Victoire Ingabire Umuhoza est apparue de plus en plus comme une combattante emblématique de la liberté qui, aux yeux de ses adeptes, est à la tête de la « lutte pour la liberté et la démocratie au Rwanda ». Bien que certains puissent désapprouver son agenda politique et que beaucoup se soient interrogés sur ses plans présumés pour le Rwanda, en retournant au Rwanda de Kagame, elle s’est montrée face à ses partisans et à ses détracteurs comme une leader déterminée avec un plan courageux.
Elle a planifié et exécuté le retour dans son pays de naissance, avec comme cadeaux la réconciliation et la paix, malgré les dangers potentiels mais bien réels qui l’attendaient. Comme elle fait face à 12 ans de prison, ses partisans à travers le monde continuent de faire connaître son message et de célébrer son courage. Sa «supportrice numéro un », sa fille aînée Raïssa, n’est pas différente. À la question de ce qui rend sa mère si spéciale, la jeune fille de 25 ans a répondu : « C’est une combattante pas comme les autres, car elle considère tout le monde. Son combat n’en est pas vraiment un, c’est plutôt une façon de prendre un nouveau départ avec un état d’esprit différent pour le Rwanda. »
Jane Nishimwe
Jambonews.net
Traduit de l’Anglais par Rose Uwizeye