Ce mardi 04 février 2014, la France qui est souvent accusée d’avoir joué un rôle dans le génocide de 1994 au Rwanda a ouvert pour la première fois le procès d’un ressortissant rwandais, Pascal Simbikangwa accusé de complicité de génocide.
L’accusé, 54 ans, ancien chef du service central des renseignements rwandais, a d’abord été arrêté en octobre 2008 sous le nom de Safari Senyamuhara pour trafic de faux papiers à Mayotte ; cela lui avait valu 4 ans de prison et une demande d’extradition infructueuse de Kigali. Le Rwanda l’accuse alors de génocide, cependant la France a décidé de le juger.
« Absence d’éléments de preuve »
Par conséquent, il a comparu ce mardi 04 février et pour une durée de six à huit semaines devant six jurés parisiens et trois juges de la cour d’assises de Paris pour avoir « contribué en connaissance de cause à la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires et autres actes inhumains ainsi qu’au génocide » selon l’acte d’accusation. Pour cela, il risque la prison à perpétuité. Les audiences seront filmées.
L’accusation lui reproche d’avoir organisé des barrages à Kigali et Gisenyi durant lesquels les Tutsis étaient filtrés et exécutés et d’avoir par ailleurs donné des instructions et livré des armes à ceux qui tenaient les barrières. Pascal Simbikangwa a été arrêté en octobre 2008 à Mayotte où il vivait sous une autre identité depuis environ trois ans. Le collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) présidé par Mr Alain Gauthier a déposé plainte contre lui. La justice française avait refusé jusqu’à présent de l’extrader vers le Rwanda. La fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ainsi que trois autres ONG se sont constituées parties civiles ; néanmoins la seule plaignante physique, vivant en Belgique, qui considérait l’accusé responsable du massacre de sa famille a été rejetée « en l’absence d’éléments de preuve ».
« Un procès politico-diplomatique »
Pour la défense, il s’agit d’un procès politico-diplomatique suite au rapprochement de Paris et Kigali en 2010 alors que les relations diplomatiques avaient été rompues entre 2006 et 2009 lorsque les autorités rwandaises issues de la rébellion tutsie accusaient les autorités françaises d’avoir soutenu les génocidaires. Alexandra Bourgeot et Fabrice Epstein, avocats commis d’office de Pascal Simbikangwa dénoncent un dossier où « les seules accusations sont des témoignages » et insistent également sur le fait que leur client « nie les faits depuis le début » et « ne comprend pas pourquoi il est là ». De plus, alors qu’initialement, il avait été mis en examen pour génocide et crimes contre l’humanité, l’instruction n’a finalement retenu que la complicité. L’accusation de participation directe au massacre de 1600 Tutsis sur la colline de Kesho (Province de Gisenyi) le 08 avril 1994 a été abandonnée par les juges d’instruction qui ont souligné l’aspect « tardif » et « contradictoire » des témoignages mettant en cause l’accusé.
Par conséquent, selon la défense « il y avait très, très peu de charges contre lui ». Les avocats de la défense dénoncent « la pression des autorités rwandaises sur la France » et « la pression monstrueuse des parties civiles » à l’origine de la plainte.
«On a l’impression que c’est les 20 ans du génocide des Tutsi et que donc il faut condamner Pascal Simbikangwa, pour en faire un exemple », dénonce la défense.
« Nous allons tout faire pour qu’il ne soit pas (…) un bouc émissaire, et on attend de la cour d’assises qu’elle juge Pascal Simbikangwa comme un être humain avec des faits précis », ont affirmé les avocats de la défense. Fabrice Epstein juge « très compliqué de faire venir des témoins du Rwanda » pour déposer en faveur de son client. En effet, « Nous n’avons pas les moyens du procureur ; qui a des accords avec Kigali »affirme-t-il. De plus, leur client ne « souhaite pas impliquer sa famille résidant au Rwanda et au Canada ».
On note l’absence de rescapés dans les rangs des parties civiles qui ne comptent que cinq ONG. Comme le confirme Aurélia Devos, vice procureur au pôle crimes de guerre, les victimes directes de l’accusé sont inconnues.
En l’absence de preuves matérielles, le procès reposera sur la crédibilité et la précision des témoins. Il existe des précédents embarrassants. En effet, des faux témoignages ont eu lieu lors des procès du tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, en Tanzanie.
Le verdict final sera prononcé à la mi-mars, juste avant la 20ème commémoration du génocide du Rwanda. L’enjeu de ce procès dépasse largement la peine à perpétuité qu’encourt l’accusé et touche également les relations diplomatiques franco-rwandaises. Le CPCR revendique notamment la création d’un mémorial du « génocide contre les Tutsis » à Paris et l’ouverture des archives nationaux pour démontrer l’implication de la France dans le « génocide contre les Tutsis ».
Marie Umukunzi