Il serait difficile d’appréhender l’instrumentalisation du génocide au niveau international par les autorités rwandaises sans se rappeler quelle fut la réponse de la communauté internationale face aux massacres.
Face à la tragédie qui se joue au Rwanda dès avril 1994, la communauté internationale ne réagira pas. Cette inertie sera reconnue par Koffi Annan en 1998 lorsqu’il avouera qu’au moment où les Rwandais en avaient le plus besoin, la communauté internationale échoua à leur venir en aide. La même année, Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, fait également son mea culpa, appelant toutes les nations à endosser leur part de responsabilité face à la tragédie.
Bien évidemment, ces excuses étaient nécessaires et incontournables. De tous les crimes contre l’humanité, le génocide est la forme la plus insupportable à laquelle l’humanité ait eu à faire face. Mise en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et du génocide des Juifs, l’ONU a pour mission d’assurer la paix et le dialogue entre les Etats, au travers d’instruments juridiques, diplomatiques et de coercition lorsque les circonstances l’exigent. En 1994, c’est une ONU inerte qui se demande s’il faut qualifier ces massacres de génocide pendant qu’il se déroule. D’autres Etats tels que la Belgique ou la France, prendront des années, certes, mais finiront par demander pardon aux Rwandais et reconnaître à leur tour, leurs responsabilités respectives, sans jamais réellement rentrer dans les détails. Mais le geste diplomatique est suffisant pour les autorités rwandaises.
Ce rappel de la repentance internationale permet de comprendre les raisons pour lesquelles le génocide et l’horreur des massacres qui l’entourentont pu être instrumentalisés par les autorités rwandaises, afin de systématiquement détourner le fond de toute accusation à leur encontre.
Le Rwanda et la RDC
Durant la seconde moitié des années 1990, le Rwanda se retrouve accusé de porter atteinte à l’intégrité territoriale de la République Démocratique du Congo, notamment dans le but d’accaparer les richesses minières. Face à ces accusations, les autorités rwandaises affirmeront que leur présence en RDC a pour but de faire rentrer les réfugiés et de combattre les « extrémistes hutus » rwandais, venus y trouver refuge depuis le génocide et menaçant le Rwanda. Jamais Kagame n’admettra que le but était notamment de renverser les présidents congolais, Mobutu pour la première invasion en 1996 et Laurent-Désiré Kabila pour la deuxième en 1998.
Les conflits en RDC feront de nombreuses victimes dans l’indifférence quasi totale de la communauté internationale, bien que certaines grandes puissances tenteront de forcer le dialogue, en vain. Il faudra attendre 2012 pour que l’ONU accuse fermement le Rwanda de soutenir la rébellion dans l’Est du Congo. De nouveau, face à ce rapport de l’ONU, la réponse de la chef de la diplomatie rwandaise, Louise Mushikiwabo, ne fut pas surprenante. Elle expliquera sans détour que « certains médias proches du gouvernement congolais parlent de traquer les Rwandais et tuer les Tutsis. Cela nous rappelle la rhétorique de 1994 avant le génocide ». Cet argumentaire récurrent dans la politique intérieure, permettait de se défendre notamment face à la violation de l’embargo sur les armes à destination de la RDC.
Le Rwanda et la France
En 2006, lemagistrat instructeur Jean-Louis Bruguièrelance neuf mandats d’arrêt contre des proches du président Kagame à l’issue de l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, dont les membres d’équipage étaient français. La réponse rwandaise est immédiate : en deux jours, les relations diplomatiques entre le Rwanda et la France sont coupées. Une nouvelle fois, c’est le soutien français à l’ancien président Habyarimana et son implication alléguée dans le génocide qui serviront de défense.
Au final, l’inaction coupable en 1994 de cette communauté internationale a facilité la stratégie d’instrumentalisation du génocide qui a bien fonctionné ces deux dernières décennies. Pourtant, cette stratégie commence à perdre en pertinence. L’image du Rwanda sur la scène internationale a été ternie depuis 2012 avec le soutien à la rébellion en RDC. Tout doucement, cette même communauté internationale décide de ne plus fermer les yeux. Le plus grand allié du président Kagame, à savoir les Etats-Unis, a progressivement commencé à émettre ses inquiétudes sur les critiques portées à l’encontre de régime rwandais.
Catherine Keza
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