La responsabilité du supérieur hiérarchique de Mathieu Ngirumpatse
Le deuxième concept juridique qui a vu Mathieu Ngirumpatse être condamné à perpétuité en première instance est la responsabilité du supérieur hiérarchique.
Trois conditions doivent être réunies pour qu’un supérieur hiérarchique, civil ou militaire, soit tenu pour pénalement responsable de crimes commis par des subordonnés.Il faut premièrement qu’il existe un lien de subordination entre l’accusé et l’auteur du crime, c’est-à-dire, un pouvoir de contrôle ou de direction sur une personne, ensuite le supérieur doit savoir ou doit avoir des raisons de savoir que des crimes vont être commis par ses subordonnés et enfin, il faut que ce supérieur n’ait pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher les dits crimes ou en punir les auteurs.
En analysant les statuts du MRND, la chambre a conclu que Ngirumpatse n’avait aucune autorité légale sur les Interahamwe, le rôle du Président du parti étant surtout administratif (convoquer et animer les réunions, nommer et révoquer les cadres administratifs…)
Par contre, bien qu’elle estimait qu’en droit Mathieu Ngirumpatse n’exerçait aucune autorité sur les Interahamwe, la chambre de première instance a estimé qu’en tant que président du bureau exécutif du MRND, il était l’autorité de facto suprême sur les Interahamweà Kigali et Gisenyi pendant toute la durée du génocide et qu’il se trouvait donc être la personne qui, au Rwanda, exerçait le plus de pouvoir, d’influence et d’autorité de facto sur les Interahamwe durant le génocide et qu’il aurait donc à ce titre « pu empêcher les crimes commis par les miliciens Interahamwe de Kigali et de Gisenyi en s’élevant contre ces crimes et en les interdisant ».
La Chambre avait ajouté être convaincue que Ngirumpatse aurait pu punir les auteurs de crimes parmi les Interahamwe de Kigali et de Gisenyi, du fait de la position qu’il occupait et de l’autorité dont il était investi dans ces organisations« Il aurait pu sanctionner les auteurs de crimes sur le plan politique, les exclure de l’organisation, les priver de leurs avantages et privilèges, les humilier publiquement ou les rétrograder au sein de l’organisation, entre autres mesures ».
Au sujet de la condition de la connaissance, la chambre a estimé que Ngirumpatse ne pouvait pas ne pas être au courant que ces crimes se commettaient étant donné que les attaques et massacres perpétrés notamment par les Interahamwe de Kigali et de Gisenyi étaient d’une telle ampleur et « se commettaient si ouvertement qu’il aurait été impossible pour l’accusé de ne pas en avoir connaissance. »
La chambre ayant estimé établi que l’autorité de Mathieu Ngirumpatse sur les Interahamwe et qu’il savait que ces derniers commettaient des crimes, le débat s’est porté sur les mesures prises pour empêcher les crimes et principalement sur un discours du 10 avril 1994 diffusé sur les ondes de la radio nationale.
Dans ce discours à la nation,Mathieu Ngrirumpatse avait notamment déclaré :
« J’affirme qu’aucun parti politique n’a demandé à ses adhérents de se livrer aux tueries…
Que les militants s’occupent de la sécurité des autres, qu’ils quittent les routes. Que les voleurs cessent de voler. Que les tueurs cessent de tuer. Je voudrais alors, en ma qualité de président du MRND, demander à tous les militants du MRND, surtout la jeunesse, qu’au lieu de faire du mal, ils assurent la sécurité des autres, surtout celle des faibles »et il avait appelé les militants à ne pas « se battre contre des personnes non armées » car «ceux qui attaquent le Rwanda, ce sont les Inkotanyi, ce n’est pas le simple citoyen qui est sur la colline ».
La chambre de première instance, bien qu’ayant qualifié ce discours d’ « appel général à la paix »avait estimé qu’il « ne constituait pas pour autant une mesure nécessaire et raisonnable pouvant empêcher ses subordonnés de massacrer les Tutsis. »
Pour la chambre le langage de Ngirumpatse était « déraisonnablement vague » et « passait totalement sous silence le génocide que ses subordonnés étaient en train de perpétrer »
Ainsi, pour la chambre, l’injonction « que les tueurs cessent de tuer » utilisée par Ngirumpatse dans son discours était« par trop ambiguë », la chambre estimant que si Ngirumpatse avait réellement voulu prendre des mesures pour empêcher ses subordonnés de commettre le génocide, le seul message raisonnable qu’il aurait pu leur adresser était de dire : « Que les Interahamwe cessent immédiatement de massacrer les Tutsis ».
C’est sur base de cette conclusion que la chambre avait considéré comme « établi au-delà de tout doute raisonnable que Ngirumpatse n’a rien fait pour empêcher les crimes commis par ses subordonnés ou pour en réprimer la commission » et l’avait par conséquent condamné pour génocide sur base de la responsabilité du supérieur hiérarchique« à raison des crimes commis pendant toute la durée du génocide par les Interahamwede Kigaliet de Gisenyi ainsi que les membres du personnel administratif des ministères dirigés par le MRND, tel le colonelThéoneste Bagosora. »
« Influence mais pas d’autorité »
Dans son appel concernant la responsabilité du supérieur hiérarchique, l’avocat de Mathieu Ngirumpatsea longuement insisté sur la différence entre l’influence et l’autorité plaidant que durant toute la période durant laquelle il était Président du MRND, Mathieu Ngirumpatse bien que disposant d’une « influence, ne disposait d’aucune autorité ».
Pour l’avocat, « un civil ne peut se voir imputer une responsabilité de supérieur hiérarchique que s’il dispose de pouvoirs de même nature que ceux dont disposeraient des militaires ou dispose d’une autorité qui confère une parcelle de pouvoir étatique», deux éléments dont Mathieu Ngirumpatse était privé selon l’avocat.
« Celui qui a autorité décide, enjoint, ordonne, et n’a pas besoin d’intercéder » et pour démontrer son propos, il invoque, une lettre de Mathieu Ngirumpatse écrite à Habyarimana le 15/2/1993 dont on ne peut pas imaginer « qu’il la rédigeait, il y a 21 ans, pour se donner des preuves dans la perspective de notre audience ! »
Dans cette lettre , le Président du MRND écrivait alors « on ne peut pas désarmer la nation, quand le FPR se surarme ; il faut alerter le conseil de sécurité, les pays limitrophes, ceux qui ont une influence régionale pour empêcher la guerre ; il faut alerter le président du Burundi (dont il n’est pas ici inutile de rappeler qu’il était d’ethnie tutsie) ; il faut entrainer des jeunes issus du peuple entier, pour être en état de faire face au recours à la force dont le FPR est si friand qu’il attaque chaque fois que des solutions démocratiques se dessinent »
Pour l’avocat, cette lettre « traduit un attachement profond aux voies diplomatiques, et à la sauvegarde de la nation dans l’unité de ses composantes : la défense de la nation est l’affaire de tout son peuple ! » Mais elle montre aussi que« le 15 février 1993, Matthieu Ngirumpatse en appelait au Président qui, à sa différence, était détenteur de l’autorité. »
Après avoir rappelé que même les témoins du procureur étaient venus dire l’un après l’autre que « rien ni personne ne pouvait enrayer cette furie que les bombardements aveugles du FPR rallumaient lorsque les appels à la paix l’avaient apaisée », il s’est demandé comment Ngirumpatse aurait pu ordonner l’arrestation de fonctionnaires ou d’individus« lui qui n’avait aucun pouvoir judiciaire, policier, militaire, quand ceux qui en étaient investis n’ont pas pu les mettre en œuvre ; quel pouvoir avait-il pour démettre des fonctionnaires, emprisonner quiconque et dans quelle prison ? »
Au sujet des privilèges, dont la chambre estime qu’il aurait dû les priver, l’avocat s’interroge « infliger quelles sanctions ou priver de quels privilèges qui ne sont pas dans le jugement parce qu’ils sont inexistants ?», affirmant que « la qualité de membre du MRND n’offrait aucun avantage ni privilège, et celle de Président aucune capacité à en octroyer ou à en retirer ».
Et l’avocat continue « quelle punition, quelle sanction pouvait-il infligersur le plan politique, n’en ayant pas le pouvoir statutaire en temps de paix ? » « Exclure, rétrograder de l’organisation, avec quels moyens dans le chaos d’après le 6 avril, quand il n’y avait plus de parti structuré, plus de commission de discipline, parce que la débâcle a provoqué la dispersion de tous les militants, faisant du MRND une organisation fantôme ? »
Au sujet de l’humiliation que Mathieu Ngirumpatse aurait dû faire subir aux criminelsselon la chambre de première instance, l’avocat s’interroge « qu’aurait donc dû faire Mathieu Ngirumpatse en avril 1994 pour humilier publiquement les auteurs de crimes » ? « Aller de barrière en barrière, dans les rues de Kigali et en tout lieu du Rwanda, pour y proférer des paroles couvrant de honte des tueurs tels que Joseph Setiba ? » Pour l’avocat, « sa croisade se serait achevée dans son sang à la première barrière, à la première tentative d’humiliation », Maître Weyl rappelant que les juges avaient eux-mêmes admis que Ngirumpatse et les siens étaient exposés à chaque barrage qu’ils traversaient.
« La voie de la sagesse et de la raison n’était pas celle de humiliation, mais celle des appels au calme, au rétablissement de la sécurité, au respect des personnes. »
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Ruhumuza Mbonyumutwa
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