Ikal Angelei âgée seulement de 31 ans originaire de Kitale, une région du bassin du lac Turkana, peut être fière. La créatrice de la fondation Les amis du lac Turkana a remporté le 16 avril 2012 le très prestigieux prix Goldman pour l’environnement lors de la 23è cérémonie du prix Goldman qui s’est tenue à San Francisco et qui a réuni 3000 personnes. Ce prix a été crée en 1989 par les philanthropes Richard et Rhoda Goldman afin d’encourager et soutenir les initiatives en faveur de la protection de l’environnement. Rappelons qu’en 1991, sa compatriote professeur Wangari Maathai avait reçu le même prix.
Tout commence en 2006 alors qu’Ikal Angelei travaille à l’institut du bassin Turkana, un centre de recherche anthropologique. Alors inconnue du grand public, elle apprend la mise en place du projet de construction du barrage Gibe III sur le lac Turkana au Kenya et le long de la rivière OMO en Ethiopie. Elle décide de se battre pour préserver le lac Turkana qui est l’un des principaux joyaux archéologiques et environnementaux d’Afrique de l’EST. On y a par exemple retrouvé des fossiles humains. C’est un réservoir écologique époustouflant où on retrouve une population importante de crocodile, de poissons, d’hippopotames et de serpents. Des communautés indigènes de pêcheurs et d’éleveurs y habitent depuis des millénaires.
Ce bout de femme a osé défier des grandes firmes chinoises telles que Sinohydro qui ont investi des millions de dollars dans ce projet. Cette jeune kenyane a commencé sa bataille en sensibilisant les habitants du lac sur les dangers de ce projet sur leur vie quotidienne, leur patrimoine naturel et culturel. L’implication des firmes chinoises dans les projets de construction de barrage dans la région des grands lacs semble n’en plus finir. Parmi eux, figure le mastodonte chinois Sinohydro spécialisée dans l’énergie hydraulique, 3è firme chinoise à se jeter sur le projet GIBE III après Dongfang qui a remporté l’appel d’offres pour l’installation des turbines et les travaux électromécaniques et l’industrial and commercial bank of China qui finance les investissements de Dongfang à hauteur de 500 millions de dollars US.
Le fond du problème avec ces firmes c’est qu’ils exproprient de leur terres, privent de leur patrimoine culturel et environnemental des peuples anciens comme les nubiens ou les samburu qui y sont installés depuis des millénaires. En outre, ces firmes menacent non seulement les peuples anciens mais portent directement atteinte à l’économie locale des pêcheurs et des éleveurs de la région. Sinohydro a par exemple emporté un contrat de 705 millions de dollars pour construire le barrage de Kajbar sur les terres ancestrales des Nouba et menace d’engloutir ce qui reste de ce territoire très précieux au plan historique et de chasser un peuple menacé depuis des années par la construction de barrages du même type.
En Egypte, le barrage d’Assouan a provoqué l’exil de 150 000 nubiens qui ont été dépouillés de leur terre et donc de leur culture. [i]
Le barrage de Kajbar à lui seul noiera et détruira 500 sites archéologiques, témoins millénaires des aspects de la culture nubienne. L’implication de Sinohydro et des autres firmes chinoises tend à attiser les conflits pour la préservation des ressources. Au Kenya par exemple, la surface du lac Turkana se réduit à cause du changement climatique et d’autres aménagements hydrauliques en amont dans le bassin de l’OMO. La construction de ce barrage engendrera des violences qui aggraveront une situation déjà catastrophique.
Il entraînera chaos et effusion de sang en dressant les uns contre les autres, les Nyangatom, Mursi, Hamar-Koke en Ethiopie et les Rendille, Samburu, Turkana, Dassanetch et Gabra au Kenya.
Mais partout où les firmes chinoises entament des projets de construction de barrage, on assiste à des mouvements de résistance féroce des populations locales prêtes à sortir les fusils et recourir à la lutte armée pour protéger leur terre. Que les firmes chinoises convoitent avec avidité le territoire de nos peuples, cela ne m’étonne guère mais il est scandaleux de constater que ce sont nos propres leaders politiques qui bradent notre terre et qui ouvrent le feu afin de mater toute forme de résistance. Malgré la violence gouvernementale, rien ne parvient à briser la détermination de ces populations. « Nous veillerons à ce qu’aucune force au monde ne parvienne jamais à effacer notre identité et à détruire notre patrimoine et notre nation » a déclaré un membre de la communauté de Kajbar. Ikal Angelei est le symbole de cette lutte qui oppose les populations locales aux firmes chinoises qui veulent conquérir les terres ancestrales de populations locales au mépris de celles-ci et des préoccupations environnementales. Elle est parti porter la voix des sans voix auprès de la banque mondiale, la banque africaine de développement, la banque européenne d’investissement et l’UNESCO acteurs du projet. Ikal Angelei a bien été entendu et tous ces organismes internationaux se sont retirés du projet mis à part la banque mondiale qui donnera sa décision en mai prochain. Aujourd’hui seule ICBC, une banque chinoise finance le projet à hauteur de 500 millions de dollars.
Ikal Angelei, à travers ce combat est une belle leçon de courage et de détermination. Son combat met en lumière le combat de milliers de citoyens de Nairobi à Douala qui se battent au quotidien pour la protection du patrimoine naturel ( forêt du bassin du Congo) et des peuples locaux( pygmées, Samburu, Turkana) qui sont les premières victimes de la convoitise des firmes étrangères. Ce combat ne doit pas être uniquement l’apanage de la société civile. Les leaders politiques doivent assumer leurs responsabilités.
Mais est ce que les leaders politiques africains sauront protéger tant qu’il est temps le patrimoine écologique et culturel de leurs peuples ou céderont-ils à la logique mercantile en continuant à brader la terre du peuple ?
Marie Umukunzi
Jambonews.net