Après la condamnation à huit ans de prison ferme de l’opposante rwandaise Victoire Ingabire ce lundi 30 octobre, son parti FDU-Inkingi a, quelques heures après ce verdict, tenu une conférence de presse à Bruxelles pour déplorer les anomalies qui ont caractérisé ce procès éminemment politique qui a duré plus de deux ans. Cette condamnation qui survient à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités a soulevé de vives protestations des autres partis politiques de l’opposition rwandaise et des organisations de la défense de droit de l’homme – notamment Amnesty International et Human Rights Watch.
Quelques heures après la condamnation de Victoire Ingabire, présidente du parti politique FDU Inkingi (Forces Démocratiques Unifiées), le comité exécutif de son parti a tenu une conférence de presse à la Maison de presse internationale de Bruxelles, avec pour objectif «d’ expliquer toutes les anomalies qui ont conduit à cette condamnation » qu’il estime « injuste, (…) et qui montre qu’ il n y a pas de vraie justice au Rwanda, que c’est plutôt un problème politique que le régime de Kigali essaye de résoudre en utilisant la justice » a déclaré à Jambonews Docteur Mwiseneza Emmanuel, Chargé d’information et communication dans le comité de coordination des FDU.
Pendant cette conférence animée par Dr Emmanuel Mwiseneza, Madeline Bicamumpaka, Michel Niyibizi et Joseph Bukeye, le procès de Victoire Ingabire à travers les chefs d’accusation et les innombrables anomalies et irrégularités qui l’ont caractérisé, a longuement été commenté.
Les chefs d’accusations hasardeux et infondés
Victoire Ingabire qui a été arrêtée à Kigali en octobre 2010, était inculpée de six chefs d’accusation, dont trois liés à des actes terroristes, notamment la création d’un groupe armé, complicité d’actes terroristes et complicité d’atteinte à la sûreté de l’État par le recours au terrorisme et à la violence armée. Les trois autres chefs d’accusation sont l’idéologie génocidaire, le divisionnisme et la propagation de rumeurs visant à inciter le public à se soulever contre l’État. La Haute cour de Kigali dans son verdict a retenu deux des chefs d’accusations, notamment la « conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre » et la « négation du génocide de 1994 ».
Concernant l’accusation de « terrorisme », son parti s’est étonné que Victoire Ingabire soit accusée d’avoir créée une organisation militaire dénommée FDU /CDF, et dont personne n’a pu prouver l’existence. « Vous savez tous combien les rebellions sont friandes et publicité. Je ne sais pas s’il y a quelqu’un dans la salle qui a dèjà entendu parler de cette fantomatique rébellion » a lancé le Dr Emmanuel Mwiseneza. L’exécutif du parti FDU dénonce le fait que cette accusation se fonde sur le témoignage de trois témoins qui se disaient être des commandants de cette rébellion. Pour les FDU, c’est sous la torture que ces témoins ont fait leurs dires, puisqu’ils étaient gardés dans le grand secret depuis plus de 7 mois dans le camp militaire de Kami. D’ailleurs dans un rapport intitulé : « Rwanda. Dans le grand secret. Détention illégale et torture aux mains des services de renseignement militaires » publié le 8 octobre dernier, Amnesty International a dénoncé des pratiques de tortures qui se déroulent dans ce camp militaire, où des centaines de prisonniers politiques sont gardés dans le plus strict secret.
« Au cours des audiences, la défense n’a pu obtenir ni des informations sur le commandement de cette rébellion, ni sur sa localisation, ni sur son commandement, ni sur ses opérations. Ce qui remet en cause toute la matérialité et vide le contenu de l’accusation » a poursuivi Dr Emmanuel Mwiseneza. A propos de ces trois témoins de l’accusation, les FDU ont déclaré que les contradictions relevées dans leur chef, n’ont laissé aucun doute sur leurs machinations.
Concernant l’accusation de « l’idéologie du génocide« , les FDU ont rappelé que la loi qui fonde cette infraction est décriée autant par l’opposition rwandaise que par les ONG, notamment Amnesty International qui a demandé sa révision.
Quant à l’accusation de » divisionnisme et sectarisme « , le parti FDU est revenu au cours de sa conférence sur les propos de Mme Victoire Ingabire qui ont été qualifié de « divisionnisme et sectarisme » par le régime. En effet, à son arrivée au Rwanda en 2010, Victoire Ingabire s’est recueillie au mémorial de Gisozi (Kigali) où sont inhumés des milliers de victimes tutsies du génocide, elle a fait allusion aux victimes hutues d’avant, pendant et après le génocide qui n’ont pas encore eu droit à la justice ni à une inhumation.
Mme Ingabire qui n’a fait que répéter ce que les organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International, Human Rights Watch dénoncent depuis des années, a été directement taxée de « divisionniste et sectariste ». Pourtant de nombreux rapports accusent le régime actuel de Kigali d’avoir perpétré des crimes atroces contre les populations hutues. Le plus éclairant de ces rapports, est celui des Nations Unies connu sous le nom de Mapping Report publié en 2010, qui accuse Paul Kagame d’avoir perpétré en RDC, « des crimes de guerre et crimes contre l’humanité assimilables à un génocide » à l’encontre des réfugiés hutus au Congo. « Le régime entretient sciemment un amalgame entre dénoncer les crimes de son armée et la fameuse théorie du double génocide, ce qui n’a jamais été le cas dans le chef, ni du parti FDU, ni de Mme Ingabire » a tenu à souligner Dr Mwiseneza.
Les anomalies répétées tout au long du procès
Au cours de la conférence, le parti FDU est également longuement revenu sur les nombreuses anomalies qui ont caractérisé le procès de la Présidente du parti. Les principales anomalies sont : « la collision entre les juges et le procureur, la fabrication des pièces à conviction, le rejet systématique de questions procédurales, le refus de contre interroger les témoins, ainsi que l’intimidation et l’emprisonnement des avocats et du seul témoin de la défense ». Ce sont ces anomalies qui ont même poussé Victoire Ingabire en avril dernier à boycotter les audiences. « (…)Il n y a pas de vraie justice au Rwanda, c’est plutôt un problème politique que le régime de Kigali essaye de résoudre en utilisant la justice, mais une justice en fait qui n’en est pas une, parce qu’ elle s’est montrée dépendante de l’exécutif surtout du président Paul Kagame, aujourd’hui c’est donc pour expliquer toutes ces anomalies et pour dire à nos sympathisants, à nos membres, et toute la population rwandaise que nous restons solidaires avec notre présidente Victoire Ingabire » a déclaré à JamboNews Dr Emmanuel Mwiseneza.
Les FDU n’abandonnent pas le combat
Le parti FDU a annoncé ne pas être découragé par la condamnation de sa Présidente, et qu’au contraire, il va renforcer sa détermination à instaurer un Etat de droit au Rwanda : « la condamnation de madame Victoire Ingabire ne fait que donner raison à son combat parce qu’elle avait toujours déploré l’état du système judicaire au Rwanda qui était inféodé à l’exécutif et particulièrement au président Paul Kagame. Donc sa condamnation ne fait que nous donner encore plus de détermination à poursuivre le combat pour qu’on arrive finalement à un véritable Etat de droit. Qu’elle soit condamnée ou pas ça ne change rien à notre détermination» nous a confié Joseph Bukeye responsable de FDU en Belgique chargé de la mobilisation au sein du comité de coordination. « La lutte politique que nous avons commencée, qu’elle a initié en se rendant au Rwanda il y a déjà deux ans, cette lutte politique va continuer elle ne va pas faiblir » a déclaré Dr Emmanuel Mwiseneza.
Quant à la question de la sentence de huit ans de prison ferme qui semble moindre par rapport aux accusations aussi lourdes (notamment le divisionnisme), le parti FDU par son responsable de communication, Dr Emmanuel Mwiseneza, a déclaré que huit ans de prison ne sont pas rien pour une personne innocente, « nous ne pensons pas que ça soit léger (8ans de prison ferme NDLR) parce que c’est une condamnation injuste, pour nous notre présidente est une innocente, elle devrait sortir libre de ce tribunal, qu’ elle soit condamnée à un mois à deux mois, à huit ans ou à quinze ans, ça nous est égal, parce que c’est une condamnation injuste » a-t-il affirmé.
Condamnations tous azimuts par les partis d’opposition rwandaise
Rwanda National Congres (RNC), un des principaux partis d’opposition rwandaise en exil, ,fondé par des anciens hauts cadres du FPR actuellement au pouvoir au Rwanda, a été le premier à condamner le verdict dans le procès de Victoire Ingabire, et s’est dit ne pas être surpris par l’issue de ce procès. « (…) Le régime est un régime autoritaire, c’est un régime qui ne fait aucun cas du droit, nous n’avons pas été surpris (par la condamnation NDRL), mais en même temps, ceux qui pensent qu’il fallait attendre quelque chose du régime, se trompent, il est temps d’agir », a déclaré à Jambonews Ngarambe Joseph, Secrétaire général du RNC, qui avec certains membres de son parti, était venu assister à la conférence.
Tout comme les FDU, le RNC annonce que la condamnation de Victoire Ingabire doit pousser à plus de détermination pour faire plier le régime de Kigali. « Plus que jamais, nous allons redoubler d’efforts pour libérer non seulement Ingabire, mais tout le peuple rwandais. Nous mènerons la pression comme nous le faisons depuis un certain temps, nous expliquerons au monde, nous expliquerons aux Rwandais, qu’il est temps de se libérer, et nous allons y arriver » a poursuivi Ngarambe Joseph.
Le Parti Social IMBERAKURI, le seul parti d’opposition enregistré au Rwanda, et dont le président Bernard NTAGANDA croupit dans la prison rwandaise de Mpanga s’est dit, dans un communiqué signé par son premier Vice-président Alexis Bakunzibake, « apprendre avec une très grande consternation la condamnation à huit ans de prison ferme de Madame Victoire Ingabire. Ce procès vient de démontrer encore une fois, le refus du gouvernement de Kigali de tolérer les critiques et à accepter l’existence des partis d’opposition ainsi que les libertés d’expression dans une société démocratique ».
Le RDI (The Rwandan Dream Initiative), parti d’opposition en exil fondé par l’ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu, a également dénoncé ce procès et la condamnation de Victoire Ingabire. « La condamnation de Mme Victoire Ingabire à huit ans de prison par le régime du FPR est une autre preuve irréfutable que le président Paul Kagame continue de s’endurcir dans son refus de la démocratie au Rwanda. Cette condamnation doit néanmoins stimuler les démocrates rwandais, leurs amis étrangers ainsi que toute la communauté internationale à exercer plus de pression sur le régime enclin à la confrontation violente ». a annoncé sur sa page facebook Faustin Twagiramungu, le président du RDI.
Les organisations de défense de droit de l’homme dénoncent un procès impartial
Human Rights Watch a vivement condamné l’issue du procès de Victoire Ingabire, « Les poursuites engagées contre Victoire Ingabire pour « idéologie du génocide » et divisionnisme illustrent le refus du gouvernement rwandais de tolérer les critiques et d’accepter le rôle des partis d’opposition dans une société démocratique », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la Division Afrique de Human Rights Watch.. « Les tribunaux ne devraient pas être utilisés à de telles fins politiques ». a-t-il poursuivi.
HRW annonce que plusieurs facteurs amènent à conclure que Victoire Ingabire n’a pas bénéficié d’un procès équitable. « Il s’agit notamment du caractère politique de certains chefs d’accusation comme l’« idéologie du génocide », des doutes quant à la fiabilité de certains éléments de preuve, de déclarations publiques de hauts représentants du gouvernement avant le procès à propos de la culpabilité de Victoire Ingabire, ainsi que de préoccupations plus larges relatives au manque d’indépendance de l’appareil judiciaire rwandais dans des affaires politisées. » a fait remarquer Daniel Bekele.
Amnesty International, organisation qui n’a cessé de dénoncer les dérives autoritaires du régime de Kigali, et l’absence totale de l’état de droit au Rwanda, a également réagi à la condamnation de Victoire Ingabire à huit ans de prison ferme.
Dans un communiqué intitulé « Rwanda: Ensure appeal after unfair Ingabire trial », publié sur son site internet ce 30 octobre, l’organisation de défense des droits de l’homme a, pour sa part, dénoncé l’impartialité de ce procès. « Le procès a été entaché par l’incapacité du tribunal de veiller à s’assurer de l’authenticité des preuves, et ceci combiné avec le mépris de l’accusation de suivre une procédure légale dans nombreux cas », a déclaré Sarah Jackson directeur adjoint d’Amnesty International Afrique.
Cette dernière s’indigne également que la Cour ait rejeté le témoignage du seul témoin de la défense « Si le ministère public avait des doutes quant à la crédibilité d’un témoin (de la défense NDRL), ils auraient pu demander de lui poser des questions », a déclaré Jackson, avant de dénoncer les intimidations et violences qui ont caractérisé ce procès. «La saisie des notes d’un témoin en dehors de la procédure judiciaire légale a été interprétée comme une mise en garde pour les autres témoins de la défense ». Amnesty International a plaidé à ce que Victoire Ingabire bénéficie d’un appel rapide et équitable.
Jean Mitari
Jambonews.net