Le matin du 1er octobre 1990, alors que le Président Juvénal Habyarimana se trouve à New-York pour assister à une conférence organisée par l’UNICEF, un bataillon d’hommes armés en provenance de l’Ouganda attaque le poste de Kagitumba, sur la frontière nord-est rwando-ougandaise. C’est le début d’une longue guerre menée par le FPR-Inkotanyi, nom que s’étaient donné ces anciens réfugiés tutsi rwandais qui venaient de se lancer dans la conquête du pays.
Au départ le FPR s’était donné un programme très ambitieux pour le Rwanda, dont les points clés étaient une « démocratie multi-ethnique » opposée au « régime corrompu et tribaliste » de Habyarimana ; la restauration de l’unité nationale ; l’édification d’une véritable démocratie ; la mise en place d’un système économique basé sur les ressources nationales ; et le règlement définitif des causes du problème des réfugiés. Vingt-cinq ans après la première attaque et vingt-et-un ans après sa conquête de pouvoir, force est de constater que le bilan du FPR est loin des ambitions qu’il s’était fixées.
Les débuts de la guerre controversés
Le 1er octobre 1990, quand l’APR (Armée patriotique rwandaise, branche armée militaire du Front patriotique rwandais ) composée à ce moment en grande majorité des membres issus de la diaspora tutsi qui avait fui le Rwanda après la révolution de 1959 attaqua le Rwanda, les premières attaques tournèrent au fiasco. Le deuxième jour de l’offensive le Général Fred Rwigema qui commandait le front, ainsi que ses principaux lieutenants, furent tués dans des conditions suspectes. A ce moment, Paul Kagame qui allait devenir chef suprême de l’APR et plus tard régner sans partage sur le Rwanda, suivait une formation aux États-Unis en tant qu’officier de l’armée ougandaise. Après la mort de Rwigema et de ses adjoints, Paul Kagame rentra des Etats-Unis pour prendre le commandement de l’APR dont il connaissait peu les rouages. Il instaura la politique dite d’Agafuni, exécution à la houe usée pour toute personne qui remettait en cause son autorité ou tout soldat fatigué ou soupçonné d’être un espion. A cette période on dénonçait également une violation massive des droits de l’homme sur le territoire contrôlé par l’APR, zone de laquelle les journalistes indépendants étaient souvent tenus à l’écart.
Quel était le programme du FPR en attaquant le Rwanda ?
Créé formellement en décembre 1987 en Ouganda, le FPR s’est doté « d’un programme en huit points qui constitue la charte du mouvement : la restauration de l’unité nationale ; l’édification d’une véritable démocratie ; la mise en place d’un système économique basé sur les ressources nationales ; la lutte contre la corruption, la mauvaise gestion de la chose publique et le détournement des fonds publics ; la sauvegarde de la sécurité des personnes et de leurs biens ; le règlement définitif des causes du problème des réfugiés ; le bien-être social des masses ; la réorientation de la politique extérieure du Rwanda. »
Néanmoins, à la vue du catalogue d’intention que le FPR qui gouverne le pays s’était fixé dès sa fondation, on n’hésitera pas à dire que le chemin est encore bien long avant d’atteindre les objectifs. Le FPR avait-il vraiment l’intention de réaliser son projet, ou avait-il un agenda caché ?
Ouverture de façade ou véritable volonté de créer une coalition large ?
Le FPR a dès sa création tenu à afficher une composition multi-ethnique, accueillant en ses rangs à la fin des années 1980 et au début des années 1990 des personnalités hutu auparavant proches de Juvénal Habyarimana. C’est ainsi que le Colonel Alexis Kanyarengwe qui avait participé au coup d’Etat de 1973 ayant permis à Juvénal Habyarimana d’accéder au pouvoir, Theoneste Lizinde, ancien chef de la sécurité, ou encore les personnalités comme Pasteur Bizimungu et Seth Sedashonga tous Hutus, rejoindront les rangs du FPR. D’ailleurs la dénomination de » front » avait pour but d’atténuer l’aspect de mouvement purement ethnique et tutsi, ce qui était le cas du RANU (Rwandese Alliance for National Unity) ; le mouvement qui a précédé le FPR.
Néanmoins, vu le sort subi par ces personnalités hutu de la première heure qui ont rejoint le FPR, on ne peut qu’épouser la thèse de ceux qui soutiennent que le FPR les a intégrés uniquement pour donner l’image d’un mouvement multi-ethnique. Après la conquête du Rwanda en juillet 1994, les accords d’Arusha qui étaient censés permettre un partage du pouvoir ont été mis à la poubelle, et c’est la branche armée du FPR regroupée autour du général Paul Kagame, à ce moment-là ministre de la défense et vice-président, qui récupéra le pouvoir au grand dam de ceux qui avaient des aspirations démocratiques. Année après année, les partis d’opposition qui pourtant ont aidé le FPR à conquérir le pays ont été peu à peu vidés de leur substance avant d’être interdits, leurs dirigeants assassinés, emprisonnés ou obligés de fuir le pays. Ainsi après avoir nettoyé l’espace politique rwandais de tout parti d’opposition et réduit au silence la société civile, le FPR avec à sa tête le général Paul Kagame règne sur le Rwanda en parti unique, qui n’hésite pas à traquer ses opposants de l’Afrique à l’Amérique en passant par l’Europe.
La question des réfugiés
Une des principales priorités du FPR était le rapatriement des réfugiés et le règlement définitif des causes du problème des réfugiés. 21 ans après la conquête du pouvoir, le problème des réfugiés est plus que jamais d’actualité. Rappelons qu’en 1994 avec la prise du pouvoir par le FPR, le Rwanda se vida d’un tiers de sa population. Pour résoudre le problème causé par la présence de plus de deux millions de réfugiés à l’extérieur du pays, tout particulièrement en RDC, le régime de Kigali opta pour la manière forte en attaquant les camps qui abritaient ces réfugiés. Au cours de cette expédition punitive, une partie de ces réfugiés furent exterminés et un grand nombre rapatrié de force. D’autres sont toujours dans les forêts congolaises. Rien que sur le sol congolais ils sont estimés à 245 000 par le HCR. Aujourd’hui les obstacles au retour volontaire des réfugiés rwandais sont encore nombreux, et se trouvent, comme c’était déjà le cas avant l’attaque du 1er octobre 1990, du côté du gouvernement rwandais.
Jean Mitari
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