Depuis le 9 février 2017, les proches et la famille de Lionel Nishimwe sont sans nouvelles de lui. Ce jeune juriste rwandais, ancien réfugié en Zambie et autrefois critique du régime de Kigali, avait décidé il y a quelques mois, à la surprise générale, de rentrer au Rwanda. Quelques jours avant sa disparition, Lionel avait fait part de ses inquiétudes quant à sa sécurité suite à une affaire de faux témoignages.
Retour surprise au Rwanda
C’est au courant du mois d’avril 2016 que Lionel Nishimwe avait posté un communiqué sur les réseaux sociaux exprimant son intention de rentrer dans son pays d’origine pour, disait-il, « contribuer au développement de mon pays d’origine et pratiquer le droit au Rwanda ». Son communiqué précisait qu’il renonçait avec effet immédiat à sa fonction de représentant légal et de président fondateur de l’Association des réfugiés rwandais et anciens réfugiés vivant en Zambie. À l’époque, le jeune Lionel avait avancé la raison qu’il avait été « naïf tout le long de son parcours, mais qu’il est grand temps d’aller voir et de revenir raconter la réalité rwandaise ». Bien que les propos tenus eussent surpris ses proches, la forme de ceux-ci rappelait celles d’anciens repentis au régime par leur soudaineté, leur dithyrambe envers le président du Rwanda, Paul Kagame, et leur manque de consistance sur le fond.
Une semaine auparavant, Lusaka avait connu une grave crise. Des Zambiens manipulés par des individus malveillants s’en étaient pris aux commerces tenus par les membres de la communauté rwandaise. En sa qualité de président de la communauté rwandaise en Zambie, Lionel avait été très actif sur ce sujet. Mais à la surprise générale, alors que plusieurs éléments concordants incriminaient les agents de l’ambassade du Rwanda en Zambie dans les troubles survenus à l’encontre des réfugiés rwandais, Lionel Nishimwe avait défendu l’ambassade du Rwanda, l’exonérant de toute participation malveillante à ces heurts. Cette position pour le moins inattendue fut donc confirmée par le communiqué public annonçant sa démission du poste de président de la communauté rwandaise de Zambie qui survenue quelques semaines plus tard.
Lionel, un moyen d’atteindre la communauté rwandaise de Zambie
Lionel Nishimwe était vu comme un talent rare de la communauté rwandaise de Zambie. Titulaire d’un LLB en droit à seulement 22 ans, il était l’un des seuls juristes rwandais de la communauté. Ambitieux et très sûr de lui, il avait été à l’origine de l’association regroupant les Rwandais de Zambie. Il était régulièrement auteur d’articles très critiques sur le régime du président Kagame, manquant d’ailleurs de mesure dans sa critique pour certains. À son jeune âge, il avait réussi à se créer une stature « faisant de lui une personne influente de l’opposition au pouvoir du FPR et par conséquent un danger à l’hégémonie de celui-ci » nous a confié une proche de Lionel (qui a préféré rester anonyme). Selon elle « c’est la raison pour laquelle le régime a mis les bouchées doubles pour essayer de l’enrôler. Le FPR voulait casser la communauté rwandaise en l’amputant de l’un de ses leaders ». Comme les autres communautés rwandaises d’Afrique australe, la communauté rwandaise de Zambie comprend beaucoup de commerçants ayant réussi dans les affaires, pour la grande majorité d’entre eux, ils ne sont pas favorables au pouvoir du FPR. Concluant son propos, elle nous a confié que « sa famille a tout fait pour le retenir, nous voulions le dissuader d’aller au Rwanda parce que nous avions compris la manipulation qui se cachait derrière ».
Un retour idyllique en apparence
Depuis son départ de Lusaka et son installation au Rwanda, Lionel avait totalement changé de ton et de discours. Très actif sur les réseaux sociaux, outrageusement élogieux envers le Président Kagame, il était aussi devenu très critique, d’une virulence rare, envers les membres de l’opposition rwandaise. Il avait même fini par acquérir le surnom de « petit boutdhomme » en référence au surnom de l’ambassadeur du Rwanda à Bruxelles, Olivier Nduhungirehe, lui aussi repenti et très actif sur les réseaux sociaux. On l’a vu s’afficher aux côtés d’Evode Uwizeyimana ou encore Lorrys Munderere, eux aussi d’anciennes voix critiques qui se sont repenties dans des conditions similaires. Affichant régulièrement son quotidien sur les réseaux sociaux, il semblait mener une vie de rêve et n’hésitait pas à se moquer de ceux qui le mettaient en garde contre un possible retour de bâton de la part du FPR.
La fin de l’idylle, le début des ennuis
Fin janvier 2017, Lionel prenait contact avec différents organismes des droits de l’Homme tels que Jambo ASBL (Belgique), The African Great Lakes Action Network (Etats-Unis) ou encore Global Campaign for Rwandans’ Human Rights (Royaume Uni) pour leur faire part des menaces qui pesaient sur lui et des graves inquiétudes qu’il avait pour sa sécurité. D’après Lionel, avec qui Jambonews avait pu s’entretenir avant sa disparition, sa sécurité était mise à mal depuis son refus de donner de faux témoignages sur les réfugiés rwandais vivant en Zambie. « On m’a demandé de confirmer certains noms et de donner de plus amples informations sur certaines personnes qui figuraient sur une liste compilée par un certain Innocent Habumugisha. J’ai refusé, car je connaissais ces gens-là et je savais qu’ils n’étaient pas coupables de ce dont ils étaient accusés. C’est alors que les ennuis ont commencé. Ils ont commencé par remettre en cause les droits de propriété sur les biens que mes parents m’avaient laissés. Ensuite, ils ont arrêté de me soutenir, leur comportement vis-à-vis de moi a changé et enfin les menaces sont apparues ».
Innocent Habumugisha, également ancien réfugié rwandais en Zambie, avait justement été déporté au Rwanda dans d’étranges circonstances en février 2016, en compagnie de Égide Rwasibo, un autre réfugié rwandais. Dickson Jere, l’avocat de l’un des déportés, avait à l’époque déclaré: « Nous ne savons pas ce qu’ils ont fait, mais un de nos clients a été informé qu’il était impliqué dans le génocide ». Confirmant la déportation quelques semaines après celle-ci, les fonctionnaires de la Justice rwandaise avaient déclaré que les susmentionnés n’avaient pas de cas à répondre au Rwanda. « Ils ont été déportés suite à l’affaire d’immigration de la Zambie, de notre côté nous n’avons aucun cas contre eux. Ils sont totalement libres et nous n’avons pas la moindre affaire contre eux » déclarait Faustin Nkusi, porte-parole du Bureau National du Procureur. À l’époque des faits, Lionel Nishimwe en sa qualité de chef de l’association des réfugiés avait dénoncé cette pratique et accusé le régime d’avoir mis la pression sur les deux réfugiés pour qu’ils livrent de faux témoignages contre d’autres réfugiés en Zambie en échange de leur liberté.
« Arrivé à Kigali, ils ont pris soin de mes moindres besoins, ils m’ont apporté des filles,…»
Lionel Nishimwe, nous a également confié avoir reçu différentes faveurs de la part des agents de la National Intelligence and Security Service (NISS) depuis son départ de Lusaka. « Quand je suis arrivé à l’aéroport, ils m’ont dit qu’il n’était pas nécessaire que j’utilise mon propre argent. Ils avaient déjà tout préparé pour moi. Dans l’avion, Ils m’ont même installé en classe affaires. Arrivé à Kigali, ils ont pris soin de mes moindres besoins, ils m’ont amené des filles, offert des bières, ils étaient aux petits soins pour moi », confie-t-il dans une vidéo fournie aux différents organismes de défense des droits de l’homme avant sa disparition.
Dans un document manuscrit qu’il a fourni à Jambo ASBL, Lionel Nishimwe a confié son sentiment sur l’état dans lequel il a trouvé le Rwanda. « Dès mon arrivée au Rwanda, j’ai trouvé une image du pays loin de celle décrite par les individus. Les Tutsis dominent tous les secteurs de la vie civile, publique, sociale, commerciale alors que les Hutus font partie de la seconde classe des citoyens. La réconciliation que mettent en avant les autorités est une farce, les Rwandais vivent dans la peur et ceux qui essayent de parler sont directement réduits au silence. » À la question de savoir la raison pour laquelle il a défendu le régime aussi longtemps malgré ce constat, Lionel Nishimwe nous répondait : « dès le moment où j’étais dans ce pays, j’étais pris dans l’engrenage, comme tous les Rwandais, je voyais les injustices, mais comme tous, je me taisais et je faisais semblant » et, concluant de manière fataliste son propos, « c’est ça la vie au Rwanda ».
« Les disparations forcées sont devenues une véritable politique d’intimidation et de destruction »
Natacha Abingeneye, présidente de l’ASBL Jambo, organisation de la société civile rwandaise, a affirmé son soutien à Lionel : « Nous partageons les inquiétudes exprimées par sa famille et les autres organisations de défenses des droits de l’Homme concernant la disparition de Lionel Nishimwe. Tous les éléments que Lionel nous a fournis portent à croire que sa vie serait en danger. Si le gouvernement a quelque chose à lui reprocher qu’il le fasse dans le respect de la loi. Autrement rien ne justifierait une détention arbitraire. Quel que soit le passé tumultueux de Lionel, il n’est pas à exclure que ce jeune homme ait été victime des courantes pratiques de manipulation du régime. » Madame Abingeneye a également vivement condamné les cas de disparitions forcées au Rwanda. « Les disparations forcées sont devenues une véritable politique d’intimidation et de destruction de la communauté de la part de régime, on ne compte plus les cas tellement ils sont légion. Cette politique criminelle doit absolument cesser au Rwanda. » a conclu Abingeneye.
Le cas Lionel a provoqué le débat sur les réseaux sociaux. Beaucoup se sont étonnés de la naïveté de Lionel Nishimwe : « Qu’est-ce qu’il croyait ? Quand on joue avec le feu, on finit par se brûler » commente Ange U. sur Facebook. Tandis que d’autres s’étonnaient du caractère lunatique du jeune Lionel : « Un jour Kagame est un assassin, un autre, c’est un sauveur et après, il redevient un criminel ! Qu’en penser ? » s’interroge Faustin K.. D’autres encore, comme Eric M., tenaient à défendre Lionel : « Il faut dénoncer toutes les injustices. Une victime n’est jamais responsable de l’injustice qu’elle a subie. Quels que soient ses antécédents, personne ne mérite un tel traitement. Si les lois existent, c’est qu’elles sont censées servir à quelque chose ». Le cas de Lionel est symptomatique de la vulnérabilité de certains réfugiés rwandais. Si avéré, il vient grossir la longue liste des voix critiques mystérieusement disparues au Rwanda.
Emmanuel Hakuzwimana
www.jambonews.net
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