L’affaire du compte de l’ambassade du Rwanda en Belgique, bloqué par la justice belge, a été plaidée ce jeudi 10 novembre 2011 en référé devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. La décision de la juge est attendue « au plus tard pour mercredi prochain ».
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Quelques jours après que le compte de son ambassade ait été bloqué, le Rwanda a, en représailles, bloqué les comptes de l’Ambassade de Belgique au Rwanda, selon les informations publiées par la Libre Belgique et confirmées par le ministère belge des affaires étrangères.
Au cours de l’audience, Alain Verriest, l’avocat de l’Etat belge, qui intervenait dans la procédure sur base volontaire, a d’emblée tenu à préciser que les « relations diplomatiques [entre les deux pays] étaient excellentes et que la Belgique défendait la même position que le Rwanda » avant d’ajouter que ce n’était pas le blocage du compte de l’ambassade de Belgique à Kigali qui allait mettre les deux Etats en conflit.
Il a justifié la décision d’intervenir dans la procédure « main dans la main » aux côtés du Rwanda par le souci de la Belgique de respecter ses obligations en matière de droit international public. En tant qu’état accréditaire du Rwanda, la Belgique estime être tenue de faciliter l’ambassade du Rwanda à accomplir ses fonctions en vertu de l’article 25 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et se présente dans l’affaire « non pour défendre un droit propre », mais pour défendre les droits du Rwanda.
Sur le fond, l’Etat Belge estime que le droit international public a été violé car pour elle, en vertu du droit coutumier et de l’article 22-3 de la Convention de Vienne, le compte de l’ambassade ne pouvait être saisi « en raison de l’immunité d’exécution» dont jouissent les biens des missions diplomatiques.
« Jamais ce qui s’est passé n’aurait dû se produire »
Maître Bernard Maingain, l’avocat du Rwanda a pour sa part eu des mots très durs envers la situation « Jamais ce qui s’est passé n’aurait dû se produire » a-t-il assené qualifiant la situation de « voie de fait gravissime commise de manière choquante » et estimant que la situation aurait dû être résolue en maximum 3 jours. Il a également regretté qu’il n’y’ait qu’un seul magistrat pouvant arrêter ce qui se produit alors qu’on fait face à une « crise majeure du Droit international public».
Avec un ton calme et posé, il s’est dit frappé par les termes utilisés dans l’acte d’Huissier ordonnant la saisie qui qualifie l’Etat rwandais de débiteur instable, « incapable de respecter la transaction convenue » sans pourtant jamais contester la dette .
Il a parlé de situation « inédite » car on « humilie » un Etat en se basant sur « une sentence arbitrale partielle » dans laquelle le Rwanda n’avait accepté l’offre de transaction et reconnu sa dette que sous réserve que les montants réclamés [223 000 euros] soient appuyés par des pièces justificatives, ce qui selon lui n’a jamais été fait justifiant le prononcé d’une nouvelle sentence arbitrale, ignorée par l’Huissier, qui était cette-fois ci complète et «définitive et qui a débouté la société Agro-Consult de sa demande.
Il a souligné qu’en droit rwandais, le demandeur était loisible de faire un recours de la décision auprès de la haute Cour [ce qui l’a fait puis s’est désisté, selon l’avocat] puis de la Cour suprême.
Pour l’avocat, il est urgent de mettre fin à la situation car « les comptes bloqués sont ceux qui servent la viabilité quotidienne de l’Ambassade ». Il a par conséquent demandé à titre principal, la mainlevée, c’est-à-dire la fin de la procédure de la saisie et à titre subsidiaire, il a plaidé pour que l’ambassade puisse disposer librement de son compte.
“Qu’on punisse la légèreté procédurale et l’instrumentalisation de la justice”
Michel Forges, l’avocat d’Agro-Consult s’en est quant à lui sévèrement pris à l’argumentaire de l’Etat rwandais estimant que son objectif était de « faire monter la pression, faire croire à un grave incident, et obtenir une justice pour l’exemple pour éviter que d’autres créanciers ne fassent la même chose » alors que l’affaire est d’une banalité sans nom car ce genre de procédures se déroulent quotidiennement en droit des saisies lorsqu’il y’a une apparence de créance.
Mêlant constamment humour et petites phrases assassines lors de sa plaidoirie, Michel Forges a exprimé avoir trouvé l’attitude du Rwanda « bizarre » car d’un côté, le Rwanda plaide l’urgence, alors que d’un autre, plusieurs actes de procédure posés retardent le prononcé du jugement (1). Pour lui « l’urgence est fabriquée » car le Rwanda ne peut pas objectivement prétendre que 185 000 euros [le montant saisi] l’empêche de fonctionner étant donné que le compte continue à fonctionner pour les sommes au-delà et que rien n’empêche au Rwanda de verser des sous sur ce compte.
Il considère que l’urgence relative devant le juge des saisies[le juge logiquement compétent en matières de saisies] aurait amplement suffi dans la présente affaire et ne nécessitait pas de saisir également le juge des référés[le Président du tribunal de première instance qui est compétent dans les situations urgentes].
Dénonçant « une argumentation de complaisance » qui ne tient pas compte du fond dans le chef de la Belgique, Michel Forges, s’est dit étonné par l’attitude de l’Etat belge qui s’il voulait réellement calmer l’affaire et trouver une solution rapide avait plusieurs options non levées comme par exemple cantonner l’équivalent du montant saisi sur un compte ou envoyer une lettre en se portant garant pour l’Etat rwandais en cas de condamnation ultérieure au fond. Dans une telle hypothèse, la saisie aurait immédiatement été levée et les incidents diplomatiques qu’elle craint ne se seraient pas posés.
Commentant les actes et arguments de procédure posés et soulevés par les parties, Maître Forges a plaidé auprès de la juge pour que soit puni « la légèreté procédurale et l’instrumentalisation de la justice » par les Etats rwandais et belge qui soulèvent des règles d’ordre public de manière très « légère » ou cite la banque[la Fortis, voir Infra] en intervention alors que la loi est claire sur le fait que la banque n’a rien à faire dans la procédure.
Il a enfin estimé que la cause qu’il défendait « était juste car la créance est juste ».
Il a expliqué que la créance résultait d’un projet agricole « merveilleux et colossal », mené dans l’intérêt du Rwanda et qui avait commencé en concernant 2500 agriculteurs pour se terminer en touchant 134 000 agriculteurs. Prenant de l’ampleur et aidant de plus en plus de citoyens, le projet fut arrêté « par un fait du Prince » car « on estimait que le projet faisait de l’ombre au pouvoir politique ».
Gatera, le président d’Agro-Consult qui s’était personnellement et fortement engagé dans le projet a réclamé des dommages et intérêts suite à l’arrêt du projet et après les tentatives de médiations arbitrales qualifiées par son avocat de « simulacre de décisions », il a finalement été contraint de fuir et de se réfugier en Belgique. L’intervention de l’Huissier de justice était, toujours selon l’avocat, cruciale « car il s’agissait du seul moyen de pouvoir susciter le débat ».
C’est la banque Fortis, citée en justice par le Rwanda qui a plaidé en dernier. Par la voix de son avocat, la banque semblait tomber des nues d’avoir été cité en justice et a plaidé, conformément à la loi de pouvoir être immédiatement mise hors de cause en tant que tiers saisi, car qu’elle que soit la décision prise, mainlevée de la saisie ou maintien, elle se conformera à la décision de justice.
Les débats de la journée étaient forts longs près de 2h30 de plaidoiries, mais d’une rare intensité.Les parties ont elles réussi à convaincre la juge ?
Sa décision est attendue pour mercredi au plus tard.
Par Ruhumuza Mbonyumutwa
- Le principal étant l’introduction de la même demande devant deux juges différents, une devant le juge des saisies, l’autre devant le juge des référés
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