Le 12 février 2013, le premier débat télévisé de l’histoire politique kenyane avait mis sur le devant de la scène l’épineuse question du tribalisme dans un pays où l’ethnie pèse plus que le programme politique. Uhuru Kenyatta, vice-Premier ministre, s’est distingué comme l’un des favoris de ce scrutin même si sa candidature ainsi que celle de son colistier William Ruto sont contestées par les organisations de défense des droits de l’Homme en raison de l’inculpation de ces derniers par la Cour pénale internationale ( CPI) pour des exactions commises suite aux élections de 2007 qui avaient par ailleurs provoqué le déplacement de 300 000 personnes.
Uhuru Kenyatta : un candidat controversé
Ce lundi 04 mars 2013, les kenyans sont appelés à se rendre aux urnes pour élire leur prochain Président ainsi que leurs 222 députés. Ces élections revêtent un caractère particulier. En effet, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme ( FIDH) et la Kenya Human Rights Commission ( KHRC) ont saisi la justice kenyane concernant la légalité de la candidature d’Uhuru Kenyatta et se son colistier William Ruto ancien ministre de l’Agriculture, membrede l’ethnie Kalenjin, qui sont accusés par la CPI de crimes contre l’humanité pendant les violences ayant suivi les élections de 2007. Ces deux organisations ont justifié leur démarche en s’appuyant sur le chapitre six de la constitution relatif à l’intégrité des représentants de l’Etat.
Néanmoins, le 15 février 2013, la Haute Cour kenyane a rendu une décision permettant à ces deux candidats de se présenter aux élections et a rejeté la requête des organisations de défense des droits de l’Homme en affirmant que cette question ne relevait pas de sa compétence.
Uhuru Kenyatta, dont le prénom signifie liberté en swahili, est vice-Premier ministre et surtout le fils du père de la nation Jomo Kenyatta qui a combattu la colonisation britannique. Il appartient à l’ethnie Kikuyu qui est à la tête de l’économie, de la politique ainsi que de la sécurité du pays.
Uhuru Kenyatta est un homme d’affaires qui possède quatre radios et deux chaines de télévision ; sa fortune personnelle est estimée par certaines sources à environ 500 millions de dollars et la famille Kenyatta figure parmi les plus grands propriétaires terriens du Kenya. Néanmoins, l’opacité pèse sur l’acquisition de cette fortune. L’impunité dont le clan Kenyatta jouit est mise en évidence par les organisations de la société civile qui l’accusent d’avoir organisé les violences commises par les milices Kikuyus.
Après l’échec aux élections présidentielles et parlementaires de 1997 et 2002, Uhuru Kenyatta s’est implanté progressivement sur la scène politique kenyane en devenant député en 2001, puis vice-Premier ministre en 2008 et en récupérant le portefeuille des finances entre 2008 et 2012. Pour briguer la présidence de la république, il dispose d’une fortune familiale, de soutiens politiques ainsi que de l’image de son père qui renforcent son influence surtout dans la communauté Kikuyu.
Les accusations de crimes contre l’humanité
Le procès d’Uhuru kenyatta et de William Ruto devait démarrer les 10 et 11 avril 2013 mais les procureurs de la CPI l’ont finalement repoussé en août 2013 ce qui permettra à Uhuru Kenyatta d’être présent au second tour qui aura lieu en avril car d’après les sondages, les coalitions menées par Kenyatta et le Premier ministre sortant Raila Odinga seraient présentes au second tour. Les avocats de Kenyatta avaient signalé que les procureurs de la CPI n’avaient pas respecté le délai de communication de certaines informations, ce qui rendait par conséquent impossible l’ouverture du procès le 11 avril 2013
Certains kenyans craignent que l’élection à la présidence et à la vice- présidence det Kenyatta et Ruto permette à ces derniers de jouir d’une immunité qui leur permettrait de ne pas comparaître devant les juges de la CPI et de jouir de l’impunité habituelle dans les cas de violence politique.
Il est toutefois à noter que l’article 27 du statut de Rome de la CPI dispose que « la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale ».
D’autres kenyans quant à eux considèrent que seuls les tribunaux kenyans sont aptes à juger ces deux hommes politiques et jugent l’action de la CPI comme une tentative des pays occidentaux dont notamment l’ancienne puissance coloniale britannique de s’ingérer dans les affaires politiques du pays.
Les accusations d’ingérence politique du ministre des affaires étrangères kenyan Sam Ongeri notamment sont renforcées par les menaces de sanctions prononcées notamment par la Grande-Bretagne et la France au cas où Kenyatta et Ruto arriveraient au pouvoir.
Instrumentalisation de la CPI par les occidentaux ?
Courtenay Griffiths experte internationale en droit pénal et ancienne conseillère juridique de Charles Taylor devant le tribunal pénal international pour la Sierra Léone présente dans un pamphlet la CPI comme un instrument légal que les puissances occidentales, dont la Grande-Bretagne, utilisent pour légitimer leur action dans les pays africains. Elle ajoute également que d’une part la Grande-Bretagne instrumentalise la CPI afin d’évincer Kenyatta et favoriser Odinga qui servirait mieux les intérêts de l’ancienne puissance coloniale, que d’autre part il appartient uniquement aux kenyans de juger Kenyatta et qu’enfin la victoire de Kenyatta symboliserait la libération totale de l’influence britannique 50 ans après l’indépendance du Kenya.
Les menaces des puissances occidentales peuvent renforcer la percée électorale de Kenyatta qui a fait de son procès son thème de campagne en appelant ses partisans à lutter contre « la dictature de l’homme blanc ».
Christian Turner, haut-commissaire britannique à Nairobi a affirmé devant les médias kenyans que la Grande-Bretagne serait neutre mais averti le nouveau gouvernement qu’il « devra coopérer avec la Cour pénale internationale ». Les ambassadeurs européens soulignent que les relations avec les personnes inculpées par la CPI se limitent aux « contacts essentiels ».
L’arrivée probable à la présidence de Kenyatta inquiète les Etats-Unis, La Grande-Bretagne et la France.
Le Kenya bénéficiait jusqu’à présent du soutien des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France qui ont des intérêts économiques et stratégiques dans ce pays qui est considéré comme un allié africain dans la guerre contre le terrorisme dont les islamistes d’Al-Shabaab.
C’est ainsi que la Grande-Bretagne possède des bases militaires au Kenya. De nombreuses entreprises européennes sont présentes sur le sol kenyan dans le secteur des infrastructures, du tourisme, de l »agriculture et des télécommunications.
Par ailleurs, les Etats-Unis ont investi 600 millions de dollars dans le système de santé, la lutte contre le sida et l’armée en 2008 et des multinationales américaines telles que IBM ou General Electric investissent des millions au Kenya.
En 2030, le Kenya comptera environ 63 millions d’habitants une classe moyenne en croissance et des infrastructures modernes qui en feront un marché prometteur.
La probabilité de voir le duo Odinga-Kenyatta au second tour est bien réelle; néanmoins la question de l’impunité des organisateurs des violences post-électorales de 2007 qui avait été éludée dans les débats de campagne du premier tour semble pouvoir ressurgir au second tour. En effet les victimes des violences post-électorales de 2007 n’ont pas encore obtenu justice et de ce fait les organisations de défense des droits de l’Homme et la société civile pointent du doigt l’impunité dont les principaux responsables de ces exactions jouissent.
Marie Umukunzi
Jambonews.net
http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/kenya/9373188/The-International-Criminal-Court-is-hurting-Africa.html
http://www.arte.tv/fr/une-campagne-sans-programme/7361714,CmC=7358184.html
http://www.afrik.com/l-ingerence-de-la-grande-bretagne-dans-l-election-presidentielle-au-kenya
http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-21478869
http://www.fasozine.com/index.php/monde/9906-kenya-la-justice-une-cle-majeure-contre-les-violences-electorales