Une conférence devait se tenir au Parlement belge ce jeudi 1 mars 2018 pour débattre de la proposition de loi du Député Gilles Foret, visant à réprimer la négation du génocide commis contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Néanmoins, cette conférence initiée par l’association Jambo, a été annulée à la dernière minute, suite aux pressions du gouvernement rwandais sur des parlementaires belges ; un gouvernement rwandais qui a en même temps multiplié les attaques sur les réseaux sociaux contre les initiateurs du projet dans le but de les décrédibiliser. Jambo asbl dénonce un déni de démocratie, et s’inquiète de cette influence que le régime rwandais peut exercer sur des députes belges. L’asbl a décidé de ne pas en rester là et va dès lors porter ce débat en justice.
Alors que Jambo asbl était occupée à organiser une conférence au Parlement belge autour de la proposition de loi du député Gilles Foret, visant à sanctionner » la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis contre les Tutsis au Rwanda en 1994 « , le régime rwandais, l’un des plus répressifs au monde a sorti les grands moyens afin d’empêcher la tenue de cette conférence-débat. A moins d’une semaine de la tenue de cette conférence planifiée et approuvée depuis décembre 2017, le Parlement Fédéral belge a décidé d’annuler cette initiative, au motif que « les députés Gilles FORET et Olivier MAINGAIN avaient retiré leur soutien à l’organisation de cette conférence ».
Ces retraits semblent faire suite à la pression exercée par le régime de Kigali, qui voyait d’un mauvais œil ce débat démocratique initié par Jambo, composée principalement des jeunes Belgo-Rwandais, réputés pour leur engagement dans la défense des droits humains et la restauration de la démocratie dans la région des Grand Lacs africains.
Comment cela a-t-il commencé ?
En juillet 2017, quand le député Gilles Foret a proposé sa loi, Jambo asbl s’est intéressée de près au dossier et a présenté toute une série d’observations concernant à la fois l’opportunité de la loi dans son principe, mais également l’opportunité de la loi dans son contenu.
Au mois de septembre 2017 une nouvelle version a été déposée par le député et les modifications apportées répondaient à un certain nombre des préoccupations de Jambo asbl comme nous vous l’annoncions dans notre article du 11 décembre 2017. Néanmoins, certaines préoccupations subsistaient, ce qui a poussé Jambo asbl à établir un contact avec le député afin d’organiser un débat contradictoire visant à permettre au législateur belge d’adopter une loi équilibrée et tenant compte de l’ensemble des points de vue sur la question.
Plusieurs personnalités politiques et académiques qui ont une certaine crédibilité sur la question, tant sur le principe que sur le contenu ont été approchées en vue de pouvoir débattre sur ce sujet complexe et délicat. Gilles Foret, l’auteur de la proposition, avait également confirmé sa participation au débat et avait choisi de faire l’introduction. Olivier Maingain avait lui accepté d’apporter son parrainage à la conférence.
Que s’est-il passé ensuite ?
Le projet de la conférence a été présenté en premier lieu à des personnalités du monde académique, notamment des spécialistes des lois mémorielles, et les trois universitaires approchés ont tous répondus positivement pour venir donner leurs points de vue au parlement.
Par la suite, des officiels rwandais tels que l’ambassadeur du Rwanda en Belgique, le secrétaire général de la Commission Nationale pour la Lutte contre le Génocide (CNLG), les ministres des Affaires étrangères et de la Justice du Rwanda ont été conviés, ainsi que l’association Ibuka-Mémoire et Justice, basée en Belgique et représentant les rescapés du génocide.
Loin de répondre ou de décliner l’invitation de Jambo asbl, l’ambassade du Rwanda à Bruxelles a publié un communiqué de presse dénonçant cette conférence comme étant « un projet négationniste« , accusant même Jambo asbl d’être une association négationniste avec laquelle aucun débat ne pouvait avoir lieu. En appui à son accusation l’ambassade évoquait le fait que Jambo asbl aurait volontairement omis le mot « Tutsi » dans ses observations pour ne parler que du « génocide commis au Rwanda en 1994 » car selon eux, Jambo « refuse de nommer les victimes de ce génocide ». C’est une accusation assez étonnante alors même que l’asbl n’avait fait que reprendre en citation l’intitulé exact de la première proposition de loi déposée le 24 juillet 2017[1] par le Député Gilles Foret. D’ailleurs, dans ses observations publics de 32 pages, communiquées à tous ses invités, Jambo asbl a mentionné le crime de génocide perpétré contre les tutsis à 49 reprises.
A travers ce communiqué de presse, l’ambassade du Rwanda et ses relais, cherchaient plutôt à semer la confusion auprès du public peu informé, en faisant croire que l’objectif de Jambo était « réécrire l’histoire » du génocide des Tutsi.
Pourtant, l’objectif de Jambo asbl avait été clairement expliqué et consistait à « protéger la mémoire des victimes et rescapés Tutsi, tout en évitant la stigmatisation des Hutu, éviter que la loi ne soit détournée à des fins de propagande, éviter que la loi ne serve d’entrave à la recherche de la vérité sur les autres crimes, et enfin, éviter que la loi ne soit détournée à des fins d’intimidation et de répression politique « .
Pour quels motifs la conférence a-t-elle été annulée ?
Mercredi 21 février en début de soirée, l’Ambassadeur du Rwanda publiait via son compte Twitter, « qu’il venait d’apprendre que la conférence avait été annulée. La manipulation prenait fin ».
La confirmation officielle n’a été adressée à Jambo asbl que deux jours plus tard, par le parlement fédéral, au motif que « les députés qui avaient parrainés la conférence s’étaient retirés« . En effet, Olivier Maingain, qui se trouve être le frère de Bernard Maingain, l’avocat du FPR et de Paul Kagame, a contre toute attente retiré son parrainage à la conférence. Jambo asbl avait la possibilité de trouver d’autres parrains néamoins d’après le communiqué publié par l’asbl à la suite de l’annulation: »dans une démarche d’apaisement, et ce afin d’éviter de crisper d’avantage la situation, ces pistes d’action n’ont pas été poursuivies. » De plus, en coulisse, il s’est avéré que l’annulation de cette conférence avait des motifs plus politiques et diplomatiques que simplement administratifs.
Le régime de Paul Kagame ayant décidé qu’un tel débat ouvert et libre en Belgique était inacceptable. Toute la machine étatique rwandaise s’est mis en marche. Selon le blog pro-Kagame, Panoractu , citant des informations d’Aimable Karirima Ngarambe, membre d’Ibuka-Belgique et journaliste du médias Igihe, proche du régime: »Lorsque le Rwanda a appris que le Parlement Fédéral belge avait accepté d’entendre l’association « Jambo asbl », les réactions ont été immédiates et extrêmement vives. Le Ministère des Affaires Étrangères rwandais a instantanément informé l’Ambassadeur du Rwanda en Belgique qui n’a pas manqué de protester énergiquement contre ce débat qui était prévu en date du 1er Mars prochain.«
Selon nos propres informations, c’est la Minsitre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, qui a elle même pris directement le dossier en main afin de coordonner toutes les démarches, actions et préssions pour que la conférence voulue par Jambo asbl ne puisse avoir lieu.
Le très remuant Secretaire d’Etat au sein du Ministère des Affaires étrangère, Olivier Nduhungirehe, n’a pas hésité à confirmer publiquement ces préssions, ne manquant d’ailleurs pas de se féliciter que ceux-ci aient été payants.
Déni de démocratie suite à des pressions politico-diplomatiques ?
Jambo asbl dénonce aujourd’hui « un déni de démocratie » en tant qu’association belge, et s’inquiète par ailleurs de « l’influence du gouvernement Rwandais dans le système législatif belge », qui a réussi à faire plier deux parlementaires belges face à ses exigences.
Pour rappel, une telle loi anti-négationniste existe au Rwanda depuis des années. Mal définie, elle complète un arsenal de lois utilisées abusivement par le régime de Paul Kagame, notamment pour faire taire ceux qui dénoncent le déficit des libertés politiques et civiles dans le pays, réprimer l’opposition politique, museler la liberté d’expression ; ou imposer une omerta sur les crimes du régime en place. Une critique largement partagée par les organisations de défense des droits de l’Homme et acteurs de la société civile.
Quelle suite ?
Ce samedi lors de la remise du Prix Victoire Ingabire pour la démocratie et la paix, Gustave Mbonyumutwa, Président de Jambo asbl, a annoncé lors d’une allocution solennelle à l’assistance présente pour la cérémonie, que l’association des Droits de l’Homme basé à Bruxelles : « va mener des actions en justice ». L’association et plusieurs de ses membres ont été victimes ses dernières semaines d’une véritable campagne de lynchage médiatique orchestrée depuis Kigali et mise en pratique par l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles, plusieurs personnalités politiques rwandaise, des idéologues du parti au pouvoir et certains médias pro-gouvernementaux. Pour Gustave Mbonyumutwa : « en réalité ses attaques qui ont visé Jambo asbl n’étaient pas destinées uniquement à l’association mais plutôt à toute personne de bonne volonté qui cherche un dialogue serein ». Le nouvellement élu Président de Jambo asbl a conclu en affirmant que : « Ce débat qu’on nous a refusé au parlement, nous finirons par l’avoir et cette fois, ce sera devant les tribunaux. Et ça, ça risque de faire la différence. »
Jean Mitari
Jambonews.net
[1] Proposition de loi« visant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis au Rwanda en 1994 conformément à la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal » déposée le 24 juillet 2017.
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