Article d’opinion soumis par Pacifique Habimana
L’héroïsme, c’est une question de sensibilité, dit-on. Dans des sociétés déchirées, ça l’est davantage. Le Rwanda a des personnes qui se sont distinguées lors des grandes étapes de son histoire. Ces étapes ont été des moments de crise sociopolitiques qui opposaient des camps composés sur base de revendications essentiellement sociopolitiques et où le caractère ethnique surpassait ces véritables enjeux pour les englober.
La « Chancelerie des Héros, des Ordres nationaux et des Décorations d’honneur » (CHENO) a été créée en 2001 au Rwanda pour faire vivre la mémoire des héros de la nation et pour décorer les individus méritants. Dès sa création, sa première action a été de désigner toute une série d’hommes et de femmes qu’elle considérait comme méritants et dont les actions relèvent de l’héroïsme. C’est donc en l’honneur de ces illustres hommes et femmes qu’est ainsi célébré chaque année le 1er février au Rwanda, la Journée Nationale des Héros.
L’héroïsme est un courage exceptionnel, grandeur d’âme hors du commun, il nécessite le courage qui est un trait de caractère qui permet de surmonter la peur pour faire face à un danger, à une souffrance. Pour ce qui concerne les héros politiques, ils sont les défenseurs des biens et valeurs communes, du vivre ensemble paisible quand un dévouement total et exceptionnel à la cause pour laquelle on combat est exigé.
Au Rwanda, il y a eu de « grands hommes politiques » comme partout ailleurs. Les chefs d’État : Le Roi Mashira du Nduga, Ruganzu II Ndori, Kigeli IV Rwabugiri, le roi Mutara III Rudahigwa, Grégoire Kayibanda, Juvénal Habyarimana; les révolutionnaires : Dominique Mbonyumutwa, Joseph Gitera, Balthazar Bicamumpaka, Vénuste Kayuku… ; le rebelle : Fred Rwigema ; les aspirants à la démocratie : Agathe Uwilingiyimana ; Emmanuel Gapyisi, Félicien Gatabazi, Seth Sendashonga… pour ne citer qu’eux. Pourtant parmi ces illustres personnages, considérés chacun à leur manière comme des héros au moins par une partie du peuple, une distinction a été faite. Premièrement, certains n’ont tout simplement pas été reconnus pour leur apport et ensuite pour ceux qui ont été décorés, ils ont été classés en trois catégories: Imanzi, Imena n’Ingenzi. D’autres individus de la vie ordinaires se sont distingué comme de « justes Tutsis » en protégeant des Hutus ou se sont distingués comme de « justes Hutus » en protégeant des Tutsis lors des heures les plus sombres de l’histoire du Rwanda.
La première catégorie, dite « Imanzi », est uniquement composée du Général Major Rwigema, premier commandant du FPR alors en rébellion contre le régime MRND et du soldat inconnu, représentant tous les soldats rebelles qui sont tombés sur le champ de bataille dit de « libération » du Rwanda.
La seconde catégorie, les « Imena », on retrouve le roi Mutara III Rudahigwa et Michael Rwagasana, dirigeant du parti UNAR (le parti soutenant la royauté tutsi des Bayiginya). On retrouve également les élèves de l’école secondaire de Nyange qui ont été massacrés en 1997. On retrouve également deux femmes : Felicita Niyitegeka, sœur de la congrégation des Auxiliaires de l’Apostolat qui a protégé des Tutsis lors du génocide et Agatha Uwiringiyimana qui était premier ministre en 1994, opposante au MRND et soutien du FPR, elle fut tuée au lendemain de l’attentat du FPR contre l’avion du Président Habyarimana.
La troisième catégorie, « Ingenzi », comprend les héros qui sont encore vivants. C’est-à-dire tous les individus qui auraient montré par leurs idées ou leurs actions un don de soi pour le grand nombre.
Le culte des grands hommes est un acte honorable. Cela est pratiqué dans plusieurs pays. En faisant vivre la mémoire d’illustres personnages, en exhortant leur mémoire héroïque, on fait revivre leurs actions et leurs idées méritantes. On appelle alors les contemporains à vivre de leur courage. Quand ce culte est pratiqué par un régime de manière juste, à bon escient et dans l’intérêt du peuple, il permet d’exhorter le patriotisme et le don de soi pour la nation. Quand il est utilisé de manière injuste, à mauvais escient et dans le bien d’un régime, il conduit au sectarisme et aux divisions. Dans l’histoire, le culte des héros a parfois été utilisé par certains régimes dans le monde dans un intérêt partisan.
Un élément frappant et reliant tous ces héros désignés par le régime du FPR est qu’ils sont soit Tutsi, soit qu’ils ont soutenu le FPR lui-même, soit qu’ils ont protégé des Tutsis. Une coïncidence? Ces caractéristiques n’ont évidemment rien de péjoratif, au contraire, ils sont pour certains le signe d’un engagement citoyen et parfois même d’un engagement héroïque.
Si nous nous arrêtons à ceux de la première catégorie telle qu’établie par le gouvernement du FPR, l’évidence de la sensibilité comme fondement de l’héroïsme au Rwanda parle d’elle-même. Est-ce le fruit d’un hasard que les plus grands héros désignés actuellement du Rwanda ressortent des rangs du FPR ? Le régime actuel a, à plusieurs reprises, exprimé la volonté de construire un pays « neuf ». En omettant les rois ancestraux, les révolutionnaires et pères fondateurs de la République et certains de ceux qui ont donné de leur vie pour l’avènement de la démocratie, le régime du FPR fait table rase du passé. Il omet une réalité historique pour construire sa légende. Plusieurs symboles qui faisaient le Rwanda d’antan ont été abandonnés, du premier drapeau du Rwanda, incarnant l’avènement d’un Etat-nation indépendant au premier hymne national qui célébrait l’unité du peuple, tous ces symboles ont été remplacés par d’autres qui portaient la gloire du régime du FPR.
Le sectarisme est une notion qui a caractérisé tous les régimes au Rwanda qui se sont succèdes jusqu’à nos jours, qu’il soit incarné par de l’ethnisme ou par le régionalisme, celui-ci n’a jamais permis réellement de mener une politique englobante. Si le choix des héros de la nation avait dû être réalisé par l’un des régimes qu’a connu précédemment le Rwanda nul doute que d’autres Imanzi, Imena et Ingenzi auraient été désignés et ce, selon les sensibilités de la classe dirigeante.
Qui, dès lors, parmi les grands hommes politiques rwandais, les jeunes générations, ayant besoin des héros pour en faire des modèles, suivraient -ils? Le risque est grand que la jeunesse se trompe sur la qualité de ses héros. À défaut d’en trouver, l’espoir est permis que les jeunes générations produiront un autre type de héros, revendiquant et luttant pour l’avènement et la réalisation des valeurs et droits non pour une catégorie ethnique, mais sur d’autres bases plus solides même s’il sera toujours question de sensibilité.
Pacifique Habimana
Jambonews.net
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