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« S’il y a une candidature africaine au poste de secrétaire générale de la Francophonie, elle aurait beaucoup de sens. Si elle était africaine et féminine, elle aurait encore plus de sens. Et donc, je crois qu’à ce titre la Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, a toutes les compétences pour exercer cette fonction. »
Cet extrait du discours du président français Emmanuel Macron date du 23 mai 2018. Le président français met fin aux spéculations en officialisant le soutien de la France à une candidature rwandaise à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et ce en la personne de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires Etrangères en fonction.
En tant qu’Africain, on ne peut que se réjouir d’une candidature africaine à la tête d’un organisme international, surtout du prestige de l’OIF[1]. Au travers d’une telle candidature, c’est l’Afrique toute entière qui rayonne.
Alors que Louise Mushikiwabo arbore un CV qui plaide en sa faveur, paradoxalement, sa candidature suscite de vives polémiques parmi les observateurs avertis. Retour sur ces éléments qui soulèvent tant de questions :
Les agissements du gouvernement rwandais (dirigé par le FPR) dans la promotion des valeurs de la Francophonie et de langue française.
La déclaration de Bamako, adoptée lors du Symposium International sur les pratiques de la démocratie et des libertés dans l’espace francophone (Novembre 2000 à Bamako) sert de texte normatif et de référence de la Francophonie dans ces domaines. Sur le site de l’OIF, on retrouve également les objectifs et les missions qui traduisent ces valeurs.
Il est donc très aisé de constater que, ces dernières années, le régime rwandais a posé des actes en contradiction totale avec les objectifs et missions de la Francophonie :
Par exemple, pour ce qui concerne « la promotion de la langue française et la diversité culturelle et linguistique », on se souvient qu’en 2010, tout l’enseignement officiel rwandais basculait soudainement du français à l’anglais. En 2014, le gouvernement rwandais avait même procédé à la destruction du centre culturel franco-rwandais[2] (lieu symbolique pour la promotion de la culture et de la langue française au Rwanda).
Pour ce qui concerne « la Promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’Homme », le Rwanda de Kagame est loin d’être une référence en matière de respect des droits de l’Homme.
Au contraire, les violations régulières de ces droits par les autorités rwandaises sont abondamment documentées et rapportées par des organisations internationales. Le dernier rapport sur ce sujet est celui publié par Amnesty International : le Rapport 2017/2018[3], qui synthétise la situation au Rwanda comme suit : « La répression exercée contre les opposants politiques s’est poursuivie avant et après les élections, s’illustrant par des cas de graves restrictions aux libertés d’expression et d’association, d’homicides illégaux et de disparitions non élucidées. »
Choisir le Rwanda de Kagame pour défendre et promouvoir les missions de la Francophonie soulève inévitablement toute une série de questions.
L’on peut également s’interroger sur l’intérêt soudain du Rwanda pour une organisation à laquelle le même gouvernement ne montrait que peu d’entrain à contribuer au fonctionnement.
En effet, le Rwanda a fait preuve d’un certain laxisme dans l’acquittement de sa contribution et ce depuis plusieurs années. En 2014, l’Organisation a dû lui accorder une réduction de 50 % et s’entendre sur un calendrier de paiement régulier alors que sa contribution ne s’élève qu’à 30.000 euros annuellement, bien loin des millions engloutis dans le sponsoring d’Arsenal l’année passée[4].
Dans une récente réunion, le Comité sur les arriérés est d’ailleurs revenu à la charge pour exiger le paiement des arriérés pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018[5], en vain.
On se demande dès lors, comment Louise Mushikiwabo pourra convaincre ceux qui sont aujourd’hui ses pairs de s’acquitter à temps de leurs obligations financières alors qu’elle-même ne l’a pas fait pour son pays ?
Toutes ces contradictions amènent à s’interroger sur le message envoyé aux autres pays africains qui, non seulement respectent le français, mais sont cités en exemple comme des Etats de droits et de respect des valeurs de la Francophonie ?
Faut‐il « casser du Français » et piétiner les droits de l’Homme pour être reconnu au sein de l’OIF ?
La promotion de la ministre des Affaires étrangères de Paul Kagame à la tête de l’OIF.
Indépendamment des agissements du gouvernement rwandais vis‐à‐vis de la francophonie et de la langue française, choisir la ministre des Affaires Etrangères de Paul Kagame n’est pas sans polémique.
Si elle devait être élue, il ne lui sera pas facile de faire oublier son engagement auprès de l’un des gouvernements les plus répressifs de l’histoire, constamment montré du doigt pour ses violations des droits de l’Homme.
En effet, Louise Mushikiwabo a mis toute son énergie à défendre les exactions de son gouvernement et du FPR, quitte à nier l’évidence et cela au détriment des droits des Humains.
L’exemple le plus flagrant est la lettre que Louise Mushikiwabo adresse, au début du mois d’août 2010, au secrétaire général des Nations-Unies de l’époque Ban Ki-Moon, après avoir pris connaissance du projet DRC Mapping Report des Nations-Unies.
Ce rapport, qui recense les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la RDC , conclut en substance que certaines de ces violations, « pourraient, si [elles étaient] prouvées devant un tribunal compétent, être qualifiées de génocide ».
Dans sa lettre référencée N° 0482/09.01/Cab.Min/2010, Louise Mushikiwabo met d’abord en doute le travail des enquêteurs et des organismes non gouvernementales et conclut en menaçant les Nations-Unies que si ce rapport est publié, le Rwanda se retirera « de ses engagements auprès des Nations-Unies, notamment de ses missions pour les actions de maintien de la paix ».
Finalement, le projet de ce rapport sera fuité par le journal Le Monde le 26 Août 2010 et la version finale sera publiée par les Nations-Unies le 01 Octobre 2010[6].
Un autre exemple est celui de juin 2012, où les autorités rwandaises avaient été accusées de déstabiliser et de soutenir le M23, mouvement rebelle dans l’Est du Congo accusé de crimes de guerre commis à grande échelle, y compris des exécutions sommaires, des viols et des recrutements de force.
Louise Mushikiwabo, sans dire un mot sur ces violations, condamna les « allégations malhonnêtes selon lesquelles de hauts responsables rwandais soutiennent une mutinerie de l’armée en République démocratique du Congo pour faire du Rwanda un bouc émissaire »[7].
Quel crédit peut-on dès lors accorder à une ministre de Paul Kagame pour la défense des droits de l’Homme au sein de la Francophonie ?
A côté de la problématique des droits de l’Homme, il y a les rapports assez étranges que Paul Kagame entretient avec Paris depuis 28 ans.
Du côté de Paul Kagame, on accuse ouvertement la France de complicité dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 et du côté français, il y a l’affaire de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana dans lequel trois Français ont perdu la vie et pour laquelle la Justice Française a toujours une instruction ouverte, contre le même Kagame et son entourage.
Sur ces affaires Louise Mushikiwabo a déclaré au journal Le Monde en Octobre 2017 : « Certains responsables [français] (qui) étaient les soutiens d’un régime qui a commis un génocide, et (qui) essaient depuis vingt-trois ans de cacher leurs traces, de brouiller les pistes ». « Ce soi-disant procès n’a aucune raison d’être. Nous avons collaboré car nous voulions aller de l’avant. Mais on a trouvé du côté de la France une certaine arrogance. »
Dans la même déclaration, Louise Mushikiwabo est allée jusqu’à avancer que la justice française n’est pas indépendante : « Comme par hasard, quand les relations politiques étaient bonnes [sous Nicolas Sarkozy], la justice avançait bien. Ce n’est pas de la justice, c’est de la politique. »[8]
Malgré cela, passant d’ennemis jurés qui se seraient fait la guerre sur le terrain, Emmanuel Macron a décidé de soutenir le seul gouvernement au monde qui accuse la France de complicité dans un génocide…
D’ailleurs, il semblerait que le président français peine à expliquer ce soutien. Selon l’Express, dans un billet publié le 12 Juillet 2018, l’entourage élyséen n’assumerait pas totalement ce soutien: « D’abord, cette candidature serait celle d’une Rwandaise et non du Rwanda, d’une personnalité et pas d’un pays. »[9]
Si tel était le cas, pourquoi le président français a-t-il annoncé le soutien de la France aux côtés de Paul Kagame et non aux côtés de cette « personnalité » ?
Néanmoins, ce n’est pas la première fois que la France surprend en proposant le poste de Secrétaire général de l’OIF contre toute logique. En 2014, alors que la fronde populaire se faisait de plus en plus forte contre le président burkinabé Blaise Compaoré, l’Elysée lui avait proposé le poste comme porte de sortie.[10]
Le tempérament même de Louise Mushikiwabo
Louise Mushikiwabo est réputée pour être dure et assez tranchante dans ses prises de positions. Un tempérament qui cadre parfaitement avec le gouvernement rwandais actuel, mais qu’en sera-t‐il lorsqu’elle sera à la tête de la Francophonie ?
On a tous en mémoire ses déclarations contre Diane Rwigara lorsqu’elle l’a traité de « sorcière » dans une interview accordée à TV5 en octobre 2017.
Ou encore ses réponses cinglantes envers les enfants de Patrick Karegeya lorsque ceux‐ci exprimaient leur désarroi suite à l’assassinat de leur père en janvier 2014. Les propos sont tenus quatre jours seulement après l’assassinat :
« Ce n’est pas comment on commence, mais plutôt comment on finit. Cet homme était un ennemi auto-déclaré de mon gouvernement et de mon pays, vous vous attendez à ce que j’éprouve de la pitié ? »
« Comme ministre des Affaires étrangères, vous n’avez pas d’étiquette de réseau social, cet homme était mon père, ne mentionnez plus jamais son nom »
« Désolée les gars, mon temps de jeu avec des gamins est épuisé POUR LE MOMENT »
Il y a aussi toute une série de Tweets et de discours assez « va‐t‐en‐guerre » contre diverses personnalités dont la fameuse déclaration :
« J’en ai vraiment assez de ces petits blancs (ou autres petits insignifiants qui ne sont pas blancs) qui écrivent depuis quelques jours des foutaises sur l’Afrique. Et d’ailleurs, qui leur a demandé de parler pour l’Afrique ? »
Ou encore cette attaque pour le moins étonnante contre Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch, qui avait dénoncé les pratiques d’intimidations du gouvernement rwandais contre les voix critiques:
« Ken, Ken, Ken… Tu as oublié de prendre tes cachets une fois de plus ? Il y a un endroit qui s’appelle Ndera au #Rwanda, où tu pourrais trouver de l’aide »
(Ndera est le lieu où se trouve l’hôpital psychiatrique le plus célèbre du pays…)
Selon la déclaration de Bamako : « Le Secrétaire général se tient informé en permanence de la situation de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, en s’appuyant notamment sur la Délégation aux droits de l’Homme et à la démocratie, chargée de l’observation du respect de la démocratie et des droits de l’Homme dans les pays membres de la Francophonie. »
Louise Mushikiwabo arrivera-t-elle à établir de bonnes relations avec ceux qu’elle considérait hier comme des « fous » ?
Compte tenu du soutien annoncé de certains pays africains francophones à cette candidature, certains disent que le résultat des élections qui auront les 11 et 12 octobre 2018 à Erevan (Arménie) est déjà scellé, même si Michaëlle Jean, la candidate canadienne sortante n’a pas dit son dernier mot[11].
En somme…
La candidature de Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères de Paul Kagame, est totalement paradoxale si l’on regarde la situation qui prévaut au Rwanda en matière des Droits de l’Homme ainsi que les agissements du gouvernement rwandais vis-à-vis de de la langue française et des valeurs de la francophonie.
De plus, au vu du tempérament dont Mme Louise Mushikiwabo a fait preuve alors qu’elle était aux Affaires étrangères du Rwanda, il ne fait aucun doute que cette candidature, soutenue de manière tout aussi paradoxale par la France, répond à un agenda caché et cela alimente toutes les polémiques :
‐ Est‐ce une façon de sortir Mme Louise Mushikiwabo d’un gouvernement tant décrié en lui offrant ce poste hautement symbolique ?
‐ Est‐ce le fruit d’un marchandage diplomatique entre Paris et Kigali pour tempérer les accusations de complicité dans le génocide des Tutsi ?
– Est-ce le résultat d’un incompréhensible calcul géopolitique de l’Elysée pour retrouver une influence française dans la région ?
Dans tous les cas, l’OIF est déjà perdante. Son image est écornée. Cette candidature passe très mal en raison de toutes ces contradictions et cela fortifie les thèses selon lesquelles l’OIF ne serait ni plus ni moins qu’un vulgaire instrument utilisé pour assouvir les intérêts géopolitiques d’une France souhaitant reprendre une position dominante en Afrique centrale[12].
Pour Kigali en revanche, c’est déjà une victoire. Le soutien de la France et celui d’autres membres de l’OIF arrivent comme du pain béni pour alimenter une nouvelle opération de « blanchiment » de son image.
Quant à Emmanuel Macron, l’opération semble très risquée. En attendant que l’avenir nous le dise, il suffit de regarder son « langage corporel » lorsqu’il a annoncé soutenir cette candidature…
Gustave Mbonyumutwa
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[1] Organisation Internationale de la Francophonie
[2] RFI. Kigali a démoli le centre culturel franco-rwandais [en ligne]. Disponible sur : <http://www.rfi.fr/mfi/20140711-rwanda-france-kigali-demolit-centre-culturel-franco-rwandais-leotard-kagame-habyarimana-trevidic>. (05 Août 2018)
[3] Amnesty International. Rwanda 2017/2018 [en ligne]. Disponible sur : <https://www.amnesty.org/fr/countries/africa/rwanda/report-rwanda/>. (05 Août 2018)
[4] http://www.rfi.fr/afrique/20180529-polemique-sponsoring-arsenal-rwanda-kagame-football
[5] AFRIK.COM La candidature de Louise Mushikiwabo passe mal auprès de principaux contributeurs de l’OIF [en ligne]. Disponible sur : < https://www.afrik.com/la-candidature-de-louise-mushikiwabo-passe-mal-aupres-de-principaux-contributeurs-de-l-oif>. (05 Août 2018)
[6] Jambonews. http://www.jambonews.net/actualites/20101001-crimes-commis-au-congo-l%E2%80%99onu-refuse-le-chantage-et-maintient-que-les-crimes-commis-par-l%E2%80%99aprafdl-au-congo-pourraient-etre-qualifies-de-genocide/ (11 Août 2018)
[7] Reuters. Rwanda says being made a scapegoat for Congo mutiny [en ligne]. Disponible sur : < https://www.reuters.com/article/us-congo-democratic-rwanda/rwanda-says-being-made-a-scapegoat-for-congo-mutiny-idUSBRE85O17I20120625>. (05 Août 2018)
[8] Le Monde. Le Rwanda met la pression sur Emmanuel Macron pour régler le contentieux lié au génocide [en ligne]. Disponible sur : < https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/29/le-rwanda-met-la-pression-sur-emmanuel-macron-pour-regler-le-contentieux-lie-au-genocide_5207591_3212.html>. (05 Août 2018)
[9] L’Express. Guerre sans merci pour la francophonie [en ligne]. Disponible sur : < https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/guerre-sans-merci-pour-la-francophonie_2024881.html>.
[10] http://www.liberation.fr/france/2014/11/29/sommet-de-la-francophonie-hollande-appelle-les-dirigeants-au-respect-du-jeu-democratique_1153326
[11] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1115134/francophonie-canada-candidature-france-ottawa
[12] RFI. [Vidéo] Louise Mushikiwabo à l’OIF? Le calcul d’Emmanuel Macron. Disponible sur : < http://www.rfi.fr/hebdo/20180608-video-louise-mushikiwabo-oif-le-calcul-emmanuel-macron-france-rwanda>. (06 Août 2018)