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« Le Rwanda s’acharne sur le mari de Victoire pour la briser »

« Le Rwanda s’acharne sur le mari de Victoire pour la briser »

Le vendredi 26 Septembre, Lin Muyizere, mari de l’opposante emprisonnée Victoire Ingabire, a reçu une lettre du Service néerlandais de l’immigration (IND). Dans cette lettre, il a été accusé de génocide. Les accusations semblent avoir un arrière-plan politique: plus de démoralisationde l’opposition rwandaise.

Légende photo : Lin Muyizere remettant une pétition à Angelien Eijsink, membre de la Chambre des représentants néerlandaise, le 21 janvier 2014 - Crédits: Anneke Verbraeken

Lin Muyizere remettant une pétition à Angelien Eijsink, membre de la Chambre des représentants néerlandaise, le 21 janvier 2014 – Crédits: Anneke Verbraeken


Jan Hofdijk, avocat de Lin Muyizere, a refusé la lettre du service néerlandais de l’immigration envoyée à son client. «Le IND croit aux mensonges du Rwanda », affirme-t-il. Il a retourné ladite lettre avec une lettre supplémentaire de sa part, exigeant de l’IND l’annulation des accusations.
Muyizere a la nationalité néerlandaisedepuis 2012 ; il est dépassé. «Comment puis-je dire à mon fils de 12 ans cette nouvelle? » demande-t-il. Son avocat Jan Hofdijk est furieux: «Le Rwanda utilise le mari de Victoire Ingabire pour la briser. Ils n’ont pas d’autres preuves en dehors de deux témoins anonymes. Cette lettre est la condamnation à mort de Muyizere ».
Victoire Ingabire se trouvait aux Pays-Bas lorsque le génocide a commencé en 1994, elle a vécu aux Pays-Bas pendant 16 ans. Elle est retournée au Rwanda en 2010 pour participer aux élections présidentielles. Mais elle n’en a jamais eu la chance. En Avril 2010, elle a été arrêtée pour la première fois. En 2013, la Cour suprême du Rwanda l’a déclarée coupable d’atteinte à la sécurité de l’Etat, négation du génocide et la propagation de rumeurs visant à inciter les gens. La Cour suprême a réaffirmé un jugement préalable, et a augmenté sa peine de 8 à 15 années d’emprisonnement. Son procès et l’appel ont été vus comme «politiquement motivés» par les organisations de défense des droits humains comme Amnesty International et Human Rights Watch.
L’actuel régime rwandais est admiré pour ses progrès économiques. Néanmoins, depuis les élections de 2010, le chef du pays, Paul Kagame, est de plus en plus la cible de critiques. Il a soutenu les rebelles à l’Est de la RDC selon plusieurs rapports de l’ONU et il dirige son pays d’une main de fer. L’an dernier, des centaines de personnes ont disparu, mais récemment, 40 à 60 corps ont été découverts par les pêcheurs dans un lac qui borde le Rwanda et le Burundi.

Inquiétude parmi les Rwandais de Belgique et des Pays-Bas suite aux accusations portées contre Lin Muyizere

« A l’époque je n’avais que deux ans, mais je ne serais pas surpris si le service de l’immigration m’accusait de génocide.»

 

Les fils de Muyizere et Ingabire - crédits: Anneke Verbraeken

Les fils de Muyizere et Ingabire – crédits: Anneke Verbraeken


Suite aux récentes accusations de génocide contre Lin Muyizere, les Rwandais en Belgique et aux Pays-Bas sont inquiets parce que ce qui est-il arrivé à Muyizere peut arriver à tous les Rwandais en exil. L’année dernière, j’ai fait une recherche sur la procédure par laquelle ces poursuites sont matérialisées et les résultats sont choquants. La preuve est basée sur des mensonges, manipulations, les hypothèses, les préjugés, l’ignorance, l’incompétence, l’indifférence et le pire de tout: des témoins anonymes et l’absence de contrôles.
Les personnes d’origine rwandaise aux Pays-Bas ont toutes les raisons d’avoir peur. Les services néerlandais de l’immigration et de naturalisation (IND) sont occupés par une réelle chasse aux sorcières des immigrés rwandais. Les quatre dernières années, des centaines de dossiers ont été re-vérifiés sous le nom de «1F indications». La dénomination 1 F est ainsi donnée d’après un article dans la Convention de Genève ,sur les meurtriers de masse et les criminels de guerre. En conséquence, au moins 15 immigrés rwandais sont désormais officiellement accusés d’être des meurtriers de masse; au moins deux personnes sont en prison dans l’attente de leurs éventuelles expulsions et deux autres sont en prison parce que le Rwanda a demandé leurs extraditions.
Chose très importante dans cette procédure est « Individueel Ambtsbericht (IAB)» [signifiant : rapport personnel sur l’accusé ]. Ce rapport est invoqué durant toute la procédure ainsi que devant les tribunaux. Ce rapport est basé sur une enquête menée au Rwanda par l’ambassade néerlandaise. L’ambassade utilise des chercheurs « spéciaux », pour la plupart des avocats expérimentés, pour faire cette enquête. Ils parlent aux témoins et recueillent des preuves sur la culpabilité ou l’innocence des personnes concernées. Ils mettent leurs conclusions sur papier et c’est le ministère néerlandais des Affaires étrangères qui formule le rapport personnel officiel.
Quand j’étais à Kigali en mai dernier, j’ai parlé à un de ces chercheurs spéciaux. Ce qu’il m’a dit était vraiment choquant: au moins deux rapports positifs qu’il a faits sur ​​deux accusés ont été laissés dans un tiroir à Kigali, tandis qu’un rapport négatif, fait par un autre chercheur, a été envoyé aux Pays-Bas. Il était très en colère et c’est pourquoi il a voulu me parler, même s’il savait qu’ une telle action était risquée pour lui et sa famille.

« Oosting successeur de Brenninkmeijer a conclu que l’IAB n’a pas été rédigé de façon très précise et a déclaré que l’attitude du service de l’immigration est biaisé et partiale.»

De retour aux Pays-Bas, j’ai parlé à l’IND, le ministère des Affaires étrangères et avec les juges. Cependant, la police et les procureurs n’ont jusqu’à présent pas convenu d’un rendez-vous. De ces entretiens, j’ai découvert que les témoins du rapport IAB sont en fait anonymes, la seule personne capable de les identifier et qui est en contact avec ces témoins est le chercheur spécial. En ce sens, le chercheur peut inviter des témoins, apporter certaines preuves, et en ignorer d’autres ; il n’y a personne pour vérifier son travail. Il n’y a personne de l’ambassade, de l’IND ou du ministère des Affaires étrangères qui s’entretient avec ces témoins afin de vérifier leurs déclarations. Dans un pays comme le Rwanda, où la vérité a de nombreux visages, une procédure comme celle-ci est au moins alarmante. Je ne suis pas la seule critique de l’IAB, le Médiateur néerlandais a écrit des rapports négatifs à deux reprises, en 1998 et 2007. L’ombudsman Marten Oosting a conclu que les ambassades n’étaient pas transparentes sur les témoins, les sources et la façon dont ils ont obtenu leurs informations. De plus, le ministère des Affaires étrangères n’a pas vérifié si les sources et les informations sont complètes et le ministère a été négligent en ce qui concerne les sources et les témoins. Les choses n’ont pas beaucoup changé en 2007. Oosting successeur de  Brenninkmeijer a conclu que les IAB n’ont pas été rédigés de façon très précise et a déclaré que l’attitude du service de l’immigration était biaisée et partiale. De ma propre expérience, je peux dire que rien n’a changé. Pourtant, cette procédure controversée est la base sur laquelle les accusations de crimes les plus graves de la planète sont formulées. Les juges néerlandais semblent cautionner les IAB presque inconditionnellement.

«La manière dont l’IND prépare un dossier est inquiétante.»

En outre, la manière dont l’IND prépare un dossier est inquiétante. Souvent, le dossier sur l’accusé est plein d’erreurs. Les lieux et les noms sont souvent mal orthographiés ou confondus. L’IND utilise beaucoup de sources Internet peu fiables, des ONG attachées aux régimes comme African Rights et cite beaucoup le Tribunal d’Arusha, sans relation avec l’accusé. Avec leurs avocats, les personnes visées par ces poursuites sont livrées à elles-mêmes avec tous ces documents, pour démontrer que rien de cela n’est vrai.
Heureusement que le système judiciaire néerlandais est honnête et transparente, de sorte que l’accusé a peut-être une chance, pourrait-on dire. Mais c’est le contraire car le système judiciaire néerlandais fonctionne contre lui. L’accusé doit faire face au droit administratif, et non pas au droit pénal. En droit administratif, le ministère public peut accuser, mais n’a pas à prouver quoi que ce soit. Le fardeau de la preuve incombe à l’accusé. Dans le cas du Rwanda, pour l’accusé, prouver son innocence est pratiquement impossible étant donné que les crimes en question ont eu lieu il y a vingt ans.
Les juges néerlandais ont, jusqu’à présent, décidé dans presque tous les cas, que l’accusé peut être renvoyé au Rwanda. Cela fait suite à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme rendue il y a quelques années, dans laquelle la Cour a jugé le système judiciaire rwandais de bonne qualité. Les gens, qui sont accusés selon le « 1F » perdent tout aux Pays-Bas, deviennent des illégaux, ne sont pas autorisés à travailler et n’ont pas le droit au logement ou aux soins de santé. Pour les enfants, c’est dévastateur. A noter, il semble que sont ciblés par ces procédures les Rwandais actifs dans l’opposition politique et les Rwandais qui ont des biens immobiliers au Rwanda.

« Il est très difficile pour les autorités néerlandaises d’admettre qu’il y a encore quelque chose qui cloche dans un système dans lequel ils ont beaucoup investi.»

Prison de Nyanza - Crédits: Anneke Verbraeken

Prison de Nyanza – Crédits: Anneke Verbraeken


Mais qu’est ce qui fait que les Pays-Bas sont si désireux d’accuser les Rwandais? Officiellement, le gouvernement dit qu’il ne peut pas abriter des meurtriers de masse et qu’il est préférable d’envoyer ces gens au Rwanda où les crimes ont été commis. Pour le gouvernement néerlandais, le Rwanda est le mieux placé pour se prononcer sur ces cas. En outre, il est beaucoup moins cher de les envoyer au Rwanda parce qu’un procès aux Pays-Bas est plus cher et consommateur d’énergie et de temps. Le fait est que les Pays-Bas ont soutenu le système judiciaire rwandais depuis la fin du génocide. Ils ont formé des juges, des procureurs et des avocats. Ils ont même construit une partie de la prison de Nyanza. Par conséquent, il est très difficile pour les autorités néerlandaises d’admettre qu’il y a encore quelque chose qui cloche dans un système où ils ont investi beaucoup. Le seul contrepoids est que les Néerlandais n’ont pas signé de traité d’extradition avec le Rwanda.
Avec les nouvelles accusations sur Muyizere, chaque Rwandais a peur. Rémy, son fils a dit sur ​​Facebook: « Je n’avais que deux ans en 1994, mais je ne serais pas surpris s’ils m’envoyaient une accusation également. »
 
Quand on regarde le rapport personnel (IAB) de Muyizere , il y a des raisons d’être inquiet. La demande a été reçue par l’ambassade à Kigali le 10 juin 2010, soit seulement quelques semaines après la première arrestation de sa femme, en Avril 2010, et seulement quelques semaines avant les élections présidentielles. Au cours de cette période au Rwanda, une étincelle mineure pouvait produire une grosse explosion. La tension était énorme. Les journalistes et les politiciens ont fui le pays, les médias ont été interdits; les grenades explosaient partout. Un journaliste et un membre du Parti Vert ont également été assassinés à cette époque. Pourtant, c’est durant cette période que certains fonctionnaires néerlandais ont décidé d’ouvrir une enquête visant le mari de Victoire Ingabire. Soit on est complètement naïf ou ignorant de la situation, soit il y a d’autres motifs qui ont poussé le lancement de cette enquête à cette époque-là. Je laisse le lecteur décider.
 
Par Anneke Verbraeken
Traduit de l’anglais par Pacifique Habimana
Jambonews.net
 
Anneke Verbraeken est une journaliste chercheuse indépendante, spécialisée dans la Région des Grand lacs d’Afrique. Elle écrit actuellement un livre sur Victoire Ingabire et est une militante pour les droits de l’homme au Congo.
 
 

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