« Le Congo aux congolais ! » – clament-ils alors. Les manifestants étaient venus, ce samedi 17 décembre, en grand nombre (évalué à plus d’un millier, chiffre dépassant celui des manifestations précédentes). Des quatre coins de la Belgique et de l’Europe, c’est dans le calme qu’ils sont venus manifester sur la petite ceinture, entre Porte de Namur et Arts-loi.
La Marche, commencée vers 14h30, à Matonge, allait bien au-delà d’une simple contestation du président dont la réelection a été confirmée, le 16 décembre par la Cour Suprême kinoise : Joseph Kabila. Outre le fait qu’il y a eu fraude massive et que ce dernier soit taxé de « rwandais », Kabila a toujours refusé la double nationalité à sa diaspora, empêchant celle-ci de pouvoir voter de l’extérieur. Que la majorité se serait probablement prononcée pour l’opposant Etienne Tshisekedi, qui, lui, promettait le droit de vote des expatriés. L’enjeu était là, aussi.
L’autre surprise (bien que visible depuis la semaine passée) ce sont ces protestataires, de plus en plus nombreux d’ailleurs, brandissant les drapeaux jaunes du Vlaamse Leeuw (« le Lion des Flandres »), aujourd’hui associé au confédéralisme soutenu par le parti de droite et majoritaire : la NV-A de Bart de Wever. « Quoi ? » – Me dites-vous. « C’est insensé ! » Non. Il a même fallu un sacré temps avant de faire la connexion et croire, enfin, ce que les yeux me laissaient voir : des congolais pro-NV-A. Il doit y avoir erreur. Demandent-ils l’indépendance de la RDC…ou de la Belgique ? Deux protagonistes témoignent à la chaîne flamande, VRT : « tout congolais doit voter pour la NV-A ! » Son camarade l’appuie : « la NV-A ! Parce que la NV-A c’est le changement ». Dès lors on comprend ce ressentiment, surprenant et sans équivoque. Nous y reviendrons.
De la manifestation, tout se passait bien. Mais c’est à 15h50 précise, à l’intersection avec la rue Belliard, devant la banque BNP Parisbas, que le premier accrochage a eu lieu. A savoir que la police a décidé de faire un mur à cet endroit stratégique, pour empêcher que les manifestants venus de la Porte de Namur n’aillent plus loin, c’est-à-dire vers le rond-point Schuman. Mais derrière le mur de policiers casqués et armés de matraques, c’était d’autres manifestants, venus d’Arts-Loi cette fois, qui venaient joindre l’autre foule stoppée dans son élan et encerclée par les forces de l’ordre. Des chevaux, une auto-pompe et un hélicoptère sont venus envelopper davantage ce qui semblait sur le point de dégénérer en un affrontement direct, à nouveau. La tension était palpable. Les plus sages ont compris qu’il fallait quitter les lieux au plus vite. D’autres, majoritaires et souvent plus jeunes, comptaient rester, de pied ferme, quitte à affronter les policiers.
C’est alors qu’un groupe se voit refuser le passage, à travers le mur des corps policiers, que la bagarre est déclenchée et le signal donné. Les jeunes viennent à l’assaut. On lance des bouts de bois, des Vuvuzelas en direction du mur. La police ne cède pas. Les manifestants, dans le noyau, se contractent. Ceux se tenant à la périphérie, beaucoup préfèrent fuir – comme retournant au front : le quartier Matonge. Il fait déjà nuit, on aperçoit le phare de l’hélicoptère en train de cibler les casseurs, à mesure qu’ils sont repoussés par-delà la rue Belliard et l’Avenue des Arts. Des coups détonent. Ce n’est pas des balles, mais des pierres lancées aux vitres des voitures parquées, ainsi qu’aux entrées (blindées) des buildings de l’avenue. Des premiers, beaucoup voleront en éclat. Les dégâts sont importants.
Les manifestants, ceux venus protester pacifiquement, prennent peur de ces jeunes cachés parmi eux qui commettent des actes de vandalisme et dont beaucoup sont déjà connus des services de police et membres de bandes urbaines. En effet, les débris de vitre et de pierres : c’est sur les Marcheurs qu’ils atterrissent. A hauteur de la rue Montoyer, certains manifestants n’hésitent pas à arrêter des automobilistes. Ces derniers prennent peur, en particulier de ceux qui se promènent pierres dans la main. Dès lors, personne n’ose klaxonner. RTL info précise mes dires, notamment que : « La police a procédé à 83 arrestations. 14 personnes ont été arrêtées pour vandalisme et 69 pour troubles à l’ordre public. Des dizaines de vitres ont été brisées rue Belliard et des voitures ont été endommagées»
Parmi la foule : d’autres se voient jouer les policiers. J’assiste alors à une véritable transfiguration. En effet, des “vrais”, une grande partie a été appelée en renfort soit en aval : là où la bagarre a commencée ; soit en amont : Porte de Namur. Du coup, entre ces deux points : c’est le chaos.
16h30 : Matonge est prise d’assaut. L’hélicoptère continue à tournoyer. On brûle des poubelles, des poutres sont jetées sur les vitres des magasins. Les policiers usent de matraques et sprays au poivre. Les fauteurs de troubles font fuir les passants et agressent des journalistes dits « francophones ». Et c’est là que j’imagine, moi : reporter francophone d’origine rwandaise, au milieu de ce déchaînement…Je traverse aussitôt le Boulevard de Waterloo, pour me faufiler dans la bouche du métro – celle qui fait face à Matonge. Là-dedans, je vois que la police est présente. Elle veille. Plutôt, elle (me) rassure. Mais malgré leur présence, même dans le tunnel – qui mène vers la Gare du Midi : les passagers blancs sont tout aussi inquiets dans le métro. Un vuvuzela retentit. Et c’est la panique à bord! Une dame âgée assise en face témoigne : « j’ai eu la peur de ma vie ! Mais pourquoi ne vont-ils pas faire ça chez eux ? – nous autres avons rien à voir. Qu’ils s’en prennent à Mobutu, pas à nous ! ». Deux Magrébins dans la trentaine, à ma droite, soupirent tout en me regardant droit dans les yeux, avant de répondre à la dame : « la Belgique est trop riche madame, vous avez trop pillé le Congo…et Mobutu, il y a longtemps qu’il est mort…». La dame se tait. Elle sort au prochain arrêt. Quant à moi je descends à Midi.
Plus tard la télévision flamande, VRT, dira qu’aux environs de 20h00 : la situation semblait sous contrôle, que la pluie a métaphoriquement « refroidi » les échauffourées.
Au lendemain, la RTBF écrit qu’ : « Au total, la police a procédé à 144 interpellations, dont 21 arrestations judiciaires. Parmi ces dernières, trois personnes ont été arrêtées parce qu’elles ont jeté sur les chevaux de la police des poubelles et des tessons de bouteille (…) le bourgmestre d’Ixelles Willy Decourty (PS) a déclaré à la RTBF qu’aucune manifestation de la sorte ne serait plus autorisée ni tolérée ». Le journal de 19h30, toujours la même chaîne, ajoutera que nombreux magasins ont été pillés et une voiture retournée.
Rappelons que le Ministre belge des Affaires Etrangères, Didier Reynders (MR), est revenu vendredi sur sa décision quant à sa visite officielle en RDC en vue de saluer le vainqueur des élections présidentielles, Joseph Kabila. Elle sera repoussée. Quant à l’élection, le Ministre dira que « malgré les irrégularités, ça ne semble pas remettre en cause l’ordre d’arrivée des candidats ». Par ces propos, c’est une majorité de la diaspora qui se sent exclue du débat – parce que non reconnue, nulle part. Dès ce moment là, il n’est pas étonnant de voir des congolais anti-Kabila brandir des drapeaux du Vlaamse Leeuw. Notamment qu’il y a trahison des élites francophones. Une jeune manifestante présente samedi, Tracy Bibo-Tansia, témoignera à la chaîne flamande VRT, en néerlandais, qu’elle était venue, elle, ensemble avec des frères et sœurs, demander la libération du Congo : « que nous puissions choisir nous même qui doivent être nos leaders ».
La statue du roi Léopold II de la place du Trône en aura été témoin, samedi après-midi. L’ironie de l’Histoire ! N’est-ce pas ce même roi qui, autrefois, coupait les mains des congolais pour non-obéissance au régime colonial et brutal, que les indigènes surnommaient Mbula Matari (« le casseur de pierres ») ? Samedi, n’était-ce pas les mains des descendants de celles sacrifiées qui se révoltaient– en brandissant des panneaux et en se transformant en « casseurs de pierres » – sur la terre de l’ex-colonisateur ? Notamment qu’ils protestent une décolonisation jamais achevée, une promesse jamais tenue.
Pourtant ici, il ne s’agit point d’une fracture coloniale, c’est-à-dire liée à un phénomène historique et “extérieure”, mais sociale,
quand on voit justement le nombre élevé de jeunes présents – nés dans les années 80-90, souvent en Belgique – et qui menaient la danse. La ministre de l’intérieur, Joëlle Milquet (CDH), dira dans le jt de 19h30, dimanche, qu’elle condamne ces dérapages, les jugeant “inacceptables”. Mais d’un autre côté, elle peine à voir la réalité cachée derrière ces faits quand elle dit: “on ne peut pas venir importer de manière violente des conflits qui se passent ailleurs”. Certes. Pourtant ces jeunes se soucient moins du sort du Congo que celui de la Belgique. D’ailleurs, du premier, une majorité n’y a même jamais mis les pieds. C’est leur avenir, en Belgique, qu’ils questionnent. Dès lors, ces dérapages doivent être vus dans le contexte local: la précarité dans le domaine de l’emploi, du logement. Bref: des perspectives d’avenir remises en doute, notamment par la crise économique que traverse actuellement le continent européen: ces jeunes savent déjà qu’ils sont (ou seront) les premiers exclus – quand bien même ils voteraient NV-A.
Et pour terminer, l’agence Belga vient de nous apprendre qu’Etienne Tshisekedi, ne s’avoue pas vaincu. Qu’il se proclame toujours « président élu », à savoir, dans ses dires, que « Je vais prêter serment vendredi prochain », à Kinshasa, au stade des martyres.
Décidément, de la socio-politique, en Belgique, comme dans son ex-colonie : rien n’est simple.
Jean Bigambo
JamboNews.net