Le 31 juillet dernier, le sénat rwandais a approuvé le nouveau texte contenant 13 articles censés réformer la loi contre l’idéologie génocidaire de 2008. Ce nouveau texte qui réduit les peines encourues de 25 ans à 9 ans d’emprisonnement prévoit également que « l’intention coupable de commettre un crime de génocide » devra désormais être démontrée et que cette intention doit avoir été mise en évidence en lieux publics. Néanmoins, la définition de « lieux publics » de ce nouveau texte demeure obscure car elle comprend notamment le cercle familial.
Une loi imprécise
L’idéologie du génocide est un concept récent qui était plutôt connu sous l’expression « ingengabitekerezo ya jenoside » signifiant littéralement les idées conduisant au génocide. Par conséquent, ni la constitution, ni la loi de 2003 n’établissent clairement et sans ambiguïté les comportements et les idées pouvant être qualifiés d’idéologie génocidaire.
L’idéologie du génocide n’a été classée comme crime qu’en mai 2008 alors que le terme était employé librement depuis au moins cinq ans dans la législation pour désigner les comportements pouvant mener à l’idéologie du génocide. En 2004, une controverse au cours d’un débat académique au Rwanda, rapportée par Human Rights Watch (HRW) souligne bien la problématique concernant une définition précise des comportements menant à l’idéologie du génocide. En effet, lors de ce débat alors qu’un expert universitaire faisait remarquer l’intérêt de considérer différentes «vérités », un haut fonctionnaire déclara : « il y a une vérité et nous la connaissons ». Cette vérité est centrée autour de trois principes fréquemment cités par les autorités comme suit :
1) L’église catholique a aidé l’administration coloniale à introduire les divisions parmi les Rwandais qui ont mené au génocide et donc elle porte la responsabilité d’un grand nombre des violences faites à l’encontre des tutsis dès ce moment là.
2) Les leaders politiques Hutu ont organisé un génocide de la minorité tutsi et la population a été induite à suivre leur plan diabolique.
3) Bien que certains soldats du FPR aient pu tuer des civils, ces crimes ont été le résultat malheureux d’une situation de guerre ou ont été des actes isolés de représailles et ont été punis.
Son utilisation répressive fait l’objet de virulentes critiques
Depuis 2008, cette loi a fait l’objet de critiques virulentes de la part d’organisations de la société civile, d’organisations de défense des droits humains dont Amnesty International et HRW et de Reporters sans frontières. Ces critiques sont intervenues à la suite de nombreuses affaires judiciaires dans lesquelles la loi contre l’idéologie du génocide a été utilisée pour de nombreuses condamnations dont celles des journalistes Agnès Uwimana Nkusi et Saidath Mukakibibi condamnées respectivement à 17 et 7 ans d’emprisonnement.
L’opposante politique Victoire Ingabire Umuhoza condamnée à huit d’ans d’emprisonnement en octobre 2012 avait également été accusée sur base de cette loi sur l’idéologie génocidaire. Cependant cette charge n’avait pas été retenue contre elle.
D’autres opposants politiques ont également été accusés sur base de cette loi et malgré que cette charge n’ait pas été retenue contre eux, on constate que le terme « idéologie du génocide » est à chaque fois repris dans les actes d’accusation. Il s’agit de Bernard Ntaganda, président du PS-Imberakuri condamné à 4 ans de prison et Deogratias Mushayidi, président du PDP-Imanzi, rescapé tutsi du génocide et ancien secrétaire du FPR en suisse de 1990 à1994 condamné à la prison à perpétuité en septembre 2010.
Le 30 juin 2011, Adeline Niyomugeni, étudiante au sein de l’école supérieure ESSA de Nyarugunga était arrêtée pour « propagation de l’idéologie génocidaire » selon les sources policières sans que ni les autorités scolaires ni les camarades de l’étudiante ne se prononcent clairement sur les mots assimilables à l’idéologie génocidaire qui auraient été prononcés par l’étudiante. Au Rwanda comme à l’extérieur, l’idéologie de génocide est considérée comme une accusation diffamatoire. En effet, selon Amnesty International dans la déclaration publique du 06 juillet 2004, « l’assemblée nationale rwandaise se sert de façon inconsidérée du concept de génocide pour contraindre au silence non seulement les organisations et personnes qui affichent leur désaccord avec le gouvernement, mais aussi des associations qui entretiennent des liens profonds avec le peuple rwandais et dont la loyauté est mise en doute par le gouvernement ».
Erwin van der Borght, un responsable d’Amnesty ajoute que les lois rwandaises contre l’idéologie génocidaire « sont formulées d’une manière très vague et généralisée, et donc les gens, au Rwanda, ne savent pas ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. » Du fait de cette situation, « beaucoup de gens préfèrent ne pas critiquer les autorités parce qu’il y a vraiment une crainte, par exemple auprès des médias indépendants, des activistes des droits de l’Homme et parfois même des opposants politiques, d’être poursuivis en justice », ajoute-t-il.
A cela, il convient d’ajouter également que cette loi affecte profondément le système scolaire. En effet, en mars 2008, Syfia Grands lacs Infos rapportait que des enseignants rwandais avaient déjà rendu leur tablier de crainte d’être accusés de véhiculer l’idéologie génocidaire. Un enseignant de Gicumbi dans le Nord rappelle que dans le Rwanda d’aujourd’hui, l’enseignant ne sait plus quoi prendre ou laisser. Chacun a peur d’être inscrit sur la liste noire dressée régulièrement par le ministère de l’Éducation pour un geste ou une parole jugés déplacés. « Les enfants et les enseignants font attention à chacun de leur geste ou parole, de peur qu’ils soient mal interprétés. Par exemple, les professeurs ne doivent pas parler des ethnies en classe, ce qui est difficilement évitable lorsqu’on parle du génocide. Il arrive souvent même que les professeurs qui ne donnent pas des bonnes cotes soient souvent accusés par certains élèves de pratiquer la discrimination. Cette peur est renforcée par le fait que la loi devant réprimer les crimes de propagation de l’idéologie génocidaire prévoit des lourdes peines pour les coupables allant même à la prison à vie » ajoute-t-il.
Les apports du nouveau texte
Par conséquent, face aux pressions externes et internes, il est apparu nécessaire de réviser la loi sanctionnant l’idéologie de génocide au Rwanda. Depuis Avril 2010, le gouvernement s’était engagé à réviser cette législation. A cette époque, le professeur Anasthase Shyaka, secrétaire exécutif de l’office d’appui à la bonne gouvernance affirmait que la loi sur l’idéologie du génocide faisait l’objet de discussions.
Le sénateur Jean Damascène Bizimana déclarait en janvier 2012 dans un article de l’agence rwandaise d’information (ORINFOR) intitulé « concertation sur la révision de la loi portant répression de l’idéologie du génocide » que cette loi était déconnectée du crime de génocide lui-même.
Le nouveau texte censé réformer l’actuelle loi contre l’idéologie du génocide a été approuvé le 15 juillet par la chambre des députés puis le 31 juillet par le sénat. Selon François Byabarumwanzi, président de la Commission des droits de la personne, de l’unité nationale et de la lutte contre le génocide, ce nouveau texte permet de « clarifier » les éléments constitutifs du crime d’idéologie de génocide.
Désormais, pour qu’il y ait idéologie du génocide, il faut qu’il y ait « l’intention coupable (de commettre le crime de génocide) et il faut aussi que tout cela soit fait en public » affirme-t-il.
Les peines encourues ont également été réduites, conformément au nouveau Code pénal rwandais qui a abaissé l’ensemble des sanctions. Le crime d’’idéologie de génocide est désormais passible de neuf ans d’emprisonnement maximum, contre 25 ans auparavant.
Jointe au téléphone par Jambonews, Carina Tertsakian responsable du programme Rwanda au sein de HRW demeure prudente au sujet de ce nouveau texte dont la teneur exacte sera révélée après la promulgation et l’entrée en vigueur prévues fin août. En effet cette dernière relève tout d’abord que le nouveau texte contient des améliorations par rapport à celui de 2008 et cela porte notamment sur la nécessite de démontrer l’intention derrière le crime. Cependant, elle met en évidence les lacunes de ce projet de loi à définir ce qui relève précisément de la conversation privée et ce qui relèverait du discours public.
Dans l’entretien du 17 juillet 2013 accordée à l’AFP, M. Byabarumwanzi affirme clairement qu’il n’y a idéologie du génocide que s’il y a l’intention de commettre le crime de génocide en public et précise qu’ « en public » signifie que les actes ou propos doivent se dérouler « en présence ou dans un lieu accessible par plus d’une personne » outre l’auteur des faits, c’est-à-dire non seulement la rue ou un lieu public, mais aussi notamment le cercle familial.
Finalement trois ans auront été nécessaires pour que des réformes soient apportées à la loi contre l’idéologie génocidaire. Démontrer l’intention de l’accusé de commettre le crime de génocide est le principal apport du nouveau texte. Néanmoins, des avancées restent encore à réaliser quant à la définition précise de l’espace public et l’intégration ou non du cercle familial.
Marie Umukunzi
Jambonews.net
http://jambonews.net/actualites/20110716-rwanda-une-etudiante-emprisonnee-pour-%C2%ABideologie-genocidaire%C2%BB/
http://www.orinfor.gov.rw/printmedia/news.php?type=fr&volumeid=421&cat=9&storyid=10704
http://www.levif.be/info/actualite/international/rwanda-reforme-de-la-loi-controversee-sur-l-ideologie-du-genocide/article-4000352074183.htm
http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2742p032.xml1/paul-kagame-human-rights-watch-genocide-rwandais-victoire-ingabireloi-sur-le-genocide-kigali-desserre-l-etau.html