Dans son livre paru en octobre 2019 aux éditions du Toucan, « Rwanda, La Vérité sur l’Opération Turquoise, quand les archives parlent », Charles Onana emmène le lecteur à la découverte d’éléments inédits, pour la plupart gardés secrets pendant des décennies dans les archives de l’Élysée, du Pentagone mais aussi du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).
Des éléments à décharge pour la France et son armée, qui atténuent sa « responsabilité lourde et accablante »[1] dans ce qu’il s’est passé au Rwanda entre 1990 et 1994, mais surtout, des éléments à charge contre le Front Patriotique Rwandais (FPR) de Paul Kagame, qui mettent en exergue son rôle « trouble » pendant la période du génocide contre les Tutsi, au cours de laquelle près d’un million d’innocents furent massacrés.
Tout au long des 662 pages, Charles Onana contredit à certaines croyances dominantes à propos des motivations des uns et des autres, et finit notamment par démontrer que l’armée française n’aurait jamais eu la volonté d’encadrer les génocidaires dans leur sombre besogne, que le FPR de Paul Kagame n’aurait jamais eu la volonté de protéger les Tutsi du génocide, ou encore qu’il n’y aurait jamais eu de preuves de la planification du génocide par un certain « régime Hutu ».
C’est principalement pour ces deux derniers points que six associations françaises[2] ont porté plainte contre lui le 20 octobre 2020, pour le chef de contestation du crime de génocide, au motif que son livre serait un « prétexte pour nier l’existence du génocide des Tutsi au Rwanda ».
Le procès, qui a finalement eu lieu du 7 au 11 octobre 2024, au sein de la 17e chambre du Tribunal correctionnel de Paris portait donc sur une vingtaine d’extraits du livre ; des phrases, des demi-phrases et quelques paragraphes minutieusement décortiqués au regard de la loi pénalisant la contestation du crime de génocide.
Que lui reproche-ton exactement ?
Selon les parties civiles, les extraits retenus « matérialisent une contestation du crime de génocide […] » au sens du code pénal français, à savoir que chacun des extraits correspondrait parfaitement à une des typologies de contestation du crime de génocide, similaires à celles constatées pour la négation du génocide des Juifs. En effet, étant donné qu’il n’existe aucune jurisprudence traitant de la négation du génocide rwandais en France, les parties civiles ont proposé au Tribunal de se référer à la jurisprudence abondante concernant la négation de la Shoah et de l’appliquer à la négation du génocide contre les Tutsi.
Plus concrètement, Charles Onana se serait rendu coupable (1) de négation pure et simple, (2) de négation implicite et (3) de disqualification des institutions. Afin de convaincre les juges de leur point de vue, les parties civiles ont isolé et commenté chacun des extraits, de façon à en démontrer le supposé caractère « négationniste ».
Par exemple, en ce qui concerne l’extrait n°4, qualifié de contestation pure et simple, là où Charles Onana écrit : « Continuer à pérorer sur un hypothétique « plan de génocide » des Hutu ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsi par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire. » (page 460), les parties civiles affirment que l’auteur « réduit le génocide commis à l’encontre des Tutsi à […] une « escroquerie », une « imposture », une « falsification de l’histoire » ».
Pourtant, à la simple lecture de cet extrait, même hors contexte, on comprend sans équivoque que Charles Onana parle du « plan de génocide » évoqué dès 1994 par le FPR qui serait hypothétique, et non du « génocide » lui-même, dont l’auteur reconnaît par ailleurs la réalité dans plusieurs autres passages du même livre.
De même pour l’extrait n° 3, qualifié également de négation pure et simple, Charles Onana écrit : « Paul Kagame et ses hommes n’ont jamais sauvé les Tutsi d’un quelconque « génocide » et ils n’ont jamais envisagé cela » (page 456). Les parties civiles affirment que l’auteur « considère sans ambages que les Tutsi n’ont en aucun cas été sauvés d’un génocide », alors qu’une lecture objective de cet extrait montre que Charles Onana réfute le fait que Paul Kagame et ses hommes aient sauvé les Tutsi, et non le fait que les Tutsi aient été victimes d’un génocide.
Enfin, concernant l’extrait n°2, qualifié également de négation pure et simple, là où Charles Onana écrit : « Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un génocide au Rwanda, constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle. » (page 198), les parties civiles considèrent que : « Monsieur Onana réduit le génocide commis à l’encontre des Tutsi à une « thèse conspirationniste » […]». Pourtant, dans sa prise de parole à la fin de la journée du 11 octobre, Charles Onana a tenu à lire l’entièreté du passage dont a été tiré l’extrait n°2 et la cour a pu constater que l’extrait était en réalité la conclusion de toute une démonstration qualifiant la thèse d’une « planification » du génocide par « un régime hutu » « d’escroquerie », et non le génocide lui-même. Charles Onana a rappelé qu’il était arrivé à cette conclusion, étant entendu que le FPR avait fait croire au monde entier qu’il disposait de preuves de cette planification, mais qu’il est resté en défaut de les fournir, ni au TPIR, ni à toute autre juridiction étrangère ayant eu à juger des actes de génocide commis au Rwanda en 1994.
Des interprétations surprenantes.
Pour ce qui concerne les extraits qualifiés de négation implicite, l’interprétation des parties civiles est encore plus surprenante.
A titre d’exemple, l’extrait n°15, qualifié de négation implicite, dit ceci : « Au Rwanda, des Tutsi, des Hutu et des Twa ont été sauvagement massacrés. » (page 621).
Etonnamment, les parties civiles y voient une « négation implicite de la spécificité des massacres subis par les seuls Tutsi », sans pour autant préciser dans quels termes il faut parler des victimes Hutu et Twa, comme l’a fait valoir Me Emmanuel Pire, l’avocat de Charles Onana, lors des plaidoiries.
De même, concernant l’extrait n°16 qui dit ceci : « Il s’agit [pour le FPR] de faire passer sa guerre de conquête du pouvoir pour une « guerre de libération » ou pour un « génocide des Tutsi » et dissimuler, en même temps, les crimes contre l’humanité qu’il a commis avec son mouvement et qui sont aujourd’hui très bien documentés. » (page 649); les parties civiles affirment qu’il s’agirait d’une négation implicite à partir du moment où l’on prétend que les Tutsi avaient la volonté «d’instrumentaliser un génocide pour accéder au pouvoir […] ».
Encore une fois, une lecture dépassionnée de cet extrait permet de constater que Charles Onana parle précisément du FPR, mais que les parties civiles le remplace par « les Tutsi » de manière globale. Une extrapolation surprenante, pour ne pas dire fallacieuse, aux yeux de quiconque connaît l’intimité du dossier rwandais.
D’ailleurs, dans sa prise de parole le soir du vendredi 11 octobre, Charles Onana a tenu une nouvelle fois à rappeler au Tribunal qu’il faut bien distinguer les populations civiles Tutsi innocentes, victimes du génocide, des rebelles Tutsi du FPR auteurs de graves violations du droit humanitaire international, abondamment documentées.
Pour le reste des reproches, qualifiés de « disqualification des institutions », les parties civiles reprochent à Charles Onana d’avoir critiqué soit le travail du TPIR, soit le travail des juridictions françaises pour les verdicts de culpabilité rendus, comme par exemple dans l’extrait n°18 qui dit: « lorsque le procureur [du TPIR] s’est retrouvé en difficulté de fournir des preuves et de la planification et du génocide, il a préféré recourir à l’artifice du « constat judiciaire » plutôt que de mettre sur la table des pièces à conviction. » (page 195).
De manière contradictoire, les parties civiles voient dans cette critique une forme de « négationnisme », alors qu’elles ont elles-mêmes admis à la barre que le TPIR n’avaient pas pu apporter de preuves de ladite planification, à cause de son mandat limité aux faits qui se sont produits entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994. Il s’agit donc de la seule constatation sur laquelle les parties civiles et Charles Onana pourraient être d’accords, aucun des deux ne contestant le fait que le Procureur du TPIR est resté en défaut de fournir les preuves en question.
Quant au fait que Charles Onana aurait « systématiquement » eu recours aux guillemets autour du mot « génocide », les parties civiles y voient « un indice de la négation pour le moins implicite […] », alors que le livre contient plus d’une trentaine de passage où le mot génocide n’est pas entre guillemets.
Ironiquement, dans leur propre plainte, les parties civiles ont-elles-mêmes mis le mot génocide entre guillemets plus d’une trentaine de fois, sans pour autant préciser en quoi leurs guillemets étaient différents de ceux de Charles Onana.
En somme, la vingtaine d’extraits reprochés à Charles Onana relève plus d’une interprétation subjective, parfois de mauvaise foi, voire fallacieuse, comme l’attestent sans équivoque les interprétations diamétralement opposées des témoins cités de part et d’autre.
Des témoins au calibre disproportionné
De son coté, Charles Onana a fait citer une douzaine de témoins dont la qualité et la crédibilité par rapport aux éléments dont ils ont été amenés à témoigner sont irréfutables. On notera par exemple les trois officiers généraux de l’armée française, des Rwandais anciens opposants au régime de Habyarimana, des Rwandais actuels opposants au régime de Kagame, l’ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda en 1994, un militant rwandais des droits de l’Homme depuis 40 ans qui a connu les deux régimes, un ancien avocat de la défense près du TPIR et surtout, le colonel belge Luc Marchal, commandant des Casques bleus de l’ONU stationnés à Kigali en avril 1994 et témoin de premier plan de ce qu’il s’est passé entre les forces belligérantes avant, pendant et après le génocide.
Tous, ayant vécu personnellement les évènements de 1994 ou auprès du TPIR, ont attesté du fait que le livre de Charles Onana n’avait rien de négationniste et certains sont même allés jusqu’à soutenir sans équivoque l’ensemble de ses conclusions.
Du coté des parties civiles, les associations ont présenté cinq témoins à charge, dont l’avocat belge Bernard Maingain, qui est aussi l’avocat de l’État Rwandais et de Paul Kagame dans d’autres affaires, une chercheuse américano-bosniaque inconnue dans le dossier rwandais, un professeur français de droit public, un jeune historien français, ainsi que Jean-François Dupaquier, un journaliste français pro-FPR qui, acculé par les questions des avocats de la défense sur la réalité des victimes Hutu et la manière de les évoquer, a préféré affirmer que les ethnies n’existaient pas au Rwanda, plutôt que de reconnaître que des Hutu ont été également massacrés.
Aucun témoin des parties civiles n’a vécu personnellement les évènements de 1994.
Un deux poids deux mesures saisissant
Au cours de leurs plaidoiries du dernier jour, les avocats de trois associations sur six ont tenu à expliquer à la Cour en quoi les associations qu’ils représentent sont tout à fait indépendantes du pouvoir de Paul Kagame.
Par exemple, l’avocat de Survie a longuement expliqué au Tribunal que Survie devait être considérée comme objective, malgré le fait que son fondateur, Jean Carbonare, avait eu un certain nombre de contacts avec Paul Kagame dès 1993 et avait fini par collaborer avec son régime après sa victoire militaire à l’été 1994[3].
Une mise au point précise et étonnante, notamment parce que les trois autres associations, à savoir le Collectif pour les Parties Civiles du Rwanda (CPCR), IBUKA-France et la Communauté Rwandaise de France (CRF) n’ont rien dit à ce sujet, laissant penser qu’elles seraient dépendantes du régime de Paul Kagame, ou, à tout le moins, qu’elles lui rendraient des comptes.
En revanche, l’avocat de la FIDH a tenu à expliquer que sa cliente (la FIDH) n’hésitait pas à dénoncer les abus et crimes actuels du régime de Kigali, ce sur quoi Charles Onana est revenu personnellement lors de sa prise de parole.
En substance, Charles Onana a demandé ce que ces associations ont fait concernant le cas de Déo Mushayidi[4], rescapé Tutsi du génocide, avec qui Charles Onana a co-écrit le livre « Les secrets du génocide rwandais » et qui croupit en prison à Kigali depuis près de 15 ans pour avoir dénoncé les crimes du FPR, ou encore le cas de Kizito Mihigo[5], célèbre chanteur de gospel, également rescapé Tutsi du génocide, qui se serait « suicidé » en prison en février 2020 à Kigali, quelques années après avoir sorti une chanson qui prônait une véritable réconciliation ainsi que l’empathie envers toutes les victimes, indépendamment de leur ethnie.
Pourtant, tout ceci n’a pas empêché la Procureure de faire siennes les conclusions des parties civiles presque mot pour mot.
Malgré son aveu de n’avoir lu que quelques chapitres du livre poursuivi, au grand étonnement de Charles Onana, elle a corroboré l’interprétation des parties civiles, selon laquelle les extraits en question constitueraient bel et bien des négations pures et simples, des négations implicites ou encore des contestations des institutions au sens de la jurisprudence existante pour la négation de la Shoah.
Elle a par conséquent demandé que Charles Onana soit déclaré coupable de contestation du crime de génocide, sans toutefois requérir de peine, laissant au Tribunal le soin d’en apprécier la teneur.
Un jugement historique.
Au-delà du simple verdict de culpabilité ou de relaxe, le Tribunal devra donc statuer sur bien des choses.
Ainsi, ce sont surtout les motivations du jugement qui intéresseront un public averti car on devrait y retrouver la liste de ce qui doit être considéré, en France, comme « négationniste » lorsqu’on parle des responsabilités des uns et des autres dans ce qu’il s’est passé au Rwanda en 1994.
Par exemple, comment le Tribunal va-t-il trancher la très controversée question de la planification en sachant que la position constante de la Cour d’assise de Paris est en porte à faux avec la position du TPIR sur l’existence de ce plan ? Est-ce que le fait d’évoquer que le TPIR est resté en défaut de prouver l’existence d’un plan de génocide, ce qui pourtant est un fait, doit être considéré comme du « négationnisme » en France ?
Quel crédit le Tribunal va-t-il accorder aux différents témoignages apportés de chaque côté de la barre ? Est-ce que les nombreux témoins parlant le même langage que Charles Onana seront également considérés comme « négationnistes » ? Quid de la crédibilité des témoins qui nient l’existence des ethnies au Rwanda tout en parlant d’un génocide contre l’une de ces ethnies « non existante » ?
Que dira le Tribunal à propos de la dimension géopolitique soulevée à plusieurs reprises par
Charles Onana comme étant la principale raison de sa présence devant un Tribunal ? Car
effectivement, dans sa prise de parole, Charles Onana a longuement expliqué qu’il était là à cause
de ses révélations sur les visées expansionnistes de Paul Kagame à l’Est du Congo, une
hypothèse largement partagée par de nombreux Congolais dont le docteur et prix Nobel de la paix
Denis Mukwege qui a publiquement déclaré son soutien à Charles Onana et qualifié ce procès, de
« Procès de la Honte » pour la France.
Comment le Tribunal va-t-il trancher la sensible question des victimes Hutu et Twa ? Est-il vraiment « négationniste » de dire que des Hutu et des Twa ont également été massacrés en 1994 ? Ce serait une première mondiale et entraînerait certainement des répercussions diplomatiques, étant donné que le Royaume-Uni et les États-Unis n’ont cessé de leur côté de rappeler l’importance d’inclure toutes les victimes rwandaises dans la mémoire collective, comme en atteste le tweet du secrétaire d’État américain Anthony Blinken le 7 avril dernier.
Enfin, question la plus importante, quid des crimes du FPR de Paul Kagame ? Les évoquer, comme le fait Charles Onana, sera-t-il considéré comme « négationniste » en France ? Aurons-nous un jugement qui ordonne de passer sous silence des crimes de masse largement documentés, des crimes contre l’Humanité, voire des crimes de génocide ? Ou alors, aurons-nous un jugement qui autorise les rescapés, les familles de victimes, les chercheurs, les journalistes et même les magistrats à les dénoncer sans risquer d’être accusé de « négationnisme » ?
Bref, tant de questions dont les réponses, qui s’annoncent déjà historiques, risquent bien de faire basculer la façon dont le négationnismedu génocide des Tutsi sera désormais traité en France.
Réponses, très attendues, le 9 décembre 2024.
Bruxelles, le 11 novembre 2024
Gustave Mbonyumutwa
Ancien Président de l’association de droit belge JAMBO ASBL, Gustave a dirigé entre 2017 et 2019 les travaux de l’association lors des débats parlementaires belges qui ont permis d’aboutir, en Belgique, à une loi réprimant la négation du génocide des Tutsi, sans toutefois interdire, entre autres, « aux associations de défense de droits de l’Homme, aux journalistes et aux chercheurs de pouvoir faire leur travail sans être abusivement taxés de négationnistes ».[6]
[1] Selon le rapport « Duclert » du 26 mars 2021
[2] Survie, FIDH et LDH dans un premier temps, Ibuka-France, CRF et CPCR dans un second temps
[3] Voir courrier du Président rwandais Pasteur Bizimungu adressé à Jean Carbonare le 22 août 1994
[4] https://www.amnesty.be/veux-agir/agir-individus/reseau-actions-urgentes/node/4990
[5] https://www.hrw.org/fr/news/2021/02/17/entretien-comment-une-chanson-scelle-le-sort-de-lartiste-rwandais-kizito-mihigo
[6] https://www.jamboasbl.com/article/observations-de-jambo-asbl-sur-le-nouvel-article-de-loi-tendant-reprimer-la-negation-des