Lors de la 10 ème édition du Dialogue national qui s’est achevé le 14 décembre 2012 au Rwanda, le Premier Ministre burkinabé Luc Adolphe Tiao, invité d’honneur au dialogue, a souligné que « le dialogue national est la preuve d’une véritable démocratie africaine ». Même si certains éléments du dialogue sont à saluer, d’autres points comme l’absence de représentants de l’opposition, laissent à cette 10 ème édition, un goût d’inachevé.
Le dialogue national est une bonne initiative qui peine pour rencontrer les exigences de la démocratie. Ainsi, l’absence des représentants de l’opposition, des représentants du corps associatif, des médias et des représentants des commerçants met-elle en évidence les limites de ce dialogue censé réunir toutes les composantes de la société dans leur diversité.
Exercice de démocratie participative
Du point de vue de la forme, ce dialogue national a été un exercice de démocratie participative permettant aux Rwandais et à la diaspora notamment par les réseaux sociaux de soumettre leurs problèmes quotidiens et de demander des comptes aux autorités nationales dont le président Paul Kagame.
Néanmoins, la réussite de cet exercice par le chef de l’Etat est à nuancer. En effet, on a noté l’absence des représentants de l’opposition a l’instar du PS-Imberakuri, parti d’opposition pourtant reconnu au Rwanda, des représentants des médias mis à part le média gouvernemental (ORINFOR), du corps associatif et des représentants des commerçants alors que Paul Kagame rappelait l’importance et la nécessité du dialogue entre Rwandais et avec l’étranger.
Les questions politiques portant notamment sur la liberté des médias, l’impartialité de la justice, les droits des partis d’opposition reconnus, la réforme de la loi sur l’idéologie génocidaire n’ont pas été abordées.
La figure présidentielle était omniprésente et le terme en Kinyarwanda « Nyakubahwa » qui signifie « son excellence » revenait à chaque prise de parole d’un membre de l’auditoire ou d’un ministre. On notera que les ministres s’adressaient au Président et non au peuple ; cela illustre l’imposante figure présidentielle dans les débats, Président auquel on rend des comptes plutôt qu’au peuple.
Le dialogue avait plus la forme d’une séance de questions-réponses que d’un véritable processus de réflexion ou de discussion contradictoire sur des enjeux stratégiques d’avenir alors que la population dans l’auditoire posait des questions majeures portant notamment sur la difficulté des coopératives agricoles à trouver des marchés, la faiblesse des revenus des enseignants, l’inaccessibilité des services publics en zones rurales, les inégalités dans la tarification de l’électricité, l’utilité du fonds de développement AGACIRO , les défaillances de la mutuelle de santé gouvernementale, l’enclavement des zones rurales ; etc.
Le chef de l’Etat était plutôt dans une posture de défense d’un programme politique que dans une démarche d’écoute.
L’autosuffisance, l’épargne, la dignité et la maîtrise de son destin étaient les valeurs qui étaient à l’honneur. Le panafricanisme était également présent et le chef de l’Etat a fait référence au fait que « l’Africain est toujours bien vu par l’occident à partir du moment où sa voix ne diverge pas. L’Africain est vu comme devant toujours être dirigé et non comme un dirigeant ». La question congolaise qui n’avait pas du tout été abordée pendant les débats a émergé pendant le discours de clôture du président de la République. Paul Kagame a fait appel à la métaphore de quelqu’un qui vient déposer un cadavre devant la porte de son voisin et qui par la suite appelle la police pour constater effectivement le cadavre et la culpabilité du voisin. A cela il ajoute « Ceux qui nous accusent sont ceux-là mêmes qui ont tué le Congo depuis longtemps ».
Le Gouvernement présente sa stratégie
Sur le fond, mis à part les questions de l’auditoire, on notera d’abord la présentation de la stratégie de croissance de l’épargne intérieure par John Rwangombwa, ministre des finances. Cette stratégie a un coût annuel de 151 milliard de francs rwandais(FRW). Pour financer cette stratégie, le ministre pose 5 hypothèses :
- Si 500 000 personnes en zone rurale épargnent chaque mois 5 000 Frw via le fonds Umurenge SACCO, cela produirait par an 30 milliards de Frw
- Si 300 000 auto entrepreneurs au revenu mensuel de 100 000 Frw mensuel épargnent à un taux de 6% cela génèrerait 21.6 milliards de Frw par an
- Si 1000 coopératives parmi les 5 000 épargnent 50 millions de Frw cela créerait 50 milliards de Frw par an
- Les 31 groupes d’investissement locaux génèreront 70 milliards de Frw
- Si 1 million de rwandais investissent 10 000 Frw en moyenne par an cela créerait 10 milliards
A cela, il présente également la stratégie de développement économique et de réduction de la pauvreté basée sur un revenu moyen par habitant estimé à 1200$ US en 2020 soit une croissance de 11% entre 2011-2020 ; des recettes d’exportation estimées à 5 milliards de $US en 2020 soit une croissance de 28% pour 2011-2020 et une hausse de 5% des recettes générées par le secteur des assurances soit 506 milliards de francs rwandais disponible pour l’investissement en 2020.
Ces deux stratégies présentent des objectifs ambitieux, néanmoins elles supposent une croissance annuelle et constante de 11.5% jusqu’en 2020 alors que le fond monétaire international (FMI) prévoit entre 2013 et 2014 un taux de croissance compris entre 7.5 et 7.2% à cause du gel des aides internationales et de la contraction économique mondiale.
Le deuxième point d’interrogation concerne le taux d’investissement car l’accomplissement de ces deux stratégies suppose un taux d’investissement de 30% en 2020 alors qu’il est estimé par la banque nationale rwandaise à 22.1% en 2012 et un accroissement de l’investissement privé dans le PIB de 9.2% à 20% d’ici à 2020. Cela nécessite une politique ambitieuse d’infrastructures (routes, électricité, eau, aérien), or aucune information n’a été communiquée à ce sujet.
Enfin les prévisions concernant la croissance du secteur de l’assurance soulèvent des doutes quant à leur cohérence. En effet, la croissance de 5% qui a été annoncée suppose que les problèmes intrinsèques au secteur ont été résolus ; or la pénurie de personnel qualifié et la sous-capitalisation des compagnies d’assurances sont des problèmes récurrents. D’ailleurs en 2011, Bernardin Kubwimana, secrétaire éxecutif de l’association des assurances du Rwanda soumettait à la Rwanda Revenue Authority la proposition d’obligation d’assurances des importations étant donné que 70% des produits consommés sont importés. Les primes d’assurances sur les marchandises étant élevées, cela constituerait une véritable source de recettes.
L’emploi des jeunes figurait également parmi les thèmes à l’honneur. Anasthase Murekezi, Ministre du service public et du travail a présenté la stratégie gouvernementale pour favoriser l’employabilité des jeunes. Cette stratégie est centrée sur des accords de partenariat avec des établissements anglais et américains principalement tels que le Birmingham University et le Carnegie Melon University pour former des étudiants rwandais dans des secteurs stratégiques et la création de centre de recherche et d’incubation. Cependant, cette stratégie ne répond pas au problème de chômage des 2.48 millions des 14-35 ans n’étant pas allés à l’école ou ayant arrêté au cycle primaire ; cela représente tout de même 22,64% de la population rwandaise dans son ensemble.
Concernant le Fonds Agaciro, il enregistrerait 10 698 millions de Frw actuellement selon le ministère des finances. Alors qu’à son lancement, aucune loi ne régissait ce fonds, le ministère des finances annonce qu’il sera encadré par une nouvelle loi « Rwanda’s new trust Law », un conseil d’administration et qu’un ou plusieurs managers décideront des projets à financer par le fonds en fonction du taux de rentabilité et de l’impact socio-économique de ceux-ci.
Néanmoins, la teneur de la « Rwanda’s new trust Law » demeure encore un secret d’Etat. Les lacunes de ce fonds demeurent et concernent principalement : le manque de cadre institutionnel, de procédure d’évaluation d’atteinte des objectifs, de comité de pilotage et d’objectifs planifiés.
L’autosuffisance est une nécessité, une survie et l’actualité nous le rappelle avec l’introduction le 14 décembre 2012 du sud africain PPC dans le capital du fleuron de la cimenterie rwandaise CIMERWA à 51% pour 69.4 million de dollars US ; ce qui en fait l’actionnaire majoritaire. Malgré les efforts de développement du secteur privé depuis une décennie, la sous-capitalisation de nombreuses entreprises rwandaises dans l’industrie, le tourisme, les assurances constitue un défi majeur.
Pour clôturer les travaux de l’assemblée, vingt-trois résolutions ont été prises au terme de ce forum national et portent principalement sur l’accès aux soins, la tarification et l’accès à l’électricité pour les populations rurales et le transfert de fonds de la diaspora vers le Rwanda.
L’idée même de dialogue national est essentielle et contribue à un meilleur fonctionnement d’une société et d’une démocratie à condition que toutes les composantes de la société en fassent partie et que toutes les questions puissent y être abordées sinon cela demeure un mirage.
Marie Umukunzi
Jambonews.net
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[1]http://www.primature.gov.rw/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/user_upload/documents/National_Dialogue_Resolutions-Umushyikirano/EDPRS_2_Towards_Achieving_Self_Reliance.pdf&t=1355636664&hash=77c3a7226e302e5a64e8322645acd96e136044e4
http://www.primature.gov.rw/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/user_upload/documents/National_Dialogue_Resolutions-Umushyikirano/Enhancing_Domestic_Saving__Mechanisms_Towards_Self-reliance.pdf&t=1355636664&hash=ba4f674aaa65aeede2ec79b9905b0260
http://www.primature.gov.rw/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/user_upload/documents/National_Dialogue_Resolutions-Umushyikirano/Strategic_Skills_Development_and_Youth_Employment.pdf&t=1355636664&hash=815b0ada4a6ed928ea3a9281940cd542fe3df27e
http://www.primature.gov.rw/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/user_upload/documents/National_Dialogue_Resolutions-Umushyikirano/Prosperity_for_Generations_Agaciro_Development_Fund.pdf&t=1355636664&hash=f0964f1ee8f38264da60cb88c9f0d4a3758b0bc5
http://www.primature.gov.rw/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/user_upload/documents/National_Dialogue_Resolutions-Umushyikirano/Promoting_Principles_and_Values_of_Self-Reliance_in_Rwanda.pdf&t=1355636664&hash=d23f0fb3e342659e6bcfe857cac2c22a9