De celle-ci, le dictionnaire Larousse nous donne la définition suivante : « Dispersion d’un peuple, d’une ethnie à travers le monde ». C’est tout ! Pas de lien avec devoirs politiques, lobbysmes, voire Western Union. Non. Juste la diffusion d’un groupe en dehors de son pays d’origine. On ne peut se contenter d’une définition aussi fade. A savoir aussi qu’initialement, le mot concernait uniquement le peuple juif, du temps de l’Exode, au VIe siècle av. J-Christ. Il portait alors une majuscule. Aujourd’hui, plus 2000 ans plus tard, on parle de diaspora italienne, camerounaise, chinoise…rwandaise, etc. A vrai dire, la définir en soi et l’identifier est chose facile, mais définir son rôle et sa raison d’être, c’est une toute autre paire de manches. En effet, à quoi/qui sert-elle ? La diaspora: une fin en soi ? A l’heure de la mondialisation et de la dite solidarité internationale, que peut-elle offrir, c’est-à-dire aussi bien pourle pays d’accueil que pour son pays d’origine ? Est-ce une sorte de passerelle, ou encore : peut-on la considérer comme un groupe homogène ? Les questions posées ci-dessus ne datent pas d’hier. Il y a déjà, pour les migrations d’Afrique sub-saharienne, des associations subventionnées par l’Etat qui étudient ce phénomène. Un exemple, en Belgique, est le Centre d’Etudes et de Mémoire des Migrations Subsahariennes (cémis). Ce dernier défend une organisation des diasporas plus structurée, pour favoriser au mieux les coopérations à l’échelle transnationale. En effet, le Cémis estime que les diasporas, dans l’ensemble, sont les grandes oubliées dans les appels à la solidarité, malgré que ces dernières soient très actives. Et qu’au niveau économique, l’émigré soit potentiellement une manne dans le marché du travail ; l’import-export ; les transferts d’argent, etc.
Une nouvelle identité ?
Parce que l’Occident offre une stabilité politique et économique de premier choix, la diaspora africaine, dans son ensemble, tend généralement à s’y établir de façon permanente. L’immigré vient ainsi alors à se confondre avec la société d’accueil. On parle d’intégration, voire dans les cas extrêmes : d’assimilation. Dans le premier cas, le lien avec le pays natal reste vif. En effet, dans les pays du Nord, l’immigré est conscient de ses différences. D’abord au niveau linguistique et culturel, à savoir que ses capacités de communication se retrouvent soudainement limitées dans la nouvelle société. Et l’immigré sub-saharien, qui interagit souvent avec la communauté africaine ou « compatriotes d’origine », cherche à recréer, du moins pour un temps – consciemment ou inconsciemment – l’environnement originel à travers ses relations et pratiques sociales. Il se retrouve alors avec des personnes avec qui il partage la même langue, plus ou moins les mêmes pratiques culturelles (croyance(s), goûts musicaux, cuisines), en bref : une conscience et mémoire communes. Cette dernière est importante, tel le dit un dicton africain : « Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ». Beaucoup pourraient y voir en cela une attitude réfractaire, pour faire face à une identité menacée par la culture dominante. Pourtant ce communautarisme fait partie du processus de réaffirmation identitaire et que le danger serait plutôt de le marginaliser, comme ce fut longtemps le cas avec la création de ghettos urbains pour minorités ethniques. Il est par conséquent préférable qu’à la diaspora on lui réserve un espace public et permanent, pour le simple respect de ses spécificités culturelles – dans une démocratie aux valeurs multiculturelles. Parce que s’assimiler au modèle dominant et homogène serait incompatible avec les valeurs de démocratie libérale. Quand l’Etat réserve un espace à la diaspora, il suppose qu’il reconnaît cette dernière dans son caractère entier.
Rôle(s) et affinités
Une fois la reconnaissance reconnue, on passe à l’étape suivante. En effet, à l’heure de la mondialisation, quel rôle peut jouer l’immigrant dans la relation Nord – Sud ? Comme dit, la diaspora est, à un certain degré, une passerelle dans les relations entre deux Etats (de résidence et d’origine). Aujourd’hui, avec le nombre sans cesse grandissant d’immigrés dans les pays du Nord : les autorités étatiques commencent à prendre en compte de l’utilité de la diaspora et leur apport dans le Développement. Mais l’erreur serait de partir du raisonnement qu’une diaspora est un groupe homogène et prêt-à-l’emploi. De plus, chaque acteur, dans le discours du développement, a des revendications propres, c’est-à-dire des intérêts (économiques) propres. Les Etats, les immigrés et leurs associations respectives peuvent avoir des objectifs et des points de vue divergeant quant au modèle(s) de développement et leurs biens fondés. Au niveau politique, le passé diplomatique entre deux Etats peut jouer comme frein à la coopération. Au sein de la diaspora, des clivages d’ordre religieux, socio-ethnique, régionaliste peuvent empêcher un discours d’intérêt commun. Enfin, il peut même arriver que la diaspora se retrouve entre deux feux, devant même jouer le rôle de médiatrice ou au contraire d’enflammeuse, si les relations entre les deux Etats venaient à s’envenimer. Donc la coopération à l’échelle transnationale, ses échecs et ses succes-stories : doivent aussi être pris en compte le contexte politique et historique qui animent les deux pays. Et cela est surtout valable pour les pays de l’Afrique noire, anciennes colonies du Nord. La coopération part déjà avec ce handicap. Mais est-ce une faiblesse ou une force ? Assurément que nombreux seraient tentés d’y voir, dans les efforts des anciennes puissances colonisatrices, une nouvelle forme de paternalisme.
Un autre hic dans le débat de la mondialisation est que cette dernière justement, avec l’ouverture des frontières, a favorisé un climat de peur et d’incertitudes, essentiellement dans le Nord. Comme de la sécurité du marché du travail, défendue par la masse autochtone, c’est-à-dire les “forces productrices”. A cette contradiction, là aussi les Etats du Nord tiennent un double langage : entre montée en puissance des discours de droite, nationalistes et les réalités économiques que sont les délocalisations et agrandissement de la zone Euro: l’immigration se trouve ainsi prise au piège par une politique de dénigrement, très tendance dans les débats populaires.
De la coopération Nord-Sud en Belgique
Mais, malgré ces freins, les efforts de collaboration entre Nord-Sud ne manquent pas. Par exemple il y a la Direction Générale de la Coopération au Développement (DGCD) : une fonction publique fédérale belge qui tend à favoriser la coopération et le progrès. La DGCD « soutient des programmes qui font jouer le maximum de synergies possibles pour mieux valoriser les moyens et apporter des appuis à des actions de développement décentralisées dans une approche globale, structurée et cohérente ». Le fait de préciser que ce sont des actions décentralisées est important, parce que c’est là qu’entre la diaspora : actrice clé dans cette collaboration pour le développement. Longtemps négligée, elle est ici placée au centre des demandes, car souvent elle connaît la situation sur le terrain, mieux que quiconque. Une approche qui nous montre qu’il est possible de marier « migration » et « développement », des mots pourtant à première vue contradictoires. Pourquoi? Parce que, et ça c’est un autre fait substantiel, notamment que le Sud souffre d’une fuite de cerveaux accrue – qui vont s’installer définitivement dans les pays du Nord. En effet, on ne devient pas un immigré pour le plaisir d’être immigré. A côté des immigrés – réfugiés politiques, il y a des réfugiés économiques. Bref, là aussi, trop de différences pour que tous soient mis dans le même sac. Certes, l’idée charitable de développer les pays du Sud pour les sortir de la pauvreté permet de freiner les flux migratoires vers les pays du Nord. Mais il faut avouer qu’il est difficile de dissuader les émigrés – dont certains sont prêts à traverser le désert à pied pour rejoindre l’Europe – que leurs pays sont en train d’être développés par des organisations du Nord, même avec l’aide de la diaspora. L’Europe reste l’Eldorado pour nombreux sub-sahariens. Quand bien même la situation de l’autochtone venait à s’améliorer dans son pays, l’attirance pour le Nord reste manifeste, ne serait-ce que pour la stabilité politique (démocratie) qu’offre ce dernier. Outre que les migrations actuelles s’expliquent aussi par le boom démographique sur le continent noir, depuis les indépendances. Incapable d’absorber et offrir de l’emploi à cette jeune population en soif d’un avenir meilleur, l’Afrique n’a pas d’autre choix que de voir ses populations migrer – aussi bien en Europe qu’à l’intérieur de ses propres terres.
Revenons au cas de la Belgique, fort éloquent. Ancienne puissance coloniale qui s’est appropriée l’immense Congo et tenait sous son protectorat le Rwanda et le Burundi, elle a de quoi rougir quand on lui parle de son passé avec ces pays, aujourd’hui indépendants. Sans entrer dans les détails historiques, je prends un raccourci pour analyser les rapports actuels entre ces différents protagonistes. Tout d’abord avec la République Démocratique du Congo. En effet, il est étonnant de constater que la Belgique collabore étroitement et de manière officielle avec une dictature responsable du chaos, même si c’est en en vue de promouvoir le développement. Donc oui je questionne la politique étrangère de la Belgique. L’ironie est la suivante : les fonds d’aide au développement – issus du contribuable belge – donc y compris des immigrés, ne se retrouvent-ils pas, au final, dans les caisses d’un pouvoir despotique des plus sanguinaires – le même pouvoir que cette diaspora a été contraint de fuir ? Un retour à la case départ donc. Cela explique également la réticence de nombreux membres de la diaspora à s’investir davantage dans ce genre de causes initiées par l’Etat belge. En effet, la diaspora estime que les autorités belges ont des comptes à rendre quant à la façon dont celle-ci gère ses relations avec la R.D.Congo et ce depuis les indépendances. Une partie de la diaspora se sent même trahie quand elle voit la complicité qui règne au niveau diplomatique entre les deux pays. Donc la DGCD, dans sa volonté de s’organiser, même à titre privé, avec la diaspora, pourra-t-elle passer outre le spectre de l’histoire ?
Mais des efforts collatéraux subsistent. Un autre exemple est l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Celui-ci a dernièrement initié une branche spécialisée dans la région des Grands Lacs, à savoir Migrations pour le Développement en Afrique (MIDA). Une institution publique et privée qui veut croire au développement mutuel. Son point de départ est le suivant :
« De nombreuses régions du continent africain souffrent actuellement d’une pénurie de ressources humaines qualifiées, due au départ massif des cadres et des diplômés universitaires. L’instabilité politique, les conflits armés, le chômage et la mauvaise gouvernance sont autant d’incitations à l’émigration vers des terres réputées moins hostiles. Cette fuite des cerveaux constitue pour de nombreux pays un obstacle au développement durable. C’est particulièrement vrai lorsque la pénurie de main d’oeuvre qualifiée touche des secteurs prioritaires comme l’éducation, la santé, le développement rural ou le tissu économique générateur d’emplois».1
Conclusion
On l’oublie souvent mais l’Occident est et restera un acteur tout aussi responsable, quand on analyse son passé et sa complicité (pour des fins économiques – occultes) avec les dictateurs d’Afrique. Mais quand bien même tous les acteurs sont présents, cela ne résoud pas pour autant l’affaire du “comment” développer cette fameuse citoyenneté transnationale. Mon avis est qu’il faut néanmoins continuer à stimuler ce coefficient de développement, afin qu’il soit capable de transcender les intérêts propres des acteurs au titre individuel, ainsi que les politiques et Histoire partagées entre pays du Nord et pays du Sud. Donc promouvoir un développement durable, mis en avant par la société civile mondiale, débarrassée des intérêts politico-économiques privés. En résumé : une démocratie transnationale.
Comme l’adhésion est contractuelle, tous les acteurs sont responsables. La théorie juridique du principe d’égalité et d’équité dans la coopération fait qu’aucun protagoniste ne revendiquerait sa supériorité sur un autre. Parce-que longtemps la coopération Nord-Sud a été perçue comme unilatérale : un regard condescendant de l’occident à l’égard du grand malade qu’est l’Afrique. De plus il est étonnant de voir encore que la diaspora africaine, aux yeux des autorités des anciennes puissances coloniales et leurs décisions politiques concernant l’Afrique, sa voix reste marginalisée. La visite récente de Paul Kagamé à son homologue français, Nicolas Sarkozy, en est un parfait exemple. Là aussi, une grande partie de la diaspora rwandaise dénonce le soutien et les fonds qu’accordent l’Occident au Rwanda dans le cadre de son développement quand on sait que les fonds en question vont soutenir et renforcer le monopartisme du FPR (Front Patriotique Rwandais). L’aide accordée à ce pays aide peut-être au développement, mais ce développement est d’une part difficile à analyser car il y a absence d’opposition politique et analyses indépendantes pour nuancer les statistiques du parti unique FPR, démagogue. Et, d’autre part, on questionne son étendue et sa durabilité. On avance ainsi dans le brouillard, délibérément. Mais comment la solidarité internationale peut-elle s’accroitre dans ce flou ? Au fond, ce genre de comportements – qu’est de brosser la bête dans le sens du poil – comporte le risque qu’on se retrouve, à nouveau, dans une relation de dépendance et de mépris.
Pour terminer, il faut voir les dangers – déjà visibles – au sein de cette diaspora, mal-aimée et mal organisée, en Occident. A la longue, elle devient vulnérable: une proie facile aux régimes tyranniques du continent noir, qui profitent de cette faiblesse pour séduire afin de redorer leur image à l’étranger. Il suffit de penser à l’attrait qu’a aujourd’hui le FPR dans la diaspora rwandaise.
Jean Bigambo Jambonews.net