Deux journalistes rwandaises Agnès Uwimana Nkusi et Saidath Mukakibibi qui comparaissent depuis le 30 janvier 2012 devant la Cour suprême de Kigali pour leur procès en appel, viennent d’être recondamnées en appel à 4 ans et 3 ans de prison ferme pour « atteinte à la sureté de l’Etat » et « diffamation à l’encontre du Président Paul Kagame ». Elles avaient été condamnées en février 2011 à, respectivement, dix-sept et sept ans de prison, essentiellement pour « divisionisme », « négation du génocide » et « incitation à la désobéissance civile », leur condamnation avait créé des vives protestations des organisations de défense des droits de l’Homme et de la presse. Les deux femmes injustement malmenées sont devenues le symbole de l’escalade de la répression qui s’abat sur les journalistes indépendants au Rwanda.
Agnès Uwimana Nkusi, directrice d’un bimensuel indépendant Umurabyo publié à Kigali, et sa consœur, Saidath Mukakibibi, avaient été condamnées en février 2011 à, respectivement, dix-sept et sept ans de prison, pour « négation du génocide, divisionnisme, diffamation du président Kagame, et menace à la sécurité de l’Etat ». Les procureurs avaient requis une peine de 33 ans pour Nkusi et de 12 ans pour Mukakibibi. La condamnation des deux journalistes à des peines aussi lourdes avait provoqué l’indignation de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté d’expression, dont Reporters Sans Frontière (RSF), Amnesty International (AI) et le Comité de protection des journalistes (CPJ). Le dictateur rwandais lui-même, le général Paul Kagame, avait déclaré dans une interview accordée à un journal ougandais le 10 novembre 2011 que, 17 ans de prison pour diffamation est trop « disproportionné et négatif pour l’image du pays ».
Le verdict de ce procès en appel qui a repris en janvier 2012 est tombé le jeudile 05 avril, Agnès Uwimana Nkusi a écopé d’une peine de quatre ans de prison, et de 250 mille francs (à peu près 350 $) d’amende pour « diffamation du Président Paul Kagame » et « atteinte à la sureté de l’Etat ». Sa consœur Saidath Mukakibibi a écopé de trois ans ferme elle aussi, et devrait s’acquitter également d’une amende de 77.000 franc rwandais (100$) pour « atteinte à la sureté de l’Etat ». La Cour les a toutes les deux acquittées des chefs de « divisionnisme » et « minimisation du génocide » car le parquet « n’a pu fournir les éléments qui composent ce crime » rapporte RSF.
Une équipe de sept juristes comprenant des représentants d’organisations de défense des droits de l’Homme et de liberté de la presse, dont l’Initiative pour la défense légale des médias (Media Legal Defense Initiative) basée à Londres, et Avocats sans frontières, basé à Bruxelles, s’était déplacé au Rwanda pour défendre ces journalistes. « Nous accueillons le verdict de la Cour suprême avec un sentiment mitigé. La réduction des peines prononcées contre Agnès Uwimana Nkusi et Saidat Mukakibibi est réconfortante au vu de la sévérité des peines initiales, mais c’est en réalité une fausse bonne nouvelle. Depuis le jour de leur arrestation, nous répétons que ces deux femmes doivent être libérées et les charges retenues contre elles annulées » a annoncé Reporters sans frontières dans une annonce publiée ce vendredi 05 avril.
Dans un communiqué publié en février 2010 après la condamnation initiale des deux journalistes, Reporters sans Frontières s’était dit « choquée par l’entêtement et la cruauté de la justice rwandaise qui vient de prononcer de très lourdes peines de prison à l’encontre d’Agnès Uwimana Nkusi, directrice du bimensuel privé Umurabyo, et l’une de ses journalistes, Saidath Mukakibibi ». « Le verdict porte un coup de plus à la liberté d’expression et d’opinion au Rwanda », avait pour sa part déclaré Amnesty International.
Encore une journée noire pour la liberté de la presse, et pour le journalisme indépendant au Rwanda. Cette condamnation difficilement compréhensible de deux journalistes, est le témoin du quotidien difficile auquel sont confrontés les professionnels de l’information au Rwanda, qui sont en permanence la cible d’une vague d’agressions délibérées et d’arrestations illégales et arbitraires. Certaines critiques vont même à affirmer qu’exercer le métier de journaliste libre au Rwanda « équivaut à un suicide ». Il faut néanmoins souligner, qu’aussi lourde que peut apparaitre cette condamnation, elle n’est rien par rapport à la barbarie qu’ont subid’autres journalistesrwandais notamment Jean Leonard Rugambage, le rédacteur en chef d’Umuvugizi, qui a été abattu par balles en juin 2010 devant son domicile, et Charles Ingabire, sauvagement abattu par balles dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2011 dans une banlieue de Kampala où il avait trouvé refuge suites à de nombreuses menaces.
Jean Mitari
Jambonews.net