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« Victoire Ingabire incarne un espoir pour la Région des Grands Lacs »

« Victoire Ingabire incarne un espoir pour la Région des Grands Lacs »

Depuis près de 5 ans, une association composée d’une cinquantaine de femmes, rien qu’en Belgique, prend une place grandissante au sein de la société civile rwandaise en exil. Depuis la création de leur association, ces femmes se mobilisent et sensibilisent à la condition des populations de la région des grands lacs et plus particulièrement des femmes. Le Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix « RIFDP » s’est surtout fait connaître sur les scènes nationale et internationale par la création du prix « Victoire Ingabire Umuhoza pour la démocratie et la paix » décerné sur une base annuelle. Jambonews a rencontré Daphrose Nyirankundwankize , la coordinatrice de la section Belgique.

Ingabire-victoire-sakharov

Victoire Ingabire Umuhoza


C’est en 2009, lors d’une réunion rassemblant des femmes autour du thème de la réconciliation du peuple rwandais, que l’idée de les fédérer dans une structure a germé, «ce jour-là on s’est dit: que peut-on faire pour la situation des femmes en Afrique et plus spécialement en Afrique centrale, avec tout ce qui se passe, la guerre, les viols… » se souvient Daphrose, « même si on était conscientes que ce problème devait être dit, qu’on devait au moins informer le public, on n’ avait pas trouvé de voie pour le faire jusqu’à ce qu’à un certain moment, on commence à entendre parler de Victoire, que je ne connaissais pas personnellement» et elle ajoute, les yeux admiratifs, comme à chaque fois qu’elle évoquera Victoire Ingabire Umuhoza lors de notre entretien « on a vu une femme qui se levait, qui parlait, du Rwanda, de la RDC de la situation dans la région et qui se demandait quel sera l’héritage qu’on va léguer à nos enfants vu les atrocités commises par le Rwanda sur le peuple voisin. »
Victoire Ingabire fut le véritable catalyseur de leur engagement «elle a réveillé en nous un sursaut, c’est comme si nous, les rescapés des massacres commis en Afrique centrale, avions une dette envers la population, nous devions être les voix de ces populations qui souffrent encore. La communauté internationale considère ce drame comme un détail, alors qu’on parle de 6 millions de morts en RDC et plus d’un million au Rwanda.»
Face à ce constat, un groupe de femmes a décidé de joindre la parole aux actes et avec des femmes, du Danemark, du Royaume-Uni, du Canada, de la Hollande, de la Belgique et de l’Allemagne, elles ont créé un « réseau » qu’elles ont appelé « international » « car même si la plupart d’entre nous sommes d’origine rwandaise, on vit dans des pays différents, et avons d’autres nationalités, et puis nous avons des sympathisantes de toutes nationalités, toutes les nationalités sont les bienvenues dans l’association
Dans leurs discussions tournant autour de l’impasse dans laquelle est plongée l’Afrique centrale depuis 25 ans, elles ont décidé d’articuler leur combat autour du soutien au leadership féminin car pour elles « c’est peut être une femme qui peut prendre la relève, qui peut incarner l’espoir » et, continue Daphrose, « en voyant tous ces viols, l’instrumentalisation de la femme dans la guerre, on s’est dit : peut être qu’une femme comprendra mieux la situation et pourra apporter une solution à cette région qui souffre depuis 25 ans.»
C’est donc tout «naturellement » qu’elles ont décidé de soutenir le combat de Victoire Ingabire, qui s’est distinguée « par son leadership et son esprit d’abnégation », et toujours au sujet de Victoire «on a vu en elle quelqu’un qui pourrait apporter un changement pacifique, un changement démocratique dans la région, surtout qu’elle était consciente, de la nécessité de vivre en paix avec les voisins.» Pour Victoire Ingabire, « le dialogue est l’une des voies incontournables pour aspirer à une paix durable. »
Depuis lors, elles se sont mobilisées, elles ont sensibilisé, dénoncé et informé sur la situation dans la région « pour que personne ne se dise après coup, on ne savait pas
Elles se sont alors regroupées dans une organisation, ayant 3 sections actives et d’autres en instance. C’est dans le cadre de cette organisation qu’elles remettent chaque année des prix annuels, qui prennent sans cesse une ampleur grandissante dans la sphère politique de la région des Grands lacs africains et du Rwanda en particulier.

« La jeunesse est le dépositaire de l’avenir »

Peter Mutabaruka recevant le prix jeunesse engagée

Peter Mutabaruka recevant le prix jeunesse engagée


Au sujet de ces prix, Daphrose nous explique « Il n’y a pas que le Prix VIU pour la Démocratie et la Paix. Ce Prix a été précédé par le Prix Jeunesse engagée, inauguré pour mettre en avant le jeune qui se sera distingué au cours de l’année écoulée » un prix auxquels ces femmes du Réseau tiennent particulièrement car pour elles, « la jeunesse est le dépositaire de l’avenir » et il est donc important de mettre en avant « les jeunes qui s’engagent dans la culture de la paix et de la démocratie » afin d’ « inciter les jeunes à prendre leur destin en mains ».
Lors de la dernière édition de la « journée de la relève » qui s’est tenue le 16 novembre 2014 à Montréal, le prix a été décerné pour la 5ème fois, et c’est Peter Mutabaruka, un jeune rwandais exilé en Angleterre qui en a été le lauréat. « Nous avons été particulièrement émues par son implication et sa détermination à décortiquer l’information, au moment où certains jeunes de son âge essaient de se distancer de cette sous-région endeuillée. Quand un jeune dit : « j’appelle les autres jeunes à se lever et à se battre pour l’avenir », ça a une symbolique particulièrement importante pour nous », nous explique Daphrose.
L’année précédente, c’est la québécoise, Martine Desjardins qui se l’était vu décerner « c’était un exemple de voir une jeune dire : «  on se lève, on réclame nos droits » nous lance Daphrose avec l’espoir à peine dissimulé de voir le message de la jeune québécoise être transmis à d’autres jeunes de la région des grands lacs.
Encore avant, ces sont des jeunes membres de l’ASBL Jambo qui avaient été distingués par le Réseau  « Jambo a réveillé pas mal d’esprits, on a vu enfin des jeunes qui parlent de ce qui se passe, qui se lèvent pour prendre leur destin en mains, c’est pour cela qu’on a tenu à les mettre à l’honneur ».
A côté du prix Jeunesse engagé, le Réseau est surtout connu pour le « Prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la Démocratie et la Paix », inauguré le 12 mars 2011 à Montréal, à l’ occasion du 100ème anniversaire de la journée de la femme et qui vise à récompenser sur une base annuelle toutes les personnes « qui se démarquent dans le cadre de la lutte pour la démocratie et la paix en Afrique et plus particulier dans la région des Grands-Lacs ».

« Victoire a inspiré mon engagement»

Prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la démocratie et la paix

Prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la démocratie et la paix


Le prix a été inauguré dans l’objectif de rendre un hommage à Victoire Ingabire, icône de l’opposition rwandaise actuellement emprisonnée à Kigali. « Nous nous sommes longtemps interrogées sur la façon de rendre hommage à Victoire, à son courage, à son sens du leadership, à son esprit d’abnégation dans la lutte pour un changement pacifique dans la région et la création d’un prix lui rendant hommage nous a paru être le meilleur moyen » nous explique Daphrose.
Lorsqu’elle évoque Victoire, les souvenirs qu’elle a de cette icône de l’opposition rwandaise fusent, et Daphrose nous confie notamment avoir été marquée par le discours que Victoire Ingabire a tenu à Montréal «  Peut être que je serais mise en prison, si tout cela devait arriver, continuez, ne regardez pas la situation comme on regarde un match de football ». Pour Daphrose, « Victoire ne parlait pas qu’à son parti mais à tous les rwandais, c’est une parole forte qu’elle nous a laissée ».
Nostalgique, elle nous raconte sa première rencontre avec Victoire Ingabire, lors d’une conférence à Bruxelles « plus de cinq ans se sont écoulés, mais je m’en rappelle comme si c’était hier, je me rappelle de la détermination qui ressortait de ses propos ». Aujourd’hui, devenue elle-même un modèle d’engagement auprès des rwandais en exil, elle nous raconte que c’est cette rencontre qui l’a inspirée à s’engager car elle était admirative de la détermination qu’avait Victoire Ingabire de se sacrifier pour le bien commun notamment lorsque cette dernière avait déclaré à l’assemblée « Si je pars et qu’on me tue, ce ne sera plus mon problème, mais promettez moi de reprendre de là où je serais arrivée ».
Ces paroles ne sont pas tombées dans les oreilles d’une sourde et avec d’autres femmes, elles ont continué la lutte pour le changement initié par Victoire et c’est dans le cadre de leur engagement qu’elles ont créé ce prix en hommage à celle que certains surnomment la « Aung San Suu Kyi rwandaise ».

« Victoire a eu un courage extraordinaire et révolutionnaire »

Judi Rever

Judi Rever


Lors de la dernière édition du Prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la Démocratie et la Paix qui s’est tenue à Bruxelles le 28 février 2015, le jury présidé par la journaliste franco-camerounaise Marie Roger Biloa a honoré Judi Rever, une journaliste canadienne très sensible à la problématique de la question des droits de la personne humaine et au sort des réfugiés en général et plus spécifiquement ceux originaires d’Afrique.
« On a voulu mettre en avant tout c’est qu’elle a fait pour la région des grands lacs depuis 1997, elle est témoin oculaire des massacres qui ont été commis dans les camps de réfugiés au Congo et surtout elle a eu le courage de parler, car il y a beaucoup de témoins oculaires qui ont peur de parler. Elle, a osé, et continue encore aujourd’hui à s’exprimer malgré qu’elle risque sa vie, comme l’a récemment révélé l’enquête du Globe and mail, un média canadien».
Dans son discours faisant suite à la remise du prix, la journaliste s’était dite « émue » et « honorée » de recevoir une telle distinction, et avait tenu à dire quelques mots au sujet « de cette femme qui a consciemment choisi de défier le statu quo au Rwanda ». « Victoire savait qu’elle pourrait être punie et peut être tuée, mais elle l’a quand même fait. Elle a dit que les personnes qui ont commis le génocide contre les tutsis devaient faire face à la justice, elle a également dit que les hutu avaient été victimes de crimes contre l’humanité et ce qu’elle voulait dire par là est que les crimes commis par les troupes de Kagame, restent à ce jour inconnus et impunis, dire cette vérité à l’intérieur du Rwanda a requis un courage extraordinaire et révolutionnaire. »
Au sujet des leçons à tirer des actions de Victoire, la journaliste avait ajouté que cela montrait « que la liberté de pensée, de conscience et d’expression sont plus importants que jamais si on veut changer les choses. Kagame sait bien qu’il ne peut pas contrôler les cœurs et les esprits de millions de rwandais. Il sait également qu’il ne peut pas effacer la mémoire d’une famille dont les proches ont été tués par son armée. »
Toujours au sujet du Numéro 1 rwandais, la journaliste canadienne avait ajouté « les tribunaux internationaux ont décidé de ne pas poursuivre Kagame pour les crimes bien orchestrés, mais ce Monsieur va faire face au tribunal de l’opinion publique. »Et en conclusion de son discours, la journaliste avait affirmé « Le courage de Victoire a déclenché une lutte qui est lente mais qui va finir par exposer les crimes commis par le FPR avant, pendant et après le génocide ».

« Tout ce qu’on espère pour l’année prochaine, c’est que Victoire puisse donner elle-même son prix »

Victoire Ingabire en compagnie de Raïssa, sa fille ainée

Victoire Ingabire en compagnie de Raïssa, sa fille ainée


L’année prochaine, pour la 5ème édition, les femmes du Réseau espèrent que Victoire pourra être présente pour donner elle-même son prix. « On interpelle, on questionne à gauche à droite, pourquoi Ingrid Betancourt et Aung San Suu Kyi ont reçu un tel soutien international et pas Victoire ? » et elle a joute, amère « elle mérite le même soutien que celui qu’a reçu Aung San Suu Kyi ».
Malgré sa déception de voir que la mobilisation de la communauté internationale n’est pas à la hauteur du sacrifice et du courage de Victoire Ingabire, elle salue la nomination de cette dernière, en compagnie de Bernard Ntaganda et Déo Mushayidi au prix Sakharov du parlement européen « mais les gens doivent continuer à parler d’elle, jusqu’à ce qu’elle soit libre et puisse continuer son œuvre, il ne faut surtout pas qu’elle tombe dans l’oubli. Tout le monde vous dit que c’est une femme courageuse, extraordinaire, mais les gens ne se mobilisent pas suffisamment ».
Pour Daphrose, soutenir Victoire revient à soutenir toutes les icônes de la lutte pour un changement démocratique actuellement emprisonnées au Rwanda « Elle n’est pas la seule injustement en prison, mais elle est le symbole de la lutte non-violente, elle-même qui a dit au moment de la prise de décision de rentrer : « je rentre sans armes ».
Un jour, se souvient Daphrose, « j’ai discuté avec Victoire, et lui ai notamment relayé la question de certaines personnes de savoir comment on pouvait partir en laissant ses enfants derrière elle», la réponse de l’opposante rwandaise l’a marquée jusqu’à ce jour « c’est pour l’avenir de tout un peuple que je lutte, un peuple dont font partie mes enfants ».
Et tout en reprenant son ton de militante déterminée, Daphrose conclue  notre entretien «  le temps est venu pour chaque rwandais de prendre conscience qu’il a un devoir vis-à-vis de ses pairs, de son peuple, qu’il ne dormira pas pour se réveiller sans avoir rien fait et trouver le Rwanda auquel il aspire. Chaque rwandais quelles que soient ses souffrances, doit penser à l’intérêt supérieur de la nation. »
Ruhumuza Mbonyumutwa
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