Son nom est Idamange Irya Mugwiza Yvonne, une trentenaire habitant Kigali, la capitale du Rwanda, qui a fait une entrée fracassante sur la scène politique rwandaise le 31 janvier 2021, suite à la publication d’une vidéo sur Youtube. En quelques jours à peine, elle est devenue la nouvelle sensation de la communauté rwandaise en ligne avec sa vidéo qui cumule déjà près de 100 000 vues et a déjà reçu plus d’un millier de commentaires enflammés en seulement cinq jours.
Dans cette vidéo d’environ une heure, cette maman de quatre enfants raconte le ras le bol des Rwandais en général et des habitants de Kigali en particulier, suite aux décisions erratiques des autorités dans leur lutte contre la pandémie de la COVID-19.
Ce qui étonne et détonne dans ce discours, ce n’est pas seulement la critique contre les mesures gouvernementales mais surtout la manière. D’habitude, ceux qui osent émettre des critiques contre des actions du gouvernement en étant à l’intérieur du pays le font sur un ton des plus mesurés qui est devenu une des spécialités des Rwandais après une longue pratique de la dictature. D’ailleurs, la sagesse rwandaise ne conseille-t-elle pas de « kuvuga uziga » et aussi que « Ukuri wakavuze uraguhakishwa », C’est-à-dire qu’il faut parler avec réserve et qu’il vaut mieux taire une vérité qui dérange, sauf si elle permet de s’attirer les faveurs des puissants.
Dans cette vidéo devenue virale, Madame Idamange déroule son propos, en revenant sur quatre points brûlants d’actualités.
Le droit de vivre dans la dignité
Par leur brutalité quotidienne et une rhétorique de guerre, les autorités rwandaises sont arrivées à faire accepter à la population qu’il est tout à fait normal pour le gouvernement de disposer de la vie du citoyen comme bon lui semble. Le simple fait d’être en vie rend le citoyen redevable au gouvernement, surtout s’il est rescapé du génocide. Dans ces conditions, parler de vivre dans la dignité ou de jouir de ses droits publics est déjà un crime de lèse-majesté.
Mais depuis le début de la pandémie, des mesures irréfléchies, totalement déconnectées de la réalité que vit la majorité des Rwandais ont été successivement imposées à la population en imitation de celles prises en Occident et ont transformé ce qui était au départ une crise sanitaire en crise sociale. Et à cause de l’attitude du gouvernement qui continue obstinément de durcir les mesures au lieu d’entendre la détresse de sa population, de sociale, la crise est en train de se transformer en politique.
Ce qui rend le propos de Mme Idamange plus saisissant c’est cette liberté de ton qui était inimaginable au Rwanda il y encore quelques mois. Mais aujourd’hui, les Rwandais et surtout les plus jeunes d’entre eux sont à bout. Les autorités qui ont pris l’habitude d’imposer des décisions toujours plus dures sans explications se retrouvent face à des citoyens qui n’acceptent plus d’exécuter des ordres contradictoires sans poser de questions.
Car, comme le déclare Mme Idamange dans son plaidoyer: « Oui, nous sommes vivants, mais être vivant ne suffit pas, la personne humaine a aussi le droit de vivre dignement« .
Sur l’éducation au Rwanda
Sur l’éducation nationale, Mme Idamange pose un diagnostic sanglant sur la politique. Elle revient sur le changement brusque de la langue d’enseignement, du français à l’anglais, qui a détruit l’éducation nationale. Et depuis le début de la pandémie, les choses se sont empirées car les écoles sont pratiquement fermées depuis une année, alors que les enfants des dirigeants sont envoyés étudier à l’étranger ou fréquentent des écoles internationales au Rwanda qui continuent à donner un enseignement en ligne.
Elle fustige la décision de fermer toutes les écoles qui a été annoncée dans la soirée du 17 janvier, alors que les jours précédents, le gouvernement avait semblé revenir à la raison en décidant d’ouvrir toutes les écoles le 18 janvier suite aux protestations des parents qui se faisaient de plus en plus fortes.
« L’éducation nationale est devenue comme un terrain de jeu où chaque nouveau ministre change les règles à sa guise, ….Au fond la raison de tout ça est que les enfants de nos dirigeants n’étudient pas ici dans ces écoles, les enfants de ceux qui sont censés nous représenter étudient à l’étranger ou dans des écoles internationales qui ne sont pas soumis aux mêmes programmes, …. mais je dois vous dire à vous nos dirigeants que ceci est le signe d’un manque de patriotisme. Mais le plus grave en ce moment est le fait que nos enfants sont en train de rater deux années scolaires alors que ceux qui fréquentent les écoles internationales continuent leur scolarité. »
Et Mme Idamange de terminer en se demandant comment notre ministère de l’éducation nationale va gérer cette année scolaire à plusieurs vitesses en particulier pour les classes terminales.
Elle conclue le sujet en s’adressant à la Première Dame, Madame Jeannette Kagame : » Dernièrement, on a annoncé que le nombre de jeunes filles confrontées à des grossesses non désirées a fortement augmenté pendant la période de confinement. Je me demande si Mme Jeannette Kagame est au courant de ces chiffres car je l’ai entendue dire qu’elle se préoccupe du sort des jeunes filles, surtout celles qui rencontrent ce genre de difficultés, que sa fondation leur vient en aide. J’ose espérer que vous êtes sincère dans votre démarche et que vous ne faites pas tout cela pour vos donateurs étrangers, que vous allez faire quelque chose pour aider ces jeunes filles.«
Le droit à l’espérance
Madame Idamange a répété à plusieurs reprises qu’elle parle ainsi parce qu’elle est arrivée à bout. Ce manque de perspective généralisé est très dangereux et si les autorités n’y prêtent pas l’attention nécessaire et proposent un vrai projet d’avenir au pays, tous ces jeunes désœuvrés, sans espoir, risquent de basculer dans la criminalité ou les drogues.
Avant l’année 2020, le Rwandais qui voulait s’offrir un moment d’évasion afin d’oublier la dure réalité de la vie quotidienne avait le choix entre deux options: le sport ou la religion.
Avec la pandémie, les activités culturelles et les divers championnats sportifs, ainsi que les bars, où les gens se retrouvaient pour regarder les matchs des championnats étrangers très populaires au Rwanda, ont été les premières victimes du confinement.
Mais ici Mme Idamange, en bonne chrétienne est surtout préoccupée par la fermeture des lieux de cultes. Elle rappelle que les Rwandais ont le droit de conscience et de croyance et se demande pourquoi les lieux de cultes ont été les premiers lieux à être fermés: « Si on peut observer les mesures de préventions au marché, comment est-ce que cela devient impossible dans une église? …Nos autorités doivent se rappeler qu’une population sans croyances, ni espérance peut devenir ingouvernable.«
« Il est vrai que Dieu nous aide, mais il ne fera rien si nous ne demandons rien, c’est à nous de demander son aide, prions pour la paix, pour la joie, nous aussi avons droit au bonheur, personne n’a été créé pour souffrir. Des fois, j’ai l’impression que nous sommes dans une sorte de deuil permanent, comme si tout était fait pour que les Rwandais soient malheureux et je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas être heureux. C’est notre droit, nous avons été créés pour être heureux, mais il semble impossible de connaitre la joie au Rwanda. »
Y-a-t-il encore quelqu’un à la barre?
Madame Idamange déplore l’absence du leadership national ou de toute parole de réconfort et d’espoir des autorités tout au long de la crise. En effet, depuis l’apparition du Coronavirus, toutes les mesures ont étés annoncées par des communiqués de presse, parfois signées par le Premier Ministre ou même sans signature.
« Depuis le début de la pandémie, je n’ai pas encore vu le président de la République venir s’adresser à la nation. J’aurais aimé l’entendre dire aux Rwandais: « N’ayez pas peur, la pandémie est là, la situation est difficile mais nous avons pris des mesures de prévention. On va vous confiner chez vous, mais sachez qu’aucun Rwandais ne manquera de nourriture, ni de soins médicaux. N’ayez pas peur, en tant que votre leader, je reste avec vous ». Je ne sais pas si les autres l’ont vu mais moi personnellement, je ne l’ai pas vu. »
Cette longue absence du président Kagame de la scène publique a même poussé certains à penser que le président serait mort et voilà qu’apparemment la question de l’absence du leadership national en cette période de crise commence à intéresser même la population à l’intérieur du pays.
Nouvelle héroïne
La publication de la vidéo a propulsé Idamange Irya Mugwiza sur le devant de la scène et les réactions ne se sont pas faites attendre et ont étés à la hauteur de la surprise.
Pour certains, une nouvelle Rosa Parks est née, d’autres conseillent aux autorités d’écouter la douleur d’une mère au lieu de se sentir personnellement visés, d’autres encore voient en son action, le début d’un changement qui viendra des femmes.
Car au Rwanda, ce n’est jamais de bon augure quand on en arrive au point où les femmes doivent prendre les choses en main contre l’injustice.
Et pour conclure, laissons le dernier mot à Idamange Irya Mugwiza Yvonne dans son appel aux autorités:
« Je ne suis ni ennemie du pays ni suicidaire, on ne peut pas être suicidaire quand on est mère de quatre enfants. J’ai connu moi-même la vie d’orpheline et je sais qu’il y a des personnes qui tiennent à moi, mais je ne pouvais pas rester dans mon coin, silencieuse devant tant de détresse et d’injustice que connaissent mes concitoyens. Je devais le dire et maintenant, mes propos, prenez-les comme vous le voulez, mettez moi en prison si ça vous chante, accusez-moi et même si vous me tuez, je suis prête à tout ça. Je suis en paix avec ma conscience qui m’a poussé à parler au nom des Rwandais, de crier leurs douleurs, de vous dire que derrière nos sourires de façade se cache une immense douleur, et que derrière notre silence, nous ne sommes pas du tout satisfaits de notre situation….Il est temps que vous libériez les Rwandais, qu’ils puissent jouir de droits dans leurs propres pays, qu’ils connaissent la paix et la joie, …. À vous aussi les Rwandais, il est temps que vous vous libériez de la peur et preniez la parole, sortir votre détresse, pour réclamer vos droits et arrêter de prétendre d’être heureux alors que vous ne l’êtes pas du tout, …il est temps que chacun fasse ce qu’il a à faire pour que les Rwandais aient la paix. …Je m’appelle Idamange Irya Mugwiza Yvonne, je dois vous dire que je ne suis pas folle, n’allez pas prétendre que je suis une malade mentale, je ne suis pas là pour quémander à manger, je n’ai pas faim, je n’ai pas non plus prévue de me suicider, que demain personne ne vienne prétendre que je me suis suicidée. Ma « seule action suicidaire » est cette vidéo, je suis une mère et mes enfants ont besoin de moi,… je suis confinée chez moi, je ne risque pas d’être victime d’un accident de la route et je suis en bon terme avec mes domestiques, ils ne vont pas m’étrangler, s’il m’arrive quelque chose ce ne serait qu’à cause de ce que j’ai dit, … Et même s’il m’arrivait malheur, quelqu’un d’autre va parler comme moi, il y aura toujours des gens pour dénoncer l’injustice. Aujourd’hui le Rwanda n’a plus besoin d’un dirigeant guidé par l’ethnisme, que ça se soit un Hutu qui se prétend défenseur des Hutus, un Tutsi défendant les Tutsis ou un Twa défendant les Twas, … le Rwanda a aujourd’hui besoin d’un dirigeant qui aime les Rwandais et le Rwanda et qui possède un esprit patriotique et serait prêt à se sacrifier pour ses concitoyens. »
Depuis la publication de la vidéo, plusieurs membres du régime s’exprimant sur les réseaux sociaux réclament des sanctions parmi lesquelles l’emprisonnement de la jeune femme et les inquiétudes sont grandes quant à la réaction des autorités.
Luc Rugamba
Jambonews.net