« Je suis une fille qui rentre à la maison, je vais travailler avec les autres pour éradiquer une culture de la peur, le joug de la menace, de l’oppression, de la discrimination, un joug d’injustice qui a frappé les Rwandais de toutes les régions », a dit Victoire avant son retour au Rwanda. Elle s’est décrite comme une fille du Rwanda qui avait été éloignée de ses parents et de ses proches pour une longue période. Fidèle à la tradition rwandaise, Victoire n’est pas revenue les mains vides. Elle portait des « cadeaux » de paix, de réconciliation, d’intégration économique et de justice équitable pour tous, et ce à tous les patriotes rwandais.
Avènement d’une controverse
Quelques jours après sa symbolique référence traditionnelle, la leader politique est arrivée le 16 janvier 2010 à l’Aéroport International de Kigali au Rwanda. Elle a déclaré aux journalistes que, comme promis, elle est maintenant dans le pays afin que « nous puissions tous travailler ensemble pour résoudre les problèmes de notre pays. »
C’est le même jour qu’elle a fait son célèbre discours au Mémorialdu génocide de Gisozi. Elle a déposé des fleurs à la place dédiée au souvenir et a parlé de la nécessité de la réconciliation entre les Rwandais, mais a reconnu que le processus manquait encore d’une bonne solution politique.
« Par exemple, si nous regardons ce monument, il est dédié seulement aux personnes qui sont mortes pendant le génocide des Tutsis. LesHutus qui ont également perdu les leurssont également tristes et se demandent : “quand nos morts seront-ilscommémorés ?” Pour que nous arrivions à la réconciliation, nous devons faire preuve d’empathie envers la tristesse de chacun. Il est nécessaire que pour les Tutsis qui ont été tués, les Hutus qui les ont tués comprennent qu’ils doivent être punis pour cela. Il est également nécessaire que pour les Hutus qui ont été tués, ceux qui les ont tués comprennent qu’ils doivent être punis pour cela aussi. En outre, il est important que chacun d’entre nous Rwandais,quelques soit notre groupe ethnique, qu’on comprenne que nous devons nous unir, se respecter mutuellement et construire notre pays dans la paix », a-t-elle déclaré à la presse.1
Son discours marquera l’histoire. Les Rwandais y ont réagi massivement. Beaucoup ont dit que Victoire disait la vérité et qu’il était temps qu’on parle aussi des victimes hutues et qu’on se souvienne d’elles. D’autres ont été choqués et se sont sentis insultés. Au Rwanda, Ibuka, l’organisation défendant les victimes tutsies du génocide, a déclaré à la BBC que les commentaires de Victoire« équivalaient à une négation du génocide »2 et constituent une base afin de la poursuivre pour « incitation à la haine ethnique ». The New Times, journal pro-FPR au Rwanda, a décrit Victoire comme étant « enivrée par la politique ethnique dans sa vie d’adulte ». Lorsqu’il s’exprima à l’occasion du 16ème anniversaire du génocide rwandais, le chef de l’Etat, le Président Kagame, fit référence à Victoire en ces termes« une dame qui encourage le hooliganisme politique » quand elle parle de deux génocides, tout en étant une criminelle du génocide elle-même.
Mais l’autoproclamée combattante de la liberté a continué sa lutte. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’elle pensait des critiques disant que son discours au Mémorial était inapproprié et insultant, Victoire répondit à la radio Voice of Amérique « ils préparent un endroit où vous pouvez parler du génocide contre les Tutsis. Où est l’endroit où vous pouvez parler des crimes contre l’humanité commis contre les Hutus ? C’est le problème. En tant que peuple rwandais nous avons vraiment besoin d’y aller pour en parler. Non seulement au Mémorial, mais partout où nous sommes, nous devons pouvoir en parler. Ils ne veulent pas que nous parlions de tous les crimes commis au Rwanda, mais juste seulement du génocide contre les Tutsis. Ils veulent s’approprier et manipuler la mémoire collective à des fins politiques et les FDU(Le parti politique de Victoire Ingabire, NDLR) ne l’accepteront pas. »
Victoire a encore croisé le fer avec le FPR à propos des problèmes de la sous-région. Concernant la guerre à l’Est du Congo qui dure depuis près de deux décennies, elle a dit que les Rwandais qui ont commis des crimes en RDC doivent faire face à la justice devant les tribunaux internationaux. Elle a fait valoir que c’était le seul moyen de prévenir de futures revanches de la part des Congolais sur le Rwanda.
Gain d’intérêt et appuis
Entre temps, la présidente des FDU et son équipe ont été victimes de différentes tracasseries et intimidations par les médias partisans et l’administration publique. En avril 2010, elle fut arrêtée pour la première fois. Elle a ensuite été libérée et placée en résidence surveillée. Son avocat américain, le professeur Peter Erlinder, a été accusé des mêmes crimes, notamment de propagation de l’idéologie de génocide, et a été gardé dans la prison de Kigali pendant 12 jours. Il a quitté le pays après avoir été libéré sous caution pour raisons médicales.
Son parti politique a continué à faire face à des difficultés et s’est finalement vu interdire de participer à l’élection présidentielle d’août 2010. Elle a fut arrêtée pour la deuxième fois en octobre 2010. Le discours de Gisozi a été utilisé contre elle lors du procès en première instance comme preuve des accusations de « minimisation du génocide de 1994 contre les Tutsis ». D’autres charges ont été retenues contre elle dont ceux de « complicité de terrorisme », « propagation de l’idéologie du génocide », « sectarisme et divisionnisme », « atteinte à la sûreté intérieure de l’État » ainsi que la « création d’un groupe armé avec l’intention de provoquer la guerre ».
En garde à vue, conformément à la réglementation de la prison, ses cheveux ont été rasés et elle n’est vu maintenant que portant la robe rose des prisonnières rwandaises. Lors de son procès, la « dame en rose » se montre tenace et accrocheuse en critiquant les lois,controversées, sur l’idéologie du génocide et en défiant les tribunaux rwandais et ce répondant aux juges à plusieurs reprises. Malgré ses deux mains menottées, elle parvient quand même à offrir au monde une image sereine et forte, les « deux pousses levés », image d’elle qui fut largement diffusée sur internet. Son combat a maintenant un visage caractéristique. Une vidéo a été réalisée dans laquelle elle est comparée à l’emblématique opposante birmane Aung San SuuKyi. De la prison, Victoire continue à encourager ses partisans et leur demande de continuer son combat, car « il [se référant au président Kagame] ne pourra pas mettre tout le monde en prison».
Elle a ensuite été nominée pour le Prix Sakharov, un prix du Parlement européen pour honorer les personnes qui ont apporté « une contribution exceptionnelle à la lutte contre l’intolérance, le fanatisme et l’oppression dans les domaines de la défense des droits de l’homme et de la liberté de pensée ».
Partisans, tout comme opposants ont suivis son procès intensément jusqu’au verdict. Le 30 Octobre 2012, la Haute cour de Kigali a reconnu Victoire coupable de“conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre” et “minimisation de génocide commis contre les Tutsis en 1994”. Elle a été condamnée à 8 ans de prison. Victoire fit directement appel auprès de la Cour suprême.
Amnesty International a observé son procès de septembre à décembre 2011 et de mars à avril 2012. Leur rapport “Rwanda : Justice in Jeopardy – The first instance trial of Victoire Ingabire » a conclu que « l’accusé n’a pas été traité de façon juste et impartiale » et que « la preuve avancée contre Victoire Ingabire au procès, malgré que cela soit sur des sujets sensibles dans le contexte rwandais, tombe dans le cadre de ce qui constitue la légitime liberté d’expression ». Plus de détails ici.
Dans la même logique, le Parlement européen a adopté une résolution le 23 mai 2013 dans laquelle il « condamne fermement la nature politique du procès ». Le Parlement a en outre reconnu que la loi sur l’idéologie du génocide a été utilisée comme « un instrument politique pour faire taire les critiques contre gouvernement » dans le cas de Victoire. En outre, il a recommandé à l’Union européenne d’envoyer des observateurs pour surveiller la bonne tenue du procès de Victoire Ingabire ». Plus de détails ici .
À la fin de son procès en appel, le 13 décembre 2013, la peine a été doublée. La Cour suprême l’a condamnée à 15 ans de prison. Son parti a parlé d’un « verdict dévastateur ». Ann Garisson, une journaliste américaine, a écrit sur son blog : « je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi opposé à un conflit armé ou d’aussi engagé pour un État de droit. Sa conviction pour cela passerait pour une “bétise”, s’elle ne devait pas faire face à douze années de prison et sa famille à un quatrième Noël sans elle ».
Jane Nishimwe
Jambonews.net
Traduit de l’Anglais par Norman Ishimwe
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1http://www.victoire-ingabire.com/Eng/victoires-quotes/
2 http://news.bbc.co.uk/2/hi/8466780.stm