Depuis 1994, le mois d’avril de chaque année est marqué au Rwanda par la commémoration du génocide des Tutsis. 800 000 victimes sont commémorées à travers des cérémonies publiques dans tous les coins du pays mais aussi à l’étranger. Ce devoir de mémoire est indispensable, mais il ne peut nous faire oublier que d’autres milliers, voire des millions de personnes de l’ethnie hutue ont été sauvagement assassinées par le Front Patriotique Rwandais (FPR) de Paul Kagame. Ces actes de génocide perpétrés contre les Hutus ont commencé au Rwanda dans les zones contrôlées par le FPR entre 1990 et 1994, et se sont poursuivis après la prise du pouvoir par Paul Kagame, atteignant son point culminant dans les forêts de l’ex-Zaïre où entre 400000 et 650000 réfugiés hutus furent sauvagement massacrés par les soldats de Paul Kagame entre 1996 et 1997. Malgré l’obstination des génocidaires à étouffer la vérité, plusieurs faits et témoignages amènent à affirmer sans l’ombre d’un doute qu’il y a eu contre les réfugiés hutus rwandais et les hutus zaïrois, des crimes systématiques assimilables à un génocide. C’est cette épuration ethnique qui s’est déroulée en République Démocratique du Congo (RDC) entre 1996 et 1997 qu’on va continuer à décortiquer dans cette deuxième partie. [Découvrez la première partie ici]
Les similarités entre massacres des réfugiés et les génocides qui ont eu lieu dans le passé
Entre les génocides passés, ceux des Juifs et des Tutsi en particulier, il y a des similitudes dans les mécanismes et dans le processus de mise en œuvre qui ne sont peut-être spécifiques qu’au crime de génocide, mais que l’on retrouve d’un exemple à l’autre. Ces similitudes s’observent aussi dans le cas du génocide des Hutu au Zaïre.
La victime est toujours un bouc émissaire
La première similarité qu’on peut observer que ce soit lors du génocide des Juifs, des Tutsi et dans les massacres des réfugiés hutu, c’est que la victime est toujours le bouc émissaire, c’est à dire qu’on lui attribue la responsabilité de tout le malheur.
En 1933, Hitler était obsédé par l’idée de faire porter le chapeau des tous les malheurs de l’Allemagne à un groupe déterminé de personnes, à savoir les Juifs. Pour le Führer, l’hyperinflation en Allemagne de 1923, c’était la faute aux Juifs. Les accords de Versailles, la perte des colonies, les réparations, la grande crise économique mais aussi la République, tout ce que les vainqueurs avaient imposé à l’Allemagne contre son gré, ils les avaient faits, pensait Hitler, sous l’influence occulte ou déclarée des Juifs. Le 30 janvier 1939, le führer déclara : « l’Europe ne retrouvera pas la paix tant que la question des Juifs n’aura pas été aplanie ».
Aussi au Rwanda, ceux qui exécutaient les Tutsi évoquaient les circonstances comme « la guerre, l’assassinat du président hutu, les débordements des foules en paroi à la peine et à « la haine séculaire », « la juste colère populaire », « les provocations des Tutsi » et leur domination historique sur la société rwandaise. Les Tutsi étaient accusés d’être responsables de la guerre dans le pays, la reprise de l’offensive juste après la mort du président, et de soutenir moralement et financièrement le FPR. Bien sûr tous ces prétextes ne visent qu’à rendre les victimes des bouc-émissaires, et ne sont en aucun cas des circonstances atténuantes. Aucun de ces faits ne peut expliquer ni excuser les massacres d’un groupe entier.
Dans le cas de l’ex-Zaire, les assassins des réfugiés hutus évoquaient comme arguments : la protection des Banyamulenge « persécutés par les extrémistes hutus », la sécurisation des frontières contre l’infiltration des « Interahamwe » et des Ex-FAR, le « désarmement de ces mêmes génocidaires et le rapatriement des réfugiés parmi lesquels se cachaient les génocidaires ». En quelques sortes, le régime de Paul Kagame voulait faire savoir que s’il intervenait au Zaïre, c’était la faute aux réfugiés, qu’il considérait plus comme une menace que comme réfugiés et à qui le régime attribuait les exactions commises au Rwanda précédemment. La chasse aux « génocidaires » a servi de prétexte et de couverture à une présence militaire rwandaise sur le territoire congolais. Une fois arrivés sur le sol congolais, les hommes de Kagame se sont acharnés sur les réfugiés, dévoilant publiquement leur agenda caché.
En mars 1997, après quelques mois de combat, Paul Kagame a déclaré que la majorité des réfugiés Rwandais était rentrée, et que ceux qui restaient au Zaïre « auraient à payer pour n’avoir pas pris la bonne décision » (I think they will have to pay a price for not making the correct decision). Nous pouvons aussi le comprendre de la sorte : c’est « votre faute si vous êtes en train de périr ». Pourtant le Mapping Report rapporte qu’en avril 1997, les militaires de FPR ont à plusieurs reprises, interdit l’accès des camps aux organismes et ONG à vocation humanitaire et entravé le rapatriement des réfugiés vers le Rwanda malgré l’accord donné officiellement au HCR le 16 avril 1997 par les responsables de l’AFDL pour qu’il rapatrie par avion les milliers de réfugiés se trouvant dans la région de Kisangani, (paragraphe 244).
De même, nous pouvons nous demander comment les réfugiés pouvaient être responsables de leurs malheurs alors que le FPR a toujours refusé d’assurer un climat propice à un retour organisé sur une base volontaire. Ce climat impliquait le rétablissement d’un Etat de droit au Rwanda, le respect des droits de l’Homme, la résolution du problème de la propriété, le dialogue avec les réfugiés, leur sécurité etc.
C’est eux ou nous
Bien que les victimes soient toujours sans défense, les auteurs des génocides ont toujours la conviction que « c’est eux ou nous ». Himmler (un dignitaire du 3éme Reich) déclara souvent « si nous ne le faisons pas maintenant, c’est le peuple juif qui, plus tard, anéantira le peuple allemand ». Dans le cas du Rwanda, on trouve les mêmes propos. Ainsi nous pouvons lire dans le journal extrémiste Kangura numéro 18, juillet 1991, p.13-14 « (…) le peuple majoritaire n’a qu’un seul ennemi très méchant qui est le FPR. Cet ennemi projette d’exterminer (gutikiza en Kinyarwanda) le peuple majoritaire. (…) Les Inkotanyi et leurs complices n’ont pas leur place au Rwanda ». On observe aussi des propos similaires dans le génocide contre les réfugiés hutu, même si le style et les arguments avancés diffèrent. En effet, le gouvernement de Kigali a toujours accusé les réfugiés hutus dans les camps, d’accélérer leurs préparatifs pour retourner au Rwanda et y “achever le travail “ continuer le génocide des Tutsi.
Le Rwanda du Front Patriotique était effectivement convaincu d’être menacé dans son existence même par les « génocidaires hutu » soutenus par l’armée de Mobutu et les services français. Cela a constitué évidement une excuse pour le Rwanda et l’a poussé à intervenir au Zaïre pour y démanteler ce qu’il considérait comme un danger majeur pour la survie du pouvoir durement acquis.
Une fois les camps démantelés, l’APR s’est lancée dans une poursuite des réfugiés hutus qui fuyaient vers l’intérieur du Zaïre. D’après le pouvoir de Kigali, « il s’agissait du noyau dur des génocidaires qui ne voulait à aucun prix se laisser désarmer, qui comptait se regrouper et réorganiser un maximum des civils hutus pour relancer les tueries ethniques au Rwanda ».
Le Mapping Report relate au paragraphe 227 qu’à leur arrivée dans le territoire de Walikale, les militaires de FPR ont organisé des réunions publiques à l’attention de la population zaïroise, au cours de ces réunions, ils ont accusé les réfugiés hutus d’être collectivement responsables du génocide des Tutsi au Rwanda. Ils ont aussi affirmé que les réfugiés projetaient de commettre un génocide contre les populations civiles zaïroises de la région.
La diabolisation de la victime
Un autre critère commun aux génocides Tutsi, Juif et au génocide contre les réfugiés hutus, est la diabolisation de la victime par les bourreaux. Dans les années qui ont précédé l’extermination des Juifs, ces derniers ont été la cible d’une véritable campagne de diabolisation de la part des Nazis. Les Juifs étaient considérés comme des « créatures inferieures », des personnes d’« une autre espèce », « des animaux à exterminer ». « L’Allemagne a été assez bonne pour accueillir, des siècles durant, ces éléments, qui ne possèdent rien d’autres que des maladies contagieuses politiques et biologiques », disait Hitler.
Au Rwanda aussi, avant et pendant le génocide, les Tutsi ont été diabolisés et très vite sont devenus l’ennemi à abattre. Ceux-ci étaient considérés comme des complices des Inyenzi-Inkotanyi (mouvement rebelle des refugiés tutsi dans les année 60), des « cancrelats » « ennemis de la démocratie ». C’est dans les « dix commandements des hutu », publiés dans le journal extrémiste Kangura qui appartenait au personnage très contreversé, Hassan Ngeze, qu’on trouve une véritable diabolisation à l’encontre des Tutsi : on peut y lire que, « toute femme tutsie où qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie », tout tutsi est malhonnête dans les affaires. Il ne vise que la suprématie de son ethnie ».
Les réfugiés hutus ont été aussi diabolisés par leurs bourreaux avant, pendant et après les massacres. Selon le Mapping report, les soldats du FPR qui exterminaient les Hutu au Zaïre, dans leurs discours, comparaient souvent les réfugiés à des « cochons » saccageant les champs des villageois. Ils demandaient aussi souvent aux Zaïrois de les aider à les débusquer et à les tuer. Selon plusieurs sources, le terme « cochons » était le nom de code utilisé par les troupes de FPR pour parler des réfugiés hutus rwandais. Lorsque les militaires du FPR interdisaient aux Zaïrois d’accéder à certains sites d’exécution, ils leur disaient qu’ils étaient en train de « tuer des cochons » (paragraphe 227).
C’est en 1959 que pour la première fois s’est répandue l’idéologie d’un « hutu raciste » (le mythe du hutu génocidaire) qui s’en prenait à tous les Tutsi en tant que « race minoritaire ». En juillet 1994 après la prise du pouvoir par le FPR, la diabolisation de la totalité du peuple hutu tenu pour responsable du génocide des Tutsi s’est accentuée. Cette diabolisation a permis aux dirigeants du FPR de mettre un pouvoir mono ethnique à la tête d’un véritable Etat- policier. Grâce à une armée mono ethnique, omniprésente, le nouveau régime recours à la violence, ciblant l’ethnie hutue pour se consolider. C’est à travers cette idéologie « d’un hutu génocidaire » que des millions des réfugiés ont été diabolisés avant d’être massacrés.
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L’homme fort du Rwanda, le général Paul Kagame a même exhorté il y a deux ans « tous les Hutu à demander pardon à leurs concitoyens de l’ethnie tutsie pour le génocide perpétré en leur nom ». « Même si tu n’as pas tué, lève-toi pour demander pardon pour ceux qui ont tué en ton nom. (…), Pourquoi tu vas te taire alors qu’il y a une personne qui a tué en ton nom ? », avait-il lâché au cours d’une rencontre avec la jeunesse en juillet 2013.
Serge Desouter dans son ouvrage, « Rwanda le procès du FPR » décrit comment le FPR a inventé la formule du « hutu modéré », c’est-à-dire celui qui a choisi de collaborer avec lui, car ce prétendu hutu modéré ne peut pas être classé parmi les génocidaires. En dehors de ce « hutu modéré », le FPR considère le reste des hutu comme des génocidaires. Un hutu qui adhère à l’idéologie du FPR devient automatiquement un « modéré », sinon il passe (ou reste) dans le camp des génocidaires. C’est de cette façon, nous explique Serge Desouter, que tout un peuple fut diabolisé. « Tout Hutu est potentiellement classable parmi les génocidaires. Il suffit que le pouvoir de Kigali l’inscrive sur la liste, et la traque commence ».
« Cette diabolisation des hutu a permis à Paul Kagame d’obtenir un permis de chasse au Hutu non seulement sur l’intégralité du territoire rwandais, mais aussi sur celui d’un Etat voisin, le Congo. Le FPR ne s’est pas contenté de traquer le gibier hutu dans les camps, il les a poursuivi jusqu’ à Mbandaka à Ouest du Congo à plus de 1400 km des frontières du Rwanda », souligne ce missionnaire belge qui a vécu, et travaillé dix-huit ans au Rwanda.
Appeler « un chat un chat »
De l’argument de protéger les Banyamulenge jusqu’à celui de sécuriser le Rwanda contre les fameuses « forces génocidaires », l’inconsistance du mobile rwandais dans les conflits au Zaïre n’aura été que le reflet de ses buts inavoués, à savoir, se débarrasser des millions des réfugiés dont le seul crime est d’être nés Hutu et avoir la main mise sur les intérêts politiques et économique du Zaïre.
En dépit des difficultés décrites dans ses rapports, les équipes mandatées par les Nations Unies pour enquêter sur les massacres des réfugiés en ont conclu que « certains de ces meurtres peuvent constituer des actes de génocide ». Même si cette commission n’a pas explicitement utilisé le mot génocide, elle a pris soin de souligner que les circonstances des attaques, comme les opérations de nettoyage des camps laissaient entrevoir l’intention d’éliminer les Hutu rwandais au Zaïre ».
Il est logique d’assimiler les massacres des réfugiés hutus aux horreurs du génocide, sinon le terme « génocide » serait totalement vidé de son sens. La mémoire des victimes innocentes ne doit pas être bafouée au nom de n’importe quel intérêt ou n’importe quelle idéologie. Il convient d’accorder aux victimes le statut qu’elles méritent. On ne peut pas nier qu’il y avait parmi les réfugiés des responsables du génocide qui a endeuillé le Rwanda, néanmoins tous les rapports et témoignages convergent sur le fait que la grande partie des réfugiés ciblés n’étaient pas des combattants Interahamwe, ni des milices armées, mais des femmes, enfants, des blessés, des hommes, des malades et des vieillards, qui n’avaient exercé aucune activité militaire et qui furent parfois exécutés à l’arme blanche. Ce qui illustre l’intention de détruire systématiquement sans distinction.
Les méthodes utilisées indiquent qu’il y avait une volonté de la part de FPR d’exécuter un plan préalablement conçu : massacres directes, pousser les réfugiés vers les endroits inhabités où ils pouvaient être tués sans témoins, ou où ils risquaient de périr de maladies ou mauvaises conditions climatiques, utilisation des organisations humanitaires pour piéger les réfugiés etc.…. L’intention délibérée de commettre les crimes s’est ensuite caractérisée par une volonté d’effacer les preuves des massacres en nettoyant des sites où se sont perpétrés des massacres, en interdisant l’accès aux organisations humanitaires à ces sites et en intimidant des témoins. A tous ces éléments vient s’ajouter la volonté des suspects de bloquer toute tentative d’enquête impartiale sur les massacres ou de minimiser les massacres en affirmant que seuls les « génocidaires » ont été éliminés.
Ce caractère ethnique des massacres, l’intention d’éliminer des réfugiés hutus, et les méthodes utilisées semblent revêtir un caractère suffisamment massif et systématique pour que la qualification de crime de génocide puisse leur être attribuée.
Le fait que les populations zaïroises de même appartenance ethnique que les réfugiés ont été aussi éliminées, illustre le caractère purement ethnique des massacres. Le régime de Kigali est parvenu à convaincre l’opinion internationale que la guerre qu’il menait contre les réfugiés opposait les « génocidaires hutus » aux « combattants pour la démocratie et libérateurs du peuple rwandais, les Tutsi », d’où l’ambigüité de la communauté internationale à reconnaitre qu’un crime de génocide a été commis contre les réfugiés hutus. N’est-ce pas un négationnisme de ne pas reconnaitre de tels massacres systématiques comme un « génocide » ? Quelque soit l’appellation qu’on attribue aux massacres des réfugiés hutus, il est indéniable qu’un crime contre l’humanité a été perpétré. Et comme nous le dit Albert Camus, « mal nommer les choses c’est ajouter aux malheurs du monde ».
Jean Mitari
Jambonews.net
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