Le Royaume de Belgique a pris une décision inédite en refusant d’accréditer Monsieur Vincent Karega comme nouvel ambassadeur du Rwanda en Belgique. La nomination de Monsieur Karega avait été annoncée en mars 2023, alors qu’il était destiné à diriger le plus grand corps diplomatique du Rwanda sur le continent européen, en remplacement de Dieudonné Sebashongore, qui avait déjà quitté son poste. Cependant, après un suspense de près de 4 mois, le verdict est tombé. D’après des informations recueillies par Jambonews auprès de sources diplomatiques rwandaises, la Belgique a refusé d’accorder l’accréditation à Vincent Karega. Cette décision marque un tournant dans les relations diplomatiques entre les deux pays et soulève des interrogations quant aux raisons qui ont conduit à cette décision.
Pressions des communautés rwandaise et congolaise
Des organisations de défense des droits de l’Homme et de promotion de la démocratie en Belgique avaient adressé une lettre le 9 avril 2023 aux ministères des Affaires étrangères belge pour exprimer leurs inquiétudes concernant la désignation de Monsieur Vincent Karega comme ambassadeur. Elles ont mis en lumière le passé controversé de Monsieur Karega en tant qu’ambassadeur en Afrique du Sud et en République démocratique du Congo, où il avait été accusé de traquer les opposants politiques et les réfugiés rwandais.
L’ambassadeur Vincent Karega avait été expulsé de la République démocratique du Congo en novembre 2022, à un moment où le M23 venait de conquérir les villes de Rustshuru centre et Kiwanja, et où le gouvernement congolais déclarait observer une arrivée massive de troupes rwandaises sur le sol congolais. Cette situation tendue a suscité de fortes pressions citoyennes de la part des mouvements de la société civile congolaise, qui accusaient le diplomate de nier le rôle du Rwanda dans un massacre de civils perpétré en 1998 dans l’est de la RDC.
Le tweet désormais supprimé de l’ambassadeur Karega exprimait « l’incohérence flagrante entre image et histoire« , qualifiant les accusations graves de « narratif simpliste » et accusant les dénonciateurs de calomnie. Cette réaction a été vivement critiquée par les mouvements de la société civile congolaise, qui ont souligné l’importance de reconnaître les crimes commis en 1998 et de rendre justice aux victimes. Cette déclarationde Karega a été dénoncé comme étant le résultat d’une « attitude révisionniste des autorités rwandaises » et d’un « mépris sans pareil envers les victimes de leurs crimes« .
Avant d’être ambassadeur en République Démocratique du Congo, Monsieur Karega avait occupé le poste de Haut Commissaire du Rwanda en Afrique du sud. C’est sous son mandat que Patrick Karegeya, l’ancien chef des renseignements extérieurs rwandais avait été assassiné dans un hôtel à Johannesburg le 1er janvier 2014. L’enquête démontrant rapidement l’implication de diplomates rwandais.
Le 12 mars 2014, à la suite d’une nouvelle tentative d’assassinats en Afrique du Sud, visant un autre opposant, les autorités sud africaines avaient expulsé plusieurs membres de l’équipe diplomatique de Monsieur Karega en lançant un avertissement clair aux autorités rwandaises « Nous, le gouvernement sud-africain, nous voulons envoyer un avertissement très sévère à quiconque, partout dans le monde : notre pays ne peut pas être utilisé comme une base pour des activités illégales« [1]
Ce passé controversé de Monsieur Karega à la base de vives critiques émanant des communautés rwandaise et congolaise ont sans aucun doute pesé dans la décision du gouvernement belge de refuser l’accréditation de Vincent Karega comme nouvel ambassadeur du Rwanda en Belgique.
Arrogance diplomatique du Rwanda
Une autre raison qui expliquerait le refus d’accréditation est l’attitude diplomatique du Rwanda. En nommant publiquement Vincent Karega comme nouvel ambassadeur en Belgique avant d’en informer le pays hôte, le Rwanda a placé la Belgique devant le fait accompli. Cette manière de procéder a été perçue comme une arrogance diplomatique, ce qui a pu contribuer à la décision de la Belgique de rejeter la désignation de Monsieur Karega. En effet, cette manière de procéder contrevient aux us et coutumes diplomatiques. En refusant d’accepter cette nomination, la Belgique a démontré son souci de préserver l’intégrité de ses relations diplomatiques avec les pays partenaires et son engagement envers le respect des principes diplomatiques.
Cette nomination rapide, quelques mois seulement après son expulsion de la République démocratique du Congo, a également pu être perçue comme une manifestation d’arrogance diplomatique de la part du Rwanda. Cette manière de procéder a pu être interprétée comme un piège tendu par les stratèges de Kigali à la diplomatie belge, car si cette nomination avait été effective, elle aurait pu être considérée comme une marque de défi et de mépris envers les autorités congolaises.
Soutien affirmé de la Belgique à la RDC
Par ailleurs, la Belgique a clairement affiché son choix de se rapprocher de la République démocratique du Congo (RDC) face aux tensions persistantes entre Kinshasa et Kigali. La renaissance du M23, soutenu par le Rwanda, ainsi que les incursions des forces rwandaises sur le territoire congolais ont généré des tensions bilatérales. La Belgique a activement participé à l’initiation de sanctions européennes visant certains officiers rwandais. Ces mesures sont encore en discussion et devraient être rendues publiques incessamment sous peu. De plus, elle a mobilisé des fonds européens pour renforcer les capacités de la 31e brigade de réaction rapide en RDC, par le biais du Fonds européen pour la paix. Ces actions diplomatiques en faveur de la RDC ont clairement affirmé la position de la Belgique dans le conflit, renforçant ainsi ses liens avec la RDC. Ces recentes actions vont en ligne droite avec la déclaration très appréciée du Premier Ministre Alexander De Croo lors de la visite royale belge à Kinshasa en juin 2022. Il avait affirmé que : « Comme l’Ukraine, la RDC a le droit d’exiger que son territoire soit respecté. »
En somme, la décision du Royaume de Belgique de rejeter l’accréditation de Vincent Karega comme ambassadeur du Rwanda témoigne d’une série de facteurs clés, incluant les pressions citoyennes, l’attitude diplomatique du Rwanda perçu comme arrogante et le choix de la Belgique de soutenir activement la RDC. Cette information marque une étape significative dans les relations diplomatiques entre les deux pays et soulève de nombreuses interrogations sur l’avenir de leur coopération.
Emmanuel Hakuzwimana
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[1] L’Afrique du Sud lance un avertissement au Rwanda, après les expulsions de diplomates – Jeune Afrique