Ce lundi 20 janvier 2014, le Rapporteur du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Maina Kiai s’est rendu au Rwanda pour évaluer dans quelle mesure les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association sont garantis dans ce pays où le gouvernement est accusé de porter atteinte à ces libertés. Cette mission s’achèvera le 27 janvier.
C’est la première fois que Mr Maina Kiai mène une telle mission au Rwanda en tant qu’expert indépendant mandaté par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Il rappelle que « les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association sont des composantes essentielles de la démocratie » et que « le conseil a demandé aux Etats de respecter et protéger pleinement le droit de se réunir pacifiquement et le droit de s’associer librement dont jouissent les individus ». Il devrait se rendre à Kigali et Huye où il rencontrera les représentants du gouvernement, des membres des pouvoirs judiciaire et législatif, des membres de la société civile et du corps diplomatique. Il rencontrera également les représentants de la commission nationale des droits de l’homme ; cette commission comprend 7 membres choisis par l’assemblée nationale sur une liste de 10 candidats proposés par le gouvernement. La réussite de ce mandat implique la coopération de l’Etat rwandais.
Au Rwanda, la liberté d’association a été profondément réduite
L’exercice de la liberté d’association est de plus en plus préoccupant. En effet, la Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL) rappelle que les organisations de la société civile sont soumises par le pouvoir à une pression administrative croissante. La loi de février 2012 oblige toute ONG qui veut se faire agréer à fournir chaque année son plan d’action, son plan budgétaire, les sources et méthodes de financement. Les missions des ONG doivent également s’inscrire dans les plans de développement national et des districts : vision 2020 et EDPRS.
Même si toutes ces conditions sont remplies, certaines demandes peuvent être rejetées si l’autorité gouvernementale estime que l’organisation peut porter atteinte à la sécurité, l’ordre public, la santé, la morale et les droits de la personne.
Des ONG considérées comme « suspectes » sont soumises à des obstacles qui alourdissent la procédure dans l’obtention du précieux agrément. Selon le secrétaire exécutif de la LDGL, le processus d’enregistrement des ONG met en évidence le poids et le contrôle gouvernementaux « l’ONG qui n’accepte pas de s’allier au pouvoir risque de ne pas obtenir les documents administratifs reconnaissant son existence et d’être qualifiée de hors la loi ».
L’affaire « LIPRODHOR » durant l’été 2013 démontre l’influence que l’appareil politique exerce sur la société civile et qui ne permet pas une société civile indépendante capable d’être un contre-pouvoir constructif qui participe au processus de décision en faisant des propositions d’une part mais aussi en dénonçant et en revendiquant lorsque cela s’avère nécessaire. En effet, le 21 juillet 2013, l’ancienne direction de la LIPRODOR a été renversée par un petit groupe de ses membres proche du gouvernement qui ont convoqué une réunion à l’issue de laquelle un nouveau conseil d’administration a été élu et reconnu par l’office rwandais de la gouvernance le 24 juillet 2013.
Tout commence le 03 juillet 2013. L’ancienne direction avait rédigé une lettre dans laquelle elle exprimait sa volonté de quitter le collectif des ligues et associations de défense des droits de l’homme au Rwanda (CLADHO) car le comité exécutif du CLADHO avait été mis en place par l’office rwandais de la gouvernance et par conséquent ne pouvait pas protéger efficacement les organisations membres.
L’action de ce groupe qui a permis l’éviction de la direction alors en place a violé les règles de l’organisation et la législation nationale relative aux organisations non gouvernementales.
Sheikh Saleh Habimana, responsable des partis politiques, des organisations non gouvernementales et des organisations confessionnelles pour l’office rwandais de la gouvernance a nié que cet office avait la responsabilité de s’assurer que les organisations respectaient la loi.
Le gouvernement accroit le contrôle sur la société civile dans leur organisation interne
Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Right Watch rappelle que ces astuces administratives ont été utilisées auparavant pour faire taire la dissidence au Rwanda. En effet, il rappelle que cette stratégie repose sur un groupe de personnes qui s’empare d’une organisation illégalement et qui dit : « la décision est maintenant légale » et l’organisme gouvernemental chargé de superviser dit quant à lui : « Il n’est pas de notre responsabilité d’assurer la conformité avec la loi, nous prenons juste note du résultat ».
Lors du transfert forcé entre l’ancien et le nouveau conseil d’administration, la police a menacé d’emprisonnement le personnel de la LIPRODHOR s’il ne coopérait pas avec le nouveau conseil d’administration. Plusieurs membres ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils estimaient que leur sécurité était en danger.
La LIPRODHOR était la dernière organisation nationale efficace ayant mis en place des projets novateurs après le génocide de 1994 pour observer les procès et les conditions de détention et publiant régulièrement des rapports sur l’état des droits humains au Rwanda.
En 2004, sur recommandation d’une commission parlementaire sur l’idéologie du génocide, le parlement a demandé la dissolution de LIPRODHOR au motif que cette organisation véhiculait des idées génocidaires et suite à plusieurs menaces personnelles, une dizaine de membres s’est exilée suivie de plusieurs autres les années suivantes. En 2008, la commission électorale nationale a empêché cette organisation de surveiller les élections législatives de 2008.
Human Right Watch (HRW) déplore que le gouvernement utilise l’infiltration comme tactique de déstabilisation des organisations de la société civile. En effet, dans le cas de LIPRODHOR comme dans celui de plusieurs autres organisations, quelques personnes proches du gouvernement non disposées à dénoncer les violations des droits prennent le contrôle des postes de direction et bloquent ainsi toute enquête et publication portant sur des sujets sensibles ou critiques envers le gouvernement et marginalisent les membres manifestant leur liberté de pensée.
HRW met en évidence clairement que le gouvernement porte atteinte à la liberté d’association en récupérant certaines organisations qui sont par la suite forcées à rejoindre des structures contrôlées par le gouvernement comme par exemple la plateforme de la société civile qui s’aligne régulièrement sur les positions gouvernementales, à titre d’exemples, en appuyant le gouvernement sur le refus de l’implication du Rwanda dans le soutien au groupe rebelle M23 ou en publiant un rapport sur le bon déroulement des élections présidentielles de 2010 malgré la répression vis-à-vis des journalistes et des opposants.
Donc c’est dans ce contexte marqué par une absence de volonté politique d’inclure les acteurs de la société civile dans la prise de décision ou d’accepter leurs critiques qu’intervient la mission du rapporteur de l’ONU. Aujourd’hui, il reste trop peu de structures possédant la capacité et la volonté de sortir d’une attitude de dépendance et de passivité et qui peuvent exiger du gouvernement autoritaire d’être incluses dans les débats.
La société civile que Maina Kiai va rencontrer durant cette semaine n’est plus capable d’opérer comme acteur fort et autonome capable d’influencer les normes politiques, économiques et sociales qui régissent la société.
Marie Umukunzi
Jambonews.net
http://syfia-grands-lacs.info/index.php5?view=articles&action=voir&idArticle=2779
http://www.hrw.org/fr/news/2013/08/15/rwanda-prise-de-controle-d-un-groupe-de-defense-des-droits-humains
http://www.un.org/africarenewal/fr/derni%C3%A8re-heure/le-conseil-des-droits-de-lhomme-de-lonu-envoie-son-rapporteur-au-rwanda-pour-la-0