Article d’opinion soumis pour publication par Jean Bigambo
Chers lecteurs, je vais commencer cette introduction par une métaphore qui va nous suivre tout au long de ce petit essai. Notamment celle de l’Afrique de l’Est, région victime elle aussi d’une déchirure, parcourant de la péninsule arabique, au Nord, jusqu’au lac Malawi, au Sud : c’est de la Vallée du Rift dont je parle. Le Berceau de l’humanité ! Et en son milieu, un petit bout de terre capturé dans les hauteurs inter-lacustres au niveau de l’équateur et traversé par des cours d’eau, dont un d’entre eux est source du plus long fleuve au monde : le Nil. Des altitudes fusionnant avec des volcans encore en activité dans un climat tempéré, laissent farouchement apparaître sur ses flancs, à la végétation luxuriante, quelques uns de nos plus proches cousins: le gorille des Montagnes, espèce unique et endogène. Ce dernier se prélasse alors dans ces forêts vierges au nord, dans un décor digne de l’époque préhistorique. Comme si le temps s’était arrêté. Au-delà, à l’est, on découvre de grandes plaines : la savane. Des impalas, des grues couronnées. Des symboles ! Tout cela illustre la richesse, la particularité des terres qu’a développé cette région particulière et le lien intime créé, au fil des millénaires, avec ces Hommes : qu’ils fussent chasseurs-cueilleurs, cultivateurs ou pasteurs. Vous l’aurez compris, c’est du Rwanda qu’il s’agit, ce petit paradis terrestre perché au sommet du monde, au cœur de l’Afrique.
Et voici l’hypothèse de départ, chers lecteurs : cette fissure, dont je viens de vous parler, qu’est la Vallée du Rift, qui s’exprime jusqu’à la surface des Hommes, en serions nous métaphoriquement ses dignes héritiers ? Me voilà qui avance une idéologie rwando-centriste et déterministe qui voudrait que l’homme soit le résultat (avorté) de son milieu ! Mais la comparaison n’est pas moins pertinente quand on voit les événements « déchirants » qui secouent justement la région des Grands Lacs, voilà maintenant des décennies. Bien sûr que la région a connu ses heures noires dans un passé plus éloigné. Mais focalisons nous davantage sur les 50 ans qui viennent de s’écouler.
“Le Rwanda et le Burundi d’ailleurs, c’est un peu le principe des vases communicants”
Les années 60’ c’est la période des indépendances sur tout le continent. On se libère du joug colonial et autres tutelles. L’Afrique est en fête. Mais, au cœur de cette euphorie, l’héritage colonial, qui fut celui entre autre de la cristallisation des groupes “ethniques”, est déjà absorbé par la masse, légitimant alors des discriminations envers l’“autre”. Mais la révolution Parmehutu (Parti du Mouvement de l’Emancipation Hutu) d’octobre 1959 par Grégoire Kayibanda et le premier régime parlementaire, où fut élu démocratiquement le premier président rwandais, Dominique Monyumutwa : signant la fin de la monarchie absolutiste Tutsi et le servage pastoral sur le paysan Hutu (ubuhake), frustra à plus d’un titre l’élite minoritaire Tutsi du mwami Kigeli. Son parti, l’UNAR (Union Nationale Rwandaise) tenta de renverser la démocratie afin de rétablir la monarchie, constitutionnelle, en faisant appel aux Nations Unies et à la Belgique, en vain. La dissolution fut nette. Et c’est sur cette fracture brutale (Hutu/Tutsi) que la nouvelle nation rwandaise va prendre forme. C’est l’heure des passions nationalistes! Les voici maintenant installées dans une Afrique post-indépendante en prenant des formes locales, c’est-à-dire ethniques. Au Rwanda, c’est les cartes d’identités, produits de l’administration coloniale, qui sont toujours là pour nous rappeler qui est « Hutu » (dit paysan) et surtout, «Tutsi » (dit noble). En effet, dès 1959, c’est le début où les terres, autrefois aux pasteurs Tutsi, “retournent” aux Hutu majoritaires. On dénombre des massacres localisés sur la population Tutsi. Pour les autres, c’est l’exode en grand nombre vers les pays frontaliers. L’UNAR, de l’étranger, tentera à plusieurs reprises de faire un coup d’Etat. Et Kayibanda peine à contrôler ces attaques orchestrées par le mwami déchu, Kigeli. Ce sera la population Tutsi de l’intérieur qui payera le prix le plus fort. Ce sera d’ailleurs leurs heures les plus noires jusqu’au coup d’Etat du Général Juvénal Habyarimana, le 05 juillet 1973. Son règne marquera en effet la tentative d’une réconciliation nationale, tout en contrant la menace d’un retour à la monarchie de l’élite militaire Tutsi postée à l’extérieur. Car il faut le dire, le Rwanda commençait à prendre les allures de son jumeau, le Burundi. Sauf que pour ce dernier, c’était la population Hutu qui était massacrée. Un génocide qui visait de façon systématique l’élite Hutu, en 1972. Le Rwanda et le Burundi d’ailleurs, c’est un peu le principe des vases communicants. Dans le premier cependant, sous Habyarimana, la tolérance règne en général. Le Rwanda vit alors son Âge d’or. Une nation socialiste (umuganda) et prospère. Sa politique de tolérance relative entre ethnies, dans le domaine de l’économie, fut le moteur de son essor, au point qu’on surnommait le Rwanda de l’époque la Suisse africaine. Mais une fraction des exilés Tutsi de la révolution 59’ est toujours refusée le retour au pays. Cette dernière, depuis la révolution, a perdu tout ses privilèges absolutistes depuis l’instauration de la république. République qui se veut elle aussi à présent parti unique. Assurément, le champ politique est chasse gardée par les Hutu nordistes. Les Tutsi rwandais de l’extérieur vont alors chercher des alliances, notamment avec l’Ouganda, en prêtant main forte à Museveni pour renverser le régime Obote – qui refusait d’ailleurs d’accorder le statut de réfugiés à ces derniers, devenus décidément indésirables partout. Mais une fois qu’Oboté fut écarté, le problème ne se posait plus. Il était temps maintenant pour ces réfugiés de rentrer au pays et renverser à leur tour certaines têtes, et pas des moindres : c’est la Première guerre du Rwanda, qui débute le 01 octobre 1990 à la frontière nord-ougandaise. Déjà, on dénombre des massacres ciblés et l’exode de centaines de milliers de Hutu. Ces derniers fuient alors vers le Sud. Le soutient des troupes françaises au régime de Habyarimana sauve de justesse la prise de Kigali.
“En effet, selon Paul Kagame…Habyarimana a trop duré!”
En 1993, c’est au tour du Burundi de s’embraser. Melchior Ndadaye, président Hutu démocratiquement élu, est abattu par l’élite militaire Tutsi, trois mois à peine après son élection au pouvoir. S’ensuit à nouveau une guerre meurtrière forçant des milliers de Hutu à l’exode, généralement au Rwanda, comme en 1972. Mais en 1994, les deux pays sombrent littéralement dans l’anarchie. Pour le Rwanda, c’est même l’hécatombe. Le président burundais fraîchement élu, Cyprien Ntaryamira ensemble avec son homologue rwandais, Juvénal Habyarimana sont abattus dans l’avion présidentiel le 06 avril 1994, après leur retour de Tanzanie. La guerre du Rwanda est à son summum. Les radicalistes Hutu rwandais ayant été témoins des événements passés au Burundi (assassinat de Melechior Ndadaye), ils se contractent. Et de la sorte, éviter que le même sort Hutu leur soit réservé, notamment celui d’un coup d’Etat par une élite militaire Tutsi. C’est l’entrée en scène des interhamwe. Leurs craintes sont réelles, car un coup d’Etat (final) se fomente à nouveau dans les maquis ougandais, après l’échec d’octobre 1990. En effet, selon Paul Kagame, sous soutien de Museveni : Habyarimana a trop duré ! Et le FPR (Inkotanyi), en abattant l’avion présidentiel et en lançant concomitament une offensive générale sur le Rwanda: les interahamwe vont « épurer » le pays en représailles (pour utiliser le terme de la Radio Télévision Libre des Mille collines, RTLM), parlant de la population Tutsi de l’intérieure. Et l’impensable arriva effectivement : le génocide des Tutsi d’avril jusqu’à juillet 1994, moment marquant la prise de Kigali par le FPR. Ce dernier, sur sa route au pouvoir, commet des actes de génocide à l’encontre de l’élite Hutu et le reste de la population, femmes et enfants confondus.
“Le gros gâteau qu’est l’ex-Zaire (…) grand, immensément riche et le comble: encore sous contrôle socialiste. Sacrilège!”
Donc on vient de le voir, l’histoire des Grands Lacs n’est pas une single story sans contexte, mais bien des actions en corrélations et une historicité propre. La région inter-lacustre c’est l’histoire de l’arrivée successive des Hutu, des Tutsi et des colons sur un territoire étroit, à forte population et aux structures très hiérarchisées. L’absorption et les occupations diachroniques de ces peuples, aux mœurs divergentes, n’ont apparemment pas encore été assimilées et par conséquent, les tensions qui règnent dans cette région sont les effets directs d’une « fracture » marquant le passage de royaumes centralisés ou (semi)autonomes à celui d’Etats-nations. En résumé : l’Etat-nation et la démocratie (de tradition occidentales) peinent encore à trouver leurs bases légitimes dans les structures indigènes du Rwanda et du Burundi. En effet, on a à faire à trois traditions hétérogènes (Hutu, Tutsi, Occidental) qui se repoussent mais aussi s’attirent, comme deux aimants. Le frottement de deux plaques et les chocs corollaires d’une Terre instable et en constante mutation faisant, par moments, jaillir un magma rouge, chaud et gluant…comme le sang. Voyez-vous à présent l’analogie faite avec le Rift, dans mon introduction ?
Mais revenons sur terre. Juste avant avril 1994. Notamment quand les Etats-Unis s’y mêlent. Assurément, ces derniers sont les grands gagnants de l’Après Guerre et bien plus encore depuis la chute du Mur de 1989. La nouvelle grande puissance mondiale, pour satisfaire son appétit boulimique-capitaliste, veut pour régime le gros gâteau qu’est l’ex-Zaïre. Ce dernier est grand, immensément riche et le comble : encore sous contrôle socialiste (pour ne pas dire Françafrique). Sacrilège ! Un, deux, trois,…le tour est joué, à coups de millions de dollars d’armement des militaires Tutsi FPR, les mêmes qui avaient combattus auprès de Museveni. Ces derniers ont acquis entre-temps la réputation de guerriers infatigables et disciplinés. Et la menace récente du retrait des troupes rwandaises au Darfour par Kagame, suite à la publication du rapport de l’ONU sur les crimes commis par son armée à l’Est du R.D.Congo, est un exemple éloquent de la notoriété acquise par celle-ci. L’armée du FPR règne en maître absolu dans la région des Grands Lacs.
Après la victoire de celle-ci en juillet 1994 et l’échec de l’intervention de l’ONU et de la communauté internationale pour stopper le génocide des Tutsi, le FPR décide, comme mesure de rétorsion, de poursuivre les Hutu, jusqu’au Zaire : c’est la traque des régugiés Hutu. En effet leur exode se passe par millions. Mais voilà que dans la masse il y a aussi les interahamwe. Tous empruntent le couloir sécurisé par l’Opération Turquoise du président français, François Mitterrand, qui mène au-delà de la frontière rwandaise, à l’Ouest. C’est la Première guerre du Zaïre, de 1996 à 1997. Laurent Désiré Kabila (père de l’actuel Joseph Kabila) prend le pouvoir en mai 1997, à l’aide du FPR, pour renverser Mobutu. Kisangani, ville clé où transitent les pierres précieuses, est prise. Mobutu est forcé d’exil. Il mourra quelques temps après en septembre 1997, au Maroc. Pendant ce temps, à l’Est du Congo des massacres en masse ont lieu. L’ONU observe, et quelques rapports (discrets) arrivent à s’échapper et dénombrent déjà des centaines de milliers de morts de Goma à Kisangani par l’armée du FPR et ses alliés. Les cibles : ces mêmes réfugiés Hutu et la population congolaise. La deuxième guerre du Zaïre, entretemps devenu République Démocratique du Congo, bat de nouveau son plein, un an après, de 1998 à 2003.
Les victimes se comptent maintenant en millions de vies humaines. Un autre génocide a lieu à ciel ouvert. On viole, on mutile : une vraie chasse à l’Homme. Voilà que les images de 1994 réapparaissent. Et, de nouveau, la communauté internationale préfère fermer les yeux. Du coup, en dix ans à peine, c’est-à-dire depuis 1990, l’Afrique des Grands Lacs a dépassé le chiffre effarant de 10 millions de morts. Imaginez un instant l’équivalent de la population belge disparaître à jamais. Le bilan humain le plus meurtrier depuis la Deuxième Guerre Mondiale.
“Doit-on, nous aussi, penser au partage en deux du gâteau rwandais?”
Voilà que je vous ai présenté en bref et dans son contexte l’histoire du Rwanda. Mais, comme on l’a vu, on peut en dire autant de son voisin direct, le Burundi. Ces deux pays sont passés maîtres dans l’accumulation de récits tragiques et misérables entre deux peuples qui peinent aujourd’hui à se comprendre, malgré qu’ils parlent une même langue. Un malentendu aux conséquences désastreuses. Le Rwanda…pays où Dieu s’absente un instant, et à son retour, trouve des fosses communes remplies de cadavres. Dieu a-t-il déserté le cœur des hommes des Grands Lacs ? Car l’amour, chez ces derniers, brille surtout par son absence. Des nations divisées entre Tutsi et Hutu, de même qu’entre Tutsi (/Hutu) eux-mêmes. Des extrémistes Hutu qui massacrent des Tutsi et des extrémistes Tutsi qui massacrent des Hutu ! Bref, des rwandais qui massacrent des rwandais ! Qui a tort, qui a raison ? L’habitude en a fait qu’on ne connait même plus la honte quand on profère des propos haineux envers l’ « autre ». Mais cet « autre » est-il vraiment « autre » ou juste cette extension – qui dérange – de soi? Les enfants de la nation se disputent le pouvoir. Après les indépendances, les Hutu ont pris le pouvoir. Après 1994, les Tutsi en ont à leur tour profité. Aucun ne veut céder. Doit-on, nous aussi, penser au partage en deux du gâteau rwandais ? Opter pour deux Etats fédéraux et autonomes ? Car la forme de démocratie, suggerée par l’Occident, entre Hutu (85%) et Tutsi (14%) est semble-t-il intenable au Rwanda. Brisons les tabous ! Parlons-en franchement. De même que les tribunaux « traditionnels » gacaca (et cette fois, toutes ethnies confondues !) peuvent être réactualisés, trouvons un arbre à palabre où parler de nos problèmes. A savoir si le divorce doit être prononcé, ou s’il reste une chance à la réconciliation, à l’entente ? Chers lecteurs, c’est à vous que s’adresse cette question.
L’indescriptible, l’inaudible, l’inimaginable a donc une origine. Mais il faut ajouter qu’il s’est installé un habitus de discours séduisants : celui d’entendre que Hutu et Tutsi on est fondamentalement différents. C’est l’avis de ceux qui nous divisent, au nom de je ne sais quel essentialisme « racial », « ethnique » ! Réveillez-vous enfin ! Même si on est différents, cela justifie-t-il le meurtre? A la base, il y avait des familles à l’ancêtre commun, puis des clans, des relations (de clientélisme), des rites associés,…Loin de romantiser le passé, cet idéal ! Mais voilà que la démocratie, la modernité, et surtout le nationalisme, tous veulent faire de nous des outils à leur service. On s’est perdu dans ces discours. Nous voilà à présent étrangers au sein de nous mêmes. Condensés, atomisés, tantôt sujets, tantôt acteurs de la globalisation, cette dernière nous fait constamment douter de notre identité. Economie monétaire oblige ! On se veut bons chrétiens dans la grande cathédrale de l’Evolution de l’espèce humaine. Quel échec. Dans cette course effrénée, on a perdu l’essentiel en route : l’humanité. Les discours de la modernité ont compressés nos cœurs. L’Homme n’y a plus sa place. Seule l’accumulation de matériels compte. Un matériel d’ailleurs à présent surendetté, après passage des politiques d’ajustements structurels néolibéralistes. Le Rwanda est acteur en même temps victime de ces bouleversements…devenus rites de passages, douloureux. Une déchirure, une plaie qui ne cesse de saigner, le temps de la mutation.
“La plaie actuelle, se nommerait-elle Paul Kagame?”
L’évolution d’un stade vers un autre, donc ? Oui. De même que la métaphore de la Vallée du Rift, le Rwanda est en train de connaître ce même phénomène accablant. Et l’énorme quantité de sang qui émane de la plaie béante depuis les indépendances en est le signe.
Le phénomène responsable de la déchirure de la Terre c’est le magma, bouillonnant du fond des entrailles de celle-ci et créant des fissures à la surface continentale. Ce même magma, enragé, provoque alors des éruptions, ces plaies à ciel ouvert: les volcans. Mais qu’en est-il à notre niveau, au coeur de l’Afrique? A savoir, la plaie actuelle – saignée des Grands Lacs – se nommerait-elle Paul Kagame ? Car il faut dire que chez ce dernier, il y bouillonne une colère plus créatrice de misère que de vie. Et surtout, pourquoi tant de haine? Vous allez me dire, est-ce un cycle, un passage obligé ? Était-ce déterminé d’avance ? Hélas, de même que la Terre ignore quand le magma va jaillir des fonds, j’ignore si Kagame est un passage obligé, ou le signe avant-coureur d’un retour de la paix au Rwanda.
Saviez-vous que dans les plaines d’Afrique, après des mois de sécheresse, viennent les feux de brousse? Il sont causés par la foudre ou des éruptions volcaniques. Aussi dévastateurs soient-ils, ces feux sont néanmoins annonciateurs de pluies et de fertilité…Les mêmes feux qui ont initiés les premiers Hommes de l’humanité! En résumé: Paul Kagame fait donc parti intégrante de l’histoire des Grands Lacs et non juste ce cas déviant dont on voudrait étiqueter l’essence du mal. Bien qu’il soit le mal, il n’en est pas pour autant la source.
Quoi qu’il en soit, je vous invite à contempler la nature qui nous entoure, elle inspire. En effet, sans l’apparition, douloureuse, du Rift, il est peu probable que le Rwanda aurait acquis des lacs aussi magnifiques, une faune et une flore dignes du pays des Mille Collines à rendre jaloux le jardin d’Eden !
Heureusement que la Terre bouge, mute ; c’est pareil pour ses Hommes. Les deux d’ailleurs s’influencent mutuellement. Cette petite leçon d’écologie est très d’actualité quand on voit les ravages causés par le réchauffement climatique par les pays dits « modernes » et industrialisés. Là aussi, les inégalités et les victimes se comptent par millions. L’Homme moderne, en se soustrayant à la terre, sa nourricière, au nom du progrès technologique, est devenu étranger à celle-ci, et par conséquent à lui-même. Nous voilà les Damnés de la Terre, pour emprunter l’expression de l’écrivain caribéen et psychiatre, Frantz Fanon. Il sait de quoi il parle, lui dont les ancêtres ont été « arrachés » de leurs terres natales et transportés comme des bêtes sauvages dans des négriers par des marchands d’esclaves : le fameux Black Atlantic, du sociologue jamaïcaino-britannique, Paul Gilroy. Les peuples rwandais, burundais, congolais,…tous extirpés de force éprouvent ce même sentiment de « déracinement » : source de traumatismes. C’est notre spleen Baudelairien des Temps Modernes. Oui, notre Black Atlantic!
“Tout compte fait, tout est à (re)construire en Afrique. A redécouvrir même!”
Maudites soient ces cartes d’identités ! Les politiques coloniales de centralisation à coups de canons et nous voilà unis sous une même nation, après nous avoir divisés ? Nations aux frontières tracées à la va-vite, dans les salons bourgeois de Berlin en 1884 : le fameux Partage de l’Afrique ? Foutaises. De la mission civilisatrice ? Foutaises. De l’échec inhérent de l’homme Noir ? Foutaises. Des politiques d’Ajustements structurels (voire culturels) par le FMI et la Banque Mondiale, pour moins d’Etats, plus de marchés ? Quels Etats, quelles nations ? Foutaises ! Tout compte fait, tout est à (re)construire en Afrique. A redécouvrir même ! Notamment que l’Afrique, n’est pas cette masse statique plongée dans les Ténèbres et méprisée par l’Histoire et la raison. Non, Hegel avait tort ! Du Caire au Cap de Bonne- Espérance, elle est dynamique et plurielle. Elle bouge, jusque dans ses entrailles, à commencer par la Vallée du Rift, Berceau de l’humanité, je le répète ! Et donc, pourquoi toujours attendre que la solution vienne du Nord ?
Tâchons de comprendre ce qui se cache derrière cette « crise » que nous traversons. J’ai appris dernièrement qu’étymologiquement parlant, le mot « crise » est interprété en grec par la « faculté de distinguer, de décider » de rendre un jugement, dans « une action pour s’en sortir ». Alors, en quoi cette « crise », au sens grec du terme, que vit la région des Grands Lacs, peut-elle nous apprendre de l’Histoire et de nous-mêmes, à part le fait que nous ne sommes que des témoins passagers de cette longue mutation en cours et apparemment essentielle à la vie ? Le challenge ici serait de penser la « crise » des Grands Lacs et, à travers la parole, aboutir à une action concluante en se nourrissant de pensées hybrides (Nord-Sud) dialoguant entre-elles, et non monolithiques et univoques. C’est-à-dire, (re)penser les termes dits importés, mais cette fois au niveau local, où chacun partirait de soi (son expérience, ses valeur, ses coutumes, sa langue, etc.) : un processus qui démarrerait donc de l’intérieur vers l’extérieur, et non le contraire, comme il fut souvent le cas. L’Afrique est très hétérogène au point que des concepts d’origine coloniaux ou néocoloniaux (Etat-nation, démocratie, Ajustements Structurels, etc.) ne puissent nous accommoder à l’unanimité, sans même qu’on nous ai demandé notre avis!
On ne nous le dira jamais assez en Afrique : « L’homme, c’est la parole ». De l’importance majeure qu’on accorde à celle-ci sur le continent, ce dernier longtemps dépourvu d’une tradition écrite, aurait une raison selon moi. Cherchons-la. Interrogeons nos aînés, ces oubliés des Temps Modernes ! Je ne veux point porter de jugement, mais plutôt suggérer que les valeurs d’Afrique peuvent avoir leur place légitime dans ce monde « globalisé ». Loin de moi le mythe du Bon Sauvage, cher à Nicolas Sarkozy dans son allocution, de juillet 2007 à l’Université Cheick Anta Diop, à Dakar. Osons aller à contre-courant dans une recherche dialectique, de parole. Parole qui se veut plus réconciliant, sans tabous avec nos voisins « ethniques » ; nos voisins du continent, comme du monde entier et surtout, avec nous-mêmes !
Frères, sœurs, voici une petite devinette : entre une parole ciblée et une machette, laquelle des deux croyez-vous être la plus aiguisée ? Si nje wahera, hahera umugani !
Jean Bigambo