C’est dans le secret le plus total que le Général Major Sam Kaka et le Général de Brigade Joseph Nzabamwita, deux anciens officiers du FPR-APR et proches du Président Paul Kagame, ont effectué une visite de quelques jours à Bruxelles au mois d’octobre 2016. Une nouvelle qui a de quoi étonner quand on sait que les deux officiers rwandais sont sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par la justice espagnole en 2008. Que venaient faire ces deux proches de Kagame dans la capitale de l’Europe? Quelques éléments de réponse dans cet article.
Deux personnages recherchés par la justice sur le territoire belge
Des informations parvenues à Jambonews font état d’une visite entreprise dans le plus grand secret par le général major Sam Kaka et du brigadier général Joseph Nzabamwita à Bruxelles en octobre 2016. Ils seraient arrivés à Bruxelles le 12 octobre dernier à bord d’un vol régulier qui a atterri à l’aéroport internationale de Zaventem pour une visite de 3 jours dans la capitale belge. Une information qui a de quoi surprendre. En effet, les deux hommes font partie d’une liste de 40 officiers militaires du FPR-APR épinglés par la justice espagnole pour crimes de guerre, crimes de génocide et terrorisme.
Sam Kaka et Joseph Nzabamwita sont des proches du président Kagame. Le premier n’est autre que l’ancien Chef d’État major du FPR-APR durant la campagne de conquête du Rwanda en 1994 et le second est le responsable des Services nationaux de renseignement et de sécurité (NISS). Ils sont tous deux visés par un mandat d’arrêt européen émis par la justice espagnole.
Pour rappel, en 2000, la justice espagnole avait été saisie par des proches de religieux et humanitaires espagnoles assassinés au Rwanda entre 1994 et 1997. Après une longue enquête, dans un acte daté du 6 février 2008, Fernando Andreu Merelles, juge d’instruction à Madrid du tribunal de l’Audience nationale, la plus haute instance pénale espagnole, avait requis un mandat européen de « recherche et capture » contre 40 militaires rwandais du FPR-APR qu’il incriminait sur la base des déclarations de 22 témoins protégés, dont d’anciens collaborateurs du président Kagame. Le juge espagnol avait estimé en 2008, dans un document de 181 pages, que le Front Patriotique rwandais (FPR) actuellement au pouvoir et dirigé par le Président Paul Kagame, a depuis sa prise de pouvoir en juillet 1994 généré « un véritable règne de la terreur, non seulement par la structure même de cette dictature, mais surtout par la mise en place de structures parallèles responsables de crimes odieux commis contre la population civile, tant nationale qu’étrangère ».
L’antécédent du général Karake à Londres
Le général Emmanuel Karenzi Karake, à l’époque responsable des Services nationaux de renseignement et de sécurité, avait été arrêté le 20 juin à l’aéroport de Heathrow à Londres, à la demande des autorités espagnoles. Il avait été libéré sous caution quelques jours plus tard, avec obligation de se présenter une fois par jour à la police, dans l’attente d’une décision sur le fond.
Le 10 août 2015, le tribunal de Westminster Magistrate à Londres avait annoncé refuser de transférer Emmanuel Karenzi Karake à l’Espagne qui en faisait la demande en raison de la juridiction britannique.
Un porte-parole du tribunal de Westminster Magistrate avait expliqué que les « accusations spécifiées dans le mandat d’arrêt » n’entraient pas dans le cadre des infractions couvertes par la procédure d’extradition britannique. « Après un examen attentif, nous ne pensons pas qu’une extradition peut être prononcée au regard des faits reprochés, selon la loi britannique », avaient confirmé les services du procureur de la couronne (CPS) dans un communiqué. Selon une source judiciaire espagnole, c’est « le juge [britannique qui] a estimé que le Royaume-Uni n’était pas compétent pour examiner ce genre de crimes commis hors du territoire britannique », confirmant ainsi que les poursuites contre les officiers Rwandais n’étaient pas abandonnées, comme l’annonçaient les autorités rwandaises qui fanfaronnaient, mais qu’il n’était tout simplement pas possible de poursuivre l’opération judiciaire sur ce cas bien précis en raison de la loi britannique.
La loi de compétence universelle espagnole ayant été modifiée depuis 2014 , l’Espagne n’a plus le droit de juger des crimes de guerre et crimes de génocide commis hors de son territoire à moins que les accusés soient Espagnols ou se trouvent sur son sol. Par conséquent, la justice espagnole a suspendue provisoirement les mandats d’arrêt de 29 des 40 officiers rwandais. En effet, les 11 autres dont font partie Sam Kaka et Joseph Nzabamwita étant également accusés de terrorisme, leur mandat d’arrêt reste en vigueur. Il est alors étonnant de constater que Sam Kaka et Joseph Nzabamwita aient pu impunément et en toute liberté entrer sur le territoire de l’Union européenne, en l’occurrence le territoire belge, y séjourner et en repartir sans qu’ils ne soient aucunement inquiétés par les autorités belges.
Rapprochement entre le régime Kagame et le CNARED ?
Toujours selon les informations recoupées par Jambonews, il semble évident que les deux hommes n’étaient pas venus dans la capitale belge pour y faire du tourisme, manger des frites et visiter le célèbre Manneken-Pis. L’objet de leur visite était tout autre : selon nos sources, les deux proches du président Kagame étaient présents dans la capitale belge dans le dessein de rencontrer les représentants du Conseil National pour le Respect de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi et la Restauration de l’État de Droit (CNARED). Le CNARED est la principale plateforme burundaise d’opposition au régime du président Nkurunziza. Composé des principales personnalités de l’opposition issues autant du monde politique, de la société civile que du monde militaire, le CNARED a la particularité de rassembler des personnalités aux origines et aux idées très hétéroclites. Cette rencontre entre les deux proches de Kagame et la CNARED annoncent-elles un rapprochement entre le régime de Kigali et la plateforme d’opposition à Nkurunziza ? C’est la question qui se pose présentement.
Sam Kaka, un curriculum vitae particulièrement sanguinaire
Le Général Samuel Kanyemera, alias Sam Kaka, est très proche du président Paul Kagame. Durant la guerre de conquête initiée par le FPR-APR, il occupait la fonction de chef d’État major de l’APR. Durant la campagne de conquête du FPR-APR débutée en octobre 1990, Sam Kaka était major et membre du Haut commandement du FPR, à la tête de l’Unité Alpha Mobile (Alpha Mobile Unit).
Selon les témoignages obtenus par les enquêteurs dans le cadre de l’enquête espagnole, il se dégage des indices qui indiquent qu’il aurait été un des responsables des opérations militaires contre la population civile, en plus des disparitions, exécutions sommaires et autres actes similaires contre la population Hutu des localités de Munyanza, Kiyanza, Rutongo, Kabuye et, par-dessus tout, dans la « sanglant» massacre du camp de déplacés de Nyacyonga en 1994. Au total, il est accusé d’être le responsable direct de la disparition de près de 12.000 civils entre 1990 et 1997.
En plus de ces très sévères accusations de la justice espagnole, Sam Kaka est dans le collimateur de la justice française. Celle-ci l’a mis en examen pour « complicité d’assassinats en relation avec une entreprise criminelle » dans le cadre de l’enquête visant à déterminer les responsables de l’attentat du 6 avril 1994 ayant déclenché le génocide. Cette enquête avait été initiée par le juge Bruguière qui avait lancé un mandat d’arrêt contre Sam kaka, avant d’être reprise par les juges Trevidic et Poux. Alors qu’on pensait l’instruction clôturée, elle a été récemment rouverte par le juge Jean-Marc Herbaut qui souhaite entendre le général Kayumba Nyamwasa, lui aussi ancien membre du haut commandement du FPR-APR et exilé depuis 2010.
Sam Kaka a quitté ses fonctions dans l’armée en 1998. Après cela, il occupa différents postes civils, devenant notamment membre du parlement sous l’égide du FPR. Il fut arrêté en 2007 alors qu’il était député et accusé d’avoir entravé, en compagnie de Frank Rusagara, le travail de la police qui tentait d’appréhender le regretté homme d’affaires, Assinapol Rwigara.
Extremement craint dans les années 1990 pour sa cruauté, il est depuis devenu beaucoup plus discret, ne s’occupant plus que de quelques dossiers stratégiques pour le compte du Président Kagame. Depuis février 2015, il a été nommé commissaire à la Commission nationale des droits de l’Homme, soulevant la réaction critique des organisations de la société civile à la lumière des graves accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dont il fait objet.
Nzabamwita, d’homme de main à chef du NISS
Le brigadier général Joseph Nzabamwita est lui aussi très proche du président Kagame. Durant la campagne de conquête du FPR-APR, il était un jeune capitaine et membre de la Directorate Military Inteligence (DMI) sous les ordres du général Nyamwasa. Le DMI est depuis sa création jusqu’à nos jours la branche opérationnelle utilisée par les services de Kagame pour toutes les basses besognes. Joseph Nzabamwita est quant à lui accusé par la justice espagnole d’avoir participé à la disparition et l’assassinat du prêtre espagnol Joaquim Vallmajo ainsi que d’autres religieux rwandais de la zone de Byumba. Il serait également responsable l’exécution des massacres contre la population civile dans la ville de Byumba et dans les environs. Il aurait notamment directement participé aux sanglants massacres commis dans le stade de Byumba et à Nyinawimana.
Nzabamwita a monté toutes les marches jusqu’à devenir brigadier général et l’un des hommes de confiance du président Kagame. Occupant tour à tour les postes de responsable adjoint des services de sécurité extérieur, attaché militaire à l’ambassade du Rwanda de Washington, puis ensuite le très stratégique poste de porte-parole des Rwandan Defense Force (RDF). Il a remplacé en mars 2016 son ainé, le général Emmanuel Karenzi Karake, au poste de Secrétaire général des Services nationaux de renseignement et de sécurité (NISS).
Emmanuel Hakuzwimana
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