Blog de Jean Bigambo
Je vais vous dire ce que je pense en voyant ces enfants palestiniens, témoins des corps sans vie de leurs parents et de leurs maisons détruites. Des images Twitter qui les figent éternellement dans l’absurde. Qu’est-ce que je ressens ? Que leur douleur me plonge brutalement dans mon propre passé, quand j’avais huit ans.
La guerre au Rwanda de 1994, je répète sans cesse aux employés des offices du Haut Commissariat des Réfugiés. Ma mère, mes frères et sœurs avons survécus aux massacres. Mais mon père est mort. Mon meilleur ami aussi. Il s’appelait Rugwiro. Mais dans les interviews, pour avoir droit au statut de réfugié, Rugwiro, lui, ne compte pas. J’ai fui la guerre. « Oui, madame, nous sommes passés par le Zaïre, à Bukavu ». Je suis un « réfugié »… je ne sais pas ce que ça veut dire.
Durant l’exode, je ne pensais pas que des personnes inconnues, à l’autre bout du monde, seraient prises de pitié à mon égard. Je vivais ma douleur comme un fait privé et inconsolable. Qui peut comprendre ce que je ressens, quand moi-même je l’ignore ?
Aujourd’hui, me voilà de l’autre côté de l’écran. Je regarde ces images de petits palestiniens apeurés, leurs regards dans le vide. Ils ne savent plus où s’agripper, tant la gifle est violente. Ils sont à mille lieux d’imaginer qu’une partie du monde les regarde.
Le Génocide Rwandais est passé sous silence. On me disait alors que le monde s’intéressait peu ou pas du tout au sort des pays comme le mien. Il refusait de se porter en témoin : « c’est entre vous, tribus. Qui saurait même ce qui se passe, isolés que vous êtes ! ». On vous dit ça, vous ne comprenez pas. Mais quelque part, je dis bien quelque part, ça fait mal.
Palestiniens, Syriens et Irakiens on tue vos frères, vos sœurs, vos mères et vos pères. On tue vos voisins, vos tantes et vos meilleurs amis. On tue. Sans distinction, en emportant maisons et ambulances. C’est le décret.
Je dis ça parce que je vous regarde sur mon écran…comme on me regardait, il y a vingt ans. Ce qui a changé depuis ? La qualité de l’image.
Rwandais, Burundais et Congolais on tue vos frères, vos sœurs, vos mères et vos pères. On tue vos voisins, vos tantes et vos meilleurs amis. On tue. Sans distinction, en emportant maisons et ambulances. C’est le décret.
Je suis un adulte aujourd’hui.
Que l’Afrique, partant de la source du Nil jusqu’à la Méditerranée ; l’Orient, entre le Tigre et l’Euphrate sont les foyers des deux plus anciennes civilisations au monde. Est-il vrai que je n’apporte pas de plus-value à l’Occident, plus civilisé que jamais ? Est-il vrai aussi qu’une majorité d’entre nous a réussi à se convaincre qu’on ne peut arriver à rien sans l’intervention de l’ONU et de l’Union Européenne ?
Finalement – et des deux côtés de l’écran – quel néant nourrit l’autre ?
Jean Bigambo
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