Ce lundi 4 septembre 2017, une dizaine de policiers ont arrêté Diane Rwigara, sa mère Adeline Rwigara et sa sœur Anne Rwigara et les ont amenées au poste de police, avant, selon la police, de les relâcher dans la foulée. Cet épisode constitue un énième rebondissement dans une affaire autour de laquelle règne, depuis une semaine, une grande confusion en raison des versions divergentes qui circulent.
Rétroactes
Diane Rwigara est une jeune femme de 35 ans qui avait décidé de se présenter aux élections présidentielles rwandaises du 4 août 2017. Elle est aussi la fille d’Assinapol Rwigara, un riche homme d’affaires souvent présenté comme « le financier du FPR », le parti au pouvoir au Rwanda, et qui est tombé en disgrâce, en raison de son indépendance selon sa famille. Le 4 février 2015, Assinapol Rwigara décédait; officiellement suite à la collision entre sa voiture et un camion, mais pour la famille qui avançait plusieurs éléments en ce sens, il s’agissait plutôt d’un assassinat maquillé en accident.
Très rapidement après l’annonce de sa candidature, Diane Rwigara a été vue comme la principale challenger de Paul Kagame et les soucis ont commencé pour elle et son entourage. Elle fut empêchée de se présenter aux élections, les autorités prétextant un nombre de signatures valables insuffisant, là où elle déclarait avoir près du double des signatures nécessaires.
La suite est connue. Sans réelle opposition, Paul Kagame remporta l’élection avec 98,63% des voix pour un taux officiel de participation de 96,42%. On pensait alors l’affaire close et Diane Rwigara ainsi que sa famille hors du collimateur des autorités rwandaises.
Mais le mardi 29 août, Diane Rwigara et une partie de sa famille ont été interrogées par la police. Suite à l’interrogatoire, la famille n’a plus donné signe de vie et Aristide Rwigara, l’un des frères de Diane vivant aux Etats-Unis, a affirmé à Reuters, sur base de témoignages qui lui étaient parvenus, que sa famille avait été emmenée menottée par la police, dans un lieu inconnu. Depuis plusieurs jours, la confusion régnait car la police de son côté affirmait catégoriquement ne pas détenir la famille, assurant n’avoir procédé à aucune arrestation, mais reconnaissant avoir fouillé le domicile en raison de soupçons d’« évasion fiscale » et de « falsifications de documents ».
La version de la police rwandaise était toutefois sujette à caution car il arrive fréquemment qu’elle nie détenir des personnes avant de le reconnaître par la suite. L’un des derniers épisodes retentissants en date concerne Violette Uwamahoro, une Rwando-britannique enceinte qui s’était rendue au Rwanda pour l’enterrement de son père. Bien qu’elle ne soit membre d’aucun parti politique, Uwamahoro est mariée à Faustin Rukundo, un cadre du mouvement d’opposition Rwanda national Congress. Le 14 février 2017, alors qu’elle s’apprêtait à regagner la Grande-Bretagne, elle n’avait plus donné signe de vie et pendant plusieurs jours, les autorités rwandaises avaient nié la détenir, avant que la police ne confirme sa détention le 3 mars 2017.
Ce lundi 4 septembre 2017, coup de théâtre dans l’affaire Rwigara. Plusieurs journalistes ont été invités par la police afin d’assister à l’arrestation de la famille et constater que durant toute cette période pendant laquelle sa disparition était annoncée « la famille se cachait dans sa cuisine » comme le rapporte le New Times, le principal quotidien pro gouvernemental rwandais.
« Si c’est moi que voulez, prenez-moi, amenez-moi, mais qu’est-ce que ma famille a à voir là-dedans? »
Mais malgré la confusion de la scène et le nombre de policiers et journalistes présents, Diane Rwigara et sa mère Adeline Rwigara se sont exprimées et ont donné leur version des faits.
Dans une vidéo de l’arrestation devenue virale au cours des dernières heures, l’on entend Diane Rwigara et sa mère s’écrier en chœur « depuis combien de temps sommes nous enfermés ici ? Pourquoi venez-vous mentir aux journalistes ? »
La candidate empêchée s’adresse ensuite seule à un des policiers, » Dites-nous d’abord ce que vous nous reprochez ? » Et le policier lui répond d’une voix calme « Vous le saurez une fois arrivés au poste de police. »
Particulièrement remontée, la jeune femme hausse ensuite le ton et continue en s’adressant au même policier : « Vous nous avez enfermés ici, vous avez pris tout notre argent, vous avez pris tous nos téléphones, comment vouliez-vous que nous nous rendions au poste alors que vous ne nous avez rien laissé ? Vous êtes juste des menteurs et des voleurs ! » Avant de continuer d’une voix ferme : « Si c’est moi que vous voulez, prenez-moi, amenez-moi, nous savons tous ce que vous me reprochez, à savoir que je me sois portée candidate aux élections, mais qu’est-ce que ma famille a à voir la dedans ? Que reprochez-vous à ma mère ? Que reprochez-vous à mes frères et sœurs ? »
« Il va tuer mon enfant »
Dans une audio qui circule également sur les réseaux sociaux et qui semble être la suite de la scène, l’on peut entendre la maman de Diane Rwigara, manifestement en passe d’être menottée, prendre le relais de sa fille et s’écrier « Laisse-moi parler, laisse-les me mettre les menottes, j’y suis habituée, j’y suis habituée, cela fait une semaine que mes enfants et moi sommes menottés, enfermés dans cette maison, ma fille s’est présentée comme une Rwandaise, dans ce pays dans lequel personne n’a aucun droit (…), amène vite les menottes, j’y suis habituée! »
Après un court moment de confusion, la veuve d’Assinapol Rwigara continue : « Vous les avez amenés (parlant des journalistes, ndlr), alors laissez-nous nous exprimer, vous n’êtes pas malins, vous pensez que ce sont tous des tueurs comme vous? L’Etat s’est engagé à exterminer sa propre population.(…) »
S’adressant ensuite aux journalistes présents, la mère de famille déclare : « Cela fait une semaine que mes enfants et moi sommes dans cette maison, menottés et sous la surveillance de la garde présidentielle, ils nous ont pillés, ils ont détruit notre maison, le plafond a été détruit, tout est à même le sol, toutes les portes ont été défoncées, ils ont pris tout notre argent! »
Elle est ensuite interrompue par un brouhaha dans lequel on entend notamment des chiens aboyer et dans lequel on peut distinguer un homme crier « Qu’est-ce que tu fais ? ».
L’on distingue ensuite à nouveau la voix de la mère de famille qui s’exclame, presque en sanglots, sur un ton d’appel à l’aide : « Attention tu vas tuer mon enfant, il est entrain de tuer mon enfant, ils veulent aller tuer mon enfant, ils veulent aller tuer mon enfant, c’est ce à quoi ils sont habitués (…) depuis 1995, un état de tueurs, vous êtes des Interehamwe d’un autre genre ! »
Diane, Anne et Adeline Rwigara ont ensuite été emmenées au poste de police. Ce 5 septembre au matin, la police rwandaise annonçait sur son compte twitter que les trois femmes avaient été ramenées à leur domicile suite à l’interrogatoire et a dans la foulée ajouté que « l’enquête continue et que ceux qui sont impliqués peuvent être rappelés pour d’autres interrogatoires ».
En réponse au tweet de la police, le compte officiel de Diane Rwigara, actuellement géré par son assistante, a répondu : « Si les Rwigara sont libres, pourquoi n’ont-ils aucun contact avec quiconque, famille, amis, ou autorités belges ? », avant d’ajouter dans un second tweet « Le harcèlement et l’oppression de la famille Rwigara continuent. La police est délibérément entrain de tromper le public. »
« Notre campagne continuera »
Dans un communiqué envoyé à la presse ce 5 septembre 2017, Aristide Rwigara, le frère de Diane, actuellement aux Etats-Unis, dénonce les propos de la police selon lesquels la famille avait refusé de répondre aux convocations de la police et les qualifie de « façon erronée de couvrir la détention illégale à laquelle la famille avait été soumise depuis le mardi 29 août 2017 ».
Dans le communiqué, le jeune homme affirme ne pas savoir où, entre les lieux de détention et la maison, la famille aurait passé ses dix dernières nuits. « Nous savons juste qu’ils ont été empêchés de communiquer avec qui que ce soit d’autre, y compris les membres de la famille et les amis proches.»
Il termine son communiqué en remerciant toutes les personnes qui se sont mobilisées en faveur de la famille et estime que leurs actions « pourraient avoir sauvé leur vie ». Il conclut en expliquant que la campagne continuera « jusqu’à ce que cette opération illégale et d’oppression contre la famille Rwigara soit terminée ».
Ruhumuza Mbonyumutwa
Jambonews.net
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