Ce dimanche 1er avril 2012 marque une nouvelle ère pour la Birmanie. C’est la victoire d’un peuple qui souffre de la dictature militaire depuis des décennies. C’est aussi la victoire d’une combattante de la liberté, Aung San Suu kyi, prix Nobel de la paix. Et le peuple a vibré de ce bonheur immense insufflé par ce nouveau vent de liberté.
La grande réalité c’est que tout n’est pas encore joué et qu’il faudra encore beaucoup de temps avant qu’une démocratie intégrale soit réelle dans ce pays longtemps dirigé d’une main de fer par une junte militaire qui garde encore les rênes du pouvoir. D’après le Monde du 02.04.2012, « Le scrutin avait pour objet de renouveler seulement 48 sièges sur 664, dont 40 dans la chambre basse, 6 dans la chambre haute et 2 dans les assemblées régionales ». C’est moins de 10% de l’ensemble du parlement birman. En d’autres termes, ce scrutin ne va pas changer fondamentalement la configuration de cette institution dominée à 76 % par le parti des militaires, le Parti pour la Solidarité et le développement de l’Union, USDP. C’est un test grandeur nature auquel personne n’aurait osé croire il y a moins d’un an. Il met fin, du moins théoriquement à 50 ans de dictature militaire ininterrompue.
Un tel changement est-il possible au Rwanda ?
Depuis l’élection d’Aung San Suu Kyi au parlement birman, les discussions vont bon train au sein de la communauté rwandaise, au sujet de la capacité de la dictature militaire au pouvoir à Kigali à suivre l’exemple de la junte birmane.
Entre la dictature des généraux du Myanmar et celle du FPR de Kagame, il y’a un fossé énorme en terme de brutalité des méthodes employées pour assoir la dictature. Avant même de prendre le pouvoir à Kigali, en Ouganda où il a été directeur adjoint des services des renseignements militaires, Paul Kagame est surnommé « Pilato ».Ce surnom prend tout son sens quand on connait l’image qu’il véhicule dans l’imaginaire de beaucoup d’Africains chrétiens. Pour eux, il n’y a pas pire homme que celui qui a fait condamner Jésus Christ. Et cette image, Kagame ne s’en est toujours pas défait malgré d’intenses campagnes de communications visant à glorifier son image.
Le 06 avril 1994, il fait abattre l’avion qui transportait le président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue Burundais Cyprien Ntaryamira et leurs suites respectives en provenance de Dar Es Salam où ils s’étaient rendus pour des pour parler en vue de la mise en application des accords de paix d’Arusha du 23 août 1993. Cet attentat est reconnu comme le déclencheur du génocide qui a coûté la vie à des centaines de milliers de Tutsi et de Hutu dits « modérés ».
Le 21 avril 1995, les troupes du FPR massacrent plus de 8000 réfugiés au vu et au su de la communauté internationale. Gaspard Musabyimana s’inspirant du livre « Combat Medic » de Terry Pickard, militaire australien présent à Kibeho au moment des faits, en a fait un compte rendu. Terry Pickard faisait partie de la MINUAR, Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda de 1993 à 1996.
« Le scénario macabre fut le suivant : depuis le 17 avril, le camp de Kibeho fut encerclé par plus 2500 soldats de l’APR (Armée du FPR) pour empêcher tout approvisionnement des réfugiés. Ainsi jusqu’au bombardement du camp, les réfugiés furent privés d’eau, de nourriture ; l’accès aux latrines leur fut interdit. Quiconque voulait échapper à cette torture collective était abattu. Le 22 avril 1995, en début d’après-midi, le Colonel Fred Ibingira, qui dirigeait l’opération, donna l’ordre aux militaires du FPR de tirer dans la foule : des armes lourdes, des lance-roquettes, des grenades et des kalachnikovs furent utilisés. Très vite, des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants jonchèrent le sol et des camions préalablement prévus étaient là pour ramasser les cadavres et les emmener dans des fours crématoires de la forêt naturelle de Nyungwe, à quelques kilomètres de là. Ce transport macabre a duré toute la nuit. Les victimes dénombrées furent de 8000 cadavres éparpillés sur le site. »
En 1996, Kagame fait massacrer des centaines de milliers de réfugiés Hutu et des millions de Congolais. Les Nations Unies ont fait un rapport accablant à ce sujet rendu public le 1er octobre 2010 : « le DRC Mapping Report » resté sans effet à ce jour alors que les faits commis sont qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, et pourraient même, selon l’ONU, être qualifiés de génocide si prouvés devant un tribunal compétent.
Ce tableau est loin de refléter l’ensemble des crimes qui lui sont reprochés. Il ne mentionne pas les compagnons d’armes massacrés en cours de route. Il ne mentionne pas les assassinats politiques dont le général Kagame s’est rendu responsable, les religieux aussi bien rwandais que canadiens ou espagnols, les journalistes et les activistes des droits de l’homme.
En raison de tous ces éléments, beaucoup de jeunes rwandais sont sceptiques quant à la capacité du régime en place à Kigali de mener une transition vers la démocratie, d’ouvrir l’espace politique aux partis politiques d’opposition, de permettre aux journalistes indépendants d’exercer leur métier sans entraves, d’autoriser les critiques envers le régime et de libérer les prisonniers politiques.
Un défi de taille pour Kagame
Les dictateurs birmans ont compris que le vent du changement avait soufflé et que l’heure de la transition démocratique, du moins en apparence avait sonné. Paul Kagame qui se pose aujourd’hui en champion de la « good governance » se trouve en face du défi de faire évoluer la société rwandaise vers une société réconciliée avec elle-même, la question est, le veut-il ?
William Iraguha
Jambonews.net