Blog de Jean Bigambo
Je viens de me réveiller, ou peut-être même de mourir, je ne sais pas. Aucune importance. C’est la douleur. Notamment, j’aimerais comprendre pourquoi je ressemble à cet homme mort – voilà déjà deux décennies. Je n’ose pas encore dire qu’il (mon père) a été assassiné, car on pourrait m’entendre. L’autre jour j’ai fait un rêve, j’annonçais à mon entourage que je ne voulais pas d’obsèques à ma mort. C’est inutile leur disais-je. Mon géniteur, qui était mon dieu, est « mort » et a été « enterré » dans une fosse commune. Ça n’a rien coûté. Donc à plus forte raison sa créature. Oui, faites de même, si vous m’aimez vraiment. Le deuil. Mais tout dépend de l’angle de vue. Vous pouvez penser que je fais preuve d’un détachement stoïque, cynique. Peut-être. Mais les philosophes Grecs n’étaient pas témoins des choses que mes yeux ont vus en avril 1994. Et figurez-vous que je n’ai pas pleuré, non. Car, selon notre culture, ce serait manquer de retenue. J’approuve cela et ça m’obsède. Aujourd’hui encore, quand je sens des larmes forcer la sortie de mon âme, je me trouve ridicule. Mais je pleure quand même, loin du monde, toujours dans la honte. On s’accommode vite de la honte. Je suis Hutu. Et pour achever mon deuil, on (ma mère) n’a pas trouvé mieux que nous exporter, mes frères et sœurs et moi, en Europe, pour mieux vivre ! Bien vrai que la vie n’est pas si mal ici…avant de découvrir qu’on est noir. Là aussi on apprend à relativiser, ces identités meurtrières. Aussi à cause de mon mauvais français, j’imagine. C’est compréhensible. L’excellence dans tout, c’est ça être rwandais. Aujourd’hui j’étouffe. Or l’histoire est loin d’être terminée…
Jean Bigambo
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