Le 11 mai 2020 entre 19h et 22h, dans le district de Rwamagana au Rwanda, un groupe armé de couteaux et de pistolets dont certains seraient des faux, a envahi l’épicerie de Théophile Ntirutwa, ancien représentant d’un parti politique d’opposition dans la ville de Kigali (FDU-Inkingi) et actuel membre du nouveau parti créé par Victoire Ingabire, DALFA-Umurinzi. Lors de l’attaque, le groupe a tué par coups de couteaux une personne au nom de Théoneste Bapfakurera et blessé quatre autres. La victime était pasteur d’une église œuvrant au Rwanda.
Dès que les assaillants sont partis, Théophile Ntirutwa qui s’était caché derrière le comptoir, a pu appeler la police et contacter des journalistes avant que son domicile, situé à quelques centaines de mètres de là, ne soit perquisitionné. Théophile Ntirutwa, son épouse, sa sœur ainsi que les autres victimes et témoins de la scène ont tous été arrêtés par la police pour des raisons qui demeurent à ce jour inconnues. L’avocat de Théophile Ntirutwa qui lui a rendu visite le 14 mai n’a été autorisé ni à voir et ni à parler à son client. Dans son intervention auprès du service en kinyarwanda de la radio la Voix de l’Amérique (VoA) diffusée le 13 mai 2020[1], Théophile Ntirutwa confie qu’il était lui-même la cible et que les assaillants se seraient trompés sur l’identité de la victime.
« Ils ont d’abord forcé mon voisin Frodouard Hakizimana à rentrer dans l’épicerie. Ils ont alors vu le pasteur Théoneste et lui ont soudainement donné des coups de baïonnettes. Je n’ai pas pu reconnaitre les assaillants mais certains portaient les tenues de la police rwandaise alors que d’autres étaient en tenue civile. En effet, lorsque je les ai vu venir je me suis immédiatement glissé derrière le comptoir pour me cacher. Ils sont entrés et ont attaché les bras au dos de ceux qui étaient à l’intérieur et en voyant Théoneste ils ont cru que c’était moi. Ils l’ont fatalement poignardé. En réalité leur cible c’était moi, surtout qu’avant de venir chez moi ils sont d’abord passés chez ma sœur pour lui demander où je me trouvais. En plus, il y a une moto qui me filait depuis quelques jours. »
Victoire Ingabire qui a aussi commenté cet incident au micro de la Voix de l’Amérique, s’est ingignée du harcèlement continuellement perpétré contre les partisans de son parti politique. Elle a également souligné que son parti endure toujours des difficultés d’enregistrement et de reconnaissance officielle par l’administration du dictateur Paul Kagame, qui dirige le Rwanda d’une main de fer depuis plus de 20 ans. Pour Ingabire Victoire, c’est le fait du hasard qui a fait que Théophile a survécu. « En effet, les assaillants ont demandé qui d’entre les victimes s’appelait Théo. Envahi par la stupeur, le pasteur, Théoneste, n’a pas hésité une seconde à répondre que c’était lui-même sans tenir compte qu’il y avait deux personnes répondant au prénom abrégé Theo dans l’épicerie. Le pasteur s’appelait Théoneste et le propriétaire de l’épicerie s’appelle Théophile. C’est ainsi que la chance de survivre est tombée sur Théophile et la malchance sur le pasteur qui a été tué à la place du partisan de notre parti, Théophile. »[2]
Avec un ton de persévérance malgré tout, la figure de l’opposition rwandaise a exprimé son incompréhension face à la façon dont les opposants politiques sont traités aux Rwanda. Pour elle, ce qui est davantage étonnant, c’est le traumatisme que la dictature du général Paul Kagame fait endurer aux opposants et à leurs familles : « Comment se peut-il que les victimes de l’attaque et agression deviennent les personnes à arrêter à la place des assaillants ? Si notre pays respectait l’état de droit ceci ne devrait pas se passer ainsi ! »
Ce n’est pas la première fois que Théophile Ntirutwa est l’objet de graves persécutions. En septembre 2017, après deux années de persécutions politiques marquées notamment par de brefs épisodes de disparitions forcées au cours desquels il subissait différentes formes de tortures tant physiques que psychologiques, Théophile Ntirutwa a été arrêté en compagnie de 10 autres membres du parti FDU Inkingi, dont Boniface Twagirimana, le vice-président.
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Le 23 janvier 2020, après deux ans et cinq mois de détention préventive, l’opposant politique avait été acquitté par les tribunaux rwandais et aussitôt libéré en compagnie de cinq autres membres du parti. Le 29 janvier 2020, quelques jours seulement après sa libération, il déclarait au micro du journaliste Théoneste Nsengimana (également emprisonné en avril 2020 et libéré ce 14 mai) d’Umubavu TV qu’il allait poursuivre son engagement politique au sein du parti DALFA Umurinzi. « Nous allons poursuivre notre engagement politique car les raisons qui nous ont poussé à nous engager sont toujours présentes. Tant que les problèmes auxquels fait face notre pays et qui nous ont poussé à nous engager sont là, notre travail en vue d’apporter notre contribution pour les résoudre va continuer malgré les obstacles » ; avait-il notamment déclaré lors de l’interview.
Depuis plusieurs années, plusieurs autres membres du parti d’opposition d’Umuhoza Victoire subissent de graves formes de persécutions allant jusqu’à l’élimination physique. Selon l’organisation internationale Human Rights Watch, rien qu’en 2019, trois membres du groupe d’opposition des FDU-Inkingi ont été portés disparus ou retrouvés morts. En septembre, Syldio Dusabumuremyi, le coordinateur national du parti, a été poignardé à mort dans des circonstances qui rappellent le dernier incident qui a emporté Théoneste Bapfakurera. Eugène Ndereyimana, également membre du parti, est porté disparu depuis le 15 juillet 2019. Anselme Mutuyimana, un assistant de Victoire Ingabire, a été retrouvée mort en mars 2019 ; il présentait des marques de strangulation. Boniface Twagirimana, le numéro deux du parti, a disparu de sa cellule de prison dans le sud du Rwanda en octobre 2018[3], tandis que Jean Damascène HABARUGIRA a été sauvagement assassiné en mai 2017 et Illuminée Iragena a disparu depuis le 26 mars 2016. Aucune suite judicaire n’a été donnée à ces cas.
Ce dimanche 17 mai 2020, après Théophile Ntirutwa, 250TV, une radio en ligne rwandaise a accusé Victoire Ingabire du meurtre de Théoneste Bapfakurera et a été jusqu’à publiquement appelé à son assassinat « Victoire Ingabire devrait aussi être assassinée, de la même manière qu’elle continue à planifier des actes d’assassinats de rwandais » a déclaré, « Ellen Kampire », une des intervenantes à l’émission. Ce lundi matin à 09 heures, Victoire Ingabire était appelée à répondre à une convocation du RIB, la très redoutée police judiciaire rwandaise, pour des motifs inconnus à ce jour.
Selon un observateur qui a préféré conserver son anonymat pour sa sécurité, le FPR est en train de replonger le Rwanda dans le même enfer que celui que le pays a connu au cours des années 90 : les assassinats politiques, les injustices, la presse muselée au profit des médias de la haine, les divisions ethniques. Un climat semblable à celui d’avant le génocide contre les Tutsis.
Jules Gahima
JamboNews.net
[1] La Voix de l’Amérique service en Kinyarwanda, journal matinal du 13/05/2020, voir sur: https://www.radiyoyacuvoa.com/a/5396421.html
[2] La Voix de l’Amérique service en Kinyarwanda, journal matinal du 13/05/2020, voir sur: https://www.radiyoyacuvoa.com/a/5396421.html
[2] Human Right Watch, Rapport mondial 2020, chapitre sur le Rwanda, voir sur : https://www.hrw.org/fr/world-report/2020/country-chapters/337328