Blog de Jean Bigambo
Mon nom est Rwanda. Je suis né de parents huzas. Mon père est Hutu et ma mère est Tutsi. Et tous deux viennent du même clan, les Bahuza : c’est-à -dire «ceux qui s’assemblent». Notre animal totémique est l’oryctérope. Les Bahuza abritent également des Twa, les premiers habitants des lieux. Je vais à présent vous raconter l’histoire de notre origine. Ma mère me l’a racontée. Oui, ma mère. Elle l’a apprise de son père…
Il était une fois des Hutu et des Tutsi. Deux peuples centenaires qui convoitaient la même terre. Or celle-ci était déjà occupée, depuis des millénaires déjà , par les Twa, peuple premier de chasseurs-cueilleurs. Cette petite région tapissée de mille collines abondamment fertiles était d’une extrême beauté, avec ses lacs et rivières. Descendre ces vallées c’était comme se laisser glisser dans les formes mystérieuses et voluptueuses d’une femme, disait-on. Les Hutu étaient des agriculteurs extravertis à la force vive. Ils labouraient les champs du lever au coucher de soleil. Ils représentaient la couleur rouge, de la terre. Les Tutsi eux, des éleveurs de bovins, plutôt introvertis et aux allures gracieuses, à l’image de leurs vaches aux longues cornes. Ils se distinguaient par la couleur bleue. Deux peuples complémentaires dont le lien était la terre du peuple Twa, êtres d’origine. Pour autant, tous n’arrivaient pas à s’entendre sur le partage de cette terre si convoitée. A savoir comment l’un allait-il cultiver sa terre et l’autre faire paître ses vaches, le tout sans empiéter sur le Twa ? C’était une querelle interminable et parfois même elle finissait en conflits féroces.
C’est alors, qu’une nuit de pleine lune, lorsque les trois plus grands oracles des trois clans respectifs, assis au clair de lune autour d’un feu, se chamaillaient pour une énième fois, notamment sur : « A qui revenait la terre du nord des Mille Collines (la plus fertile) ? », ils aperçurent un animal étrange sortir d’un buisson par des forces magiques. Les trois oracles n’avaient jamais vu un animal de la sorte auparavant. Ils s’émerveillèrent. En effet, la bête avait un aspect effrayant, étrange et ne ressemblait à aucun autre animal des environs. Il était de nature trapue et très robuste, d’une hauteur atteignant un tiers de la race des hommes. Il avait l’arrière-train bossu comme un rat géant mais avec de longues pattes puissantes terminant par des griffes énormes. Des oreilles de lièvre qui faisaient, vu de profil, un bel angle avec son long museau, d’où sortait une interminable langue gluante comme le font les serpents, en tâtant le sol. C’était un fouisseur. Surpris par l’apparition de l’animal extraordinaire, les trois oracles se demandaient pourquoi l’animal, lui, n’était pas effrayé à l’idée de les voir eux, race des hommes, aux savoirs extraordinaires. Au contraire, la bête s’approcha davantage du feu. Les oracles se mirent debout et tentèrent d’effrayer l’animal, pour voir sa réaction. Le Twa avec sa longue flèche de chasseur, le Tutsi avec son bâton d’éleveur et le Hutu avec sa houe d’agriculteur. Rien n’y faisait. La bête n’avait que faire de leurs semblant de menaces. Et soudain l’animal se mit sur ses deux pattes arrière. Il commença à sauter, danser même, frappant le sol avec rythme, ses pattes avant tendus vers le ciel. De ses longues pattes musclées il s’élançait jusqu’à dépasser les flammes. Les trois oracles étaient médusés, ils se regardaient mutuellement, croyant être sous l’effet de psychotropes, lorsque l’animal – fait encore plus extraordinaire – se mit à leur parler, dans leur langue, le kihuza…
« Je suis l’Oryctérope, votre totem ! Celui qui, parmi vos fils, trouvera la source d’eau qui se jette dans la mer, à celui-là reviendra le pouvoir de dominer cette terre que vous convoitez tant ! ». Les yeux des vieillards s’écarquillèrent. Et malgré leur grande sagesse, ils sentirent une traction appelée envie grandir en eux.
L’oryctérope, malgré ses airs loufoques, était un mauvais génie ! Il avait su où les atteindre. Les trois oracles, obnubilés par leur désir de domination, les charmes inaccoutumés de la Bête et l’ivresse, ignoraient alors qu’ils allaient être à l’origine de la plus grande tragédie des terres des Mille Collines…
Jean Bigambo
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