L’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion de l’ex-président rwandais Juvénal Habyarimana qui fut l’élément déclencheur du génocide rwandais ne cesse de subir des rebondissements. Après la clôture de l’enquête en juillet dernier, et sa réouverture il y a tout juste un mois, on apprend qu’un témoin a été enlevé à Nairobi, juste quelques jours avant son audition devant les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux chargés du dossier.
Estimant être allés au bout de leur travail d’enquête, les juges français, Trévidic et Poux, annonçaient le 8 juillet dernier la clôture de leur enquête sur l’attentat qui couta la vie à l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue burundais. Trois mois plus tard, alors qu’ils devaient bientôt rendre les conclusions de leur enquête, coup de théâtre, les mêmes juges annoncent avoir rouvert l’enquête, car « il y aurait des éléments nouveaux ».
Deux semaines seulement après l’annonce de la réouverture de l’enquête, on apprend par la RFI qu’un témoin qui devait être auditionné prochainement par les juges chargés de l’enquête a été kidnappé à Nairobi. Coïncidence ou complot de ceux qui craignent de voir la lumière éclater au grand jour dans le dossier Habyarimana?
Le témoin disparu serait un rwandais dénommé, Émile Gafirita. Il était installé à Nairobi depuis quelques mois. Émile Gafirita connaissait en tout cas selon son avocat, les risques qu’il encourait en acceptant de témoigner dans le dossier Habyarimana. Il était connu sous le nom d’Emmanuel Mugisha, un nom d’emprunt. Émile Gafirita était en 1994 un kadogo (enfant-soldat) du FPR. Il faisait partie du 3e bataillon installé à l’époque, suite aux Accords d’Arusha, dans le CND. D’après nos informations, il était à l’époque dans la garde rapprochée du Général de Brigade Charles Karamba, actuel commandant de l’académie militaire de Nyakinama et ancien chef du renseignement du 3e bataillon de l’APR. Après la conquête du pays par le FPR-APR, il est même devenu son chauffeur personnel. Charles Karamba est l’un des officiers de l’APR mise en cause dans le rapport de juge Bruguière comme étant directement impliqué dans l’attentat du 6 avril contre l’avion du Président Habyarimana.
Il aurait contacté par lettre les juges d’instruction français affirmant être l’un des convoyeurs des missiles vers le CND qui devaient servir à abattre l’avion du Président Habyarimana. C’était donc pour pouvoir recueillir son témoignage que les juges Trevidic et Poux auraient rouvert l’instruction.
C’est dans la nuit du 13 novembre dernier qu’il a été kidnappé par deux hommes dans le quartier Dagoretti à Nairobi en rentrant chez lui. Il avait reçu dans la journée sa convocation pour témoigner dans l’affaire Habyarimana, a affirmé à la RFI son avocat français, Maître François Cantier. D’après les informations que nous avons recueillies, il aurait échappé il y a quelques années à une tentative d’assassinat alors qu’il se trouvait en exil en Ouganda.
Des charges pèsent sur sept des proches du président Paul Kagame dans le cadre de cette affaire. Son régime a été à maintes fois mis en cause dans de nombreux enlèvements, intimidations et mêmes assassinats d’opposants à l’étranger, ce qui pousse de nombreux observateurs à voir dans ce rapt de Nairobi, la main du régime Kagame.
Émile Gafirita n’est pas le premier témoin dans l’enquête contre l’avion de Habyarimana à disparaitre, Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements extérieurs du Rwanda, devenu fervent opposant au régime de Paul Kagamé, a été assassiné le 31 décembre 2013, dans un hôtel à Johannesburg. Considéré comme un témoin direct dans l’attentat du 6 avril, quelques mois avant son assassinat, ce dernier avait accusé publiquement le général Kagame d’être responsable de cet attentat, Karegeya a même affirmé détenir les preuves impliquant l’actuel l’homme fort du Rwanda. Mais il n’a jamais pu être entendu par la justice.
L’ancien chef d’état-major du Rwanda Kayumba Nyamwasa, coaccusé dans l’affaire Habyarimana et exilé en Afrique du Sud, est un autre témoin considéré comme clé dans ce dossier, d’ailleurs une commission rogatoire a été transmise en avril 2012 aux autorités sud-africaines pour pouvoir l’interroger. Ce dernier a fait également l’objet de deux tentatives de meurtre, en juin 2010 et mars 2014, deux rwandais ont été reconnus coupables par la justice sud-africaine pour la première tentative.
La question qui se pose alors est la suivante : « à qui profite cette disparition ? » Si pour la défense c’est une manipulation visant à retarder le verdict, pour les parties civiles, c’est une nouvelle entrave à la justice, diligentée par le régime pour éviter que la lumière soit faite sur cet épisode tragique de l’histoire rwandaise.
Jean Mitari
Jambonews.net