La journée « Ingabire Day » est un concept, inspiré de la « Mandela Day », et ayant pour objectif de faire de la date du 14 octobre une journée spéciale visant à éclairer le monde sur la situation politique au Rwanda, à travers un ensemble d’évènements à portée internationale. Ingabire Day met en évidence tout particulièrement la situation des prisonniers politiques et d’opinion, dans ce pays dirigé par un régime totalitaire qui mène une répression généralisée de l’opposition, des médias et de la société civile. C’est dans ce cadre qu’au cours de cette journée, un ensemble d’associations de la société civile met en avant la nécessité de libérer inconditionnellement tous les prisonniers politiques et d’opinion au Rwanda et de promouvoir la liberté d’expression et l’instauration d’un Etat de droit.
Aujourd’hui quand on parle du Rwanda de Paul Kagame, on affiche une réussite économique exemplaire, avec un taux de croissance élevé, un revenu annuel par habitant multiplié par 5 en 23 ans, une baisse remarquable du taux de mortalité infantile, l’assurance-maladie pour plus de 90 % de la population, des chiffres intéressants voire flatteurs concernant le processus d’empowerment de la femme ou encore une forte baisse du taux de pauvreté. Ces chiffres valent au régime rwandais les louanges des bailleurs de fonds, en tête desquels, figurent la Banque mondiale et le FMI, ainsi que le soutien inconditionnel de certains grands influenceurs mondiaux comme Bill Clinton et Tony Blair.
Et pourtant, plusieurs chercheurs et universitaires reconnus comme F. Reyntjens[1], A. Ansoms[2], E. Marijnen, G. Cioffo, J. Murison, D. Himbara[3] démontrent que ces chiffres fournis par le régime rwandais concernant, en particulier, la réduction de la pauvreté et des inégalités sont, en grande partie, truqués dans le but de donner une bonne image aux yeux des investisseurs et des pays donneurs d’aide. De même, des travaux informés de chercheurs et universitaires comme A-A Dufatanye[4] et E. Ndahayo démontrent que le chiffre élevé de femmes au parlement ne signifie malheureusement pas le développement des droits de la femme ni son empowerment, mais que cela n’est plutôt qu’un stratagème de plus, s’inscrivant dans une large stratégie de communication du régime, fondée sur l’instrumentalisation de la personne humaine et de la femme en particulier. Le régime de Kigali met en avant le fait que son parlement soit majoritairement féminin. Mais on constate paradoxalement que sous ce même régime, les deux seules femmes, Mme Victoire Ingabire et Mme Diane Rwigara, qui ont osé vouloir se présenter aux élections présidentielles se sont, pour cela, retrouvées en prison.
Bon nombre de pays, organisations internationales et organismes d’aides au développement refusent, en dépit d’innombrables rapports, de voir le côté obscur du régime de Kigali et ses dérives autocratiques caractérisées par une répression sans merci envers les opposants politiques. L’emprisonnement, le harcèlement, la torture, l’élimination physique des voix critiques sont monnaie courante dans ce petit pays qui n’a pas connu de véritable stabilité depuis son indépendance dans les années 1960.
C’est ainsi que cette journée spéciale a été instaurée, pour faire connaître davantage la situation politique au Rwanda, en mettant particulièrement en évidence le cas des prisonniers politiques et notamment celui de Madame Victoire Ingabire Umuhoza, l’une des principales figures de l’opposition rwandaise. Cette initiative a vu le jour lors du cinquième anniversaire de l’emprisonnement de Victoire Ingabire le 14 octobre 2015, elle a été pensée par la communauté rwandaise de Lyon, ensuite rejointe par plusieurs associations de la société civile rwandaise à travers le monde, notamment Fondation Victoire Pour la Paix ; Jambo asbl, Amahoriwacu, AGLAN (African Great Lakes Action Network) ; Friends of Victoire ; RifDP Canada (Réseau international des femmes pour la Démocratie et la Paix); RifDP Pays-Bas ; RifDP Belgique ; AJDHD (association pour la justice, les droits humains et le développement dans la région des Grands Lacs).
Durant cette journée, plusieurs actions, évènements, initiatives tournant autour de la mobilisation et la sensibilisation sur la promotion de l’état de droit et sur la cause des prisonniers politiques et d’opinion sont organisées dans nombreux pays à travers le monde : soirées de solidarité, manifestations, jeux, conférences débats, sensibilisation dans les medias, veillées de prière, etc. À Bruxelles comme l’année passée, une soirée gala est prévue en soutien aux prisonniers politiques et d’opinion qui croupissent dans les geôles rwandaises. En outre, une campagne de communication à portée mondiale sera organisée dans plusieurs pays un peu partout dans le monde, pour attirer l’attention sur le triste sort réservé aux prisonniers politiques et d’opinion au Rwanda. Les Rwandais de l’intérieur sont quant à eux invités à marquer cette journée par un moment de silence, et en se rendant dans les lieux de culte pour prier en ayant une pensée pour les prisonniers politiques et d’opinion.
Les organismes de défense des droits de l’Homme, notamment Amnesty International et Human Rights Watch, publient régulièrement des rapports sur les détentions arbitraires et la torture au Rwanda. La répression exercée contre les opposants politiques s’illustre par des graves cas de restrictions aux libertés d’expression et d’association, de harcèlement, d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées, voire d’assassinats. La journée Ingabire Day vise à rappeler ces faits qui, pourtant connus, ne semblent aucunement interpeller les décideurs de ce monde.
Il y a quelques jours, à l’approche de l’élection du prochain Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie à laquelle la ministre rwandaise des Affaires étrangères est candidate, quatre prisonniers politiques ou d’opinion dont les emblématiques Victoire Ingabire, Kizito Mihigo, Diane et Adeline Rwigara, ont été libérés sous de strictes conditions. Néanmoins bon nombre d’opposants au régime de Kigali restent en détention : les plus connus sont Deo Mushayidi, Président du PDP-Imanzi, Sylvain Sibomana, Secrétaire général des FDU-Inkingi ainsi que le Dr. Théoneste Niyitegeka candidat aux éléctions présidentielles de 2003. Il y a quelques jours, Boniface Twagirimana, 1er vice-Président des FDU-Inkingi, lui aussi incarceré depuis près d’un an avec 8 autres membres de ce parti et en attente de son procès, a été déclaré porté disparu par les autorités qui l’accusent d’avoir fuit la prison. Sa famille et son parti ne croient pas à cette hypothèse et craignent le pire pour Boniface Twagiramana. « C’est une personne qui était là depuis seulement cinq jours. Il est difficile de croire que cette personne ait eu le temps d’organiser une sortie et aussi dans une prison de haute sécurité, puisqu’il était dans une maison bien fermée. » a déclaré, le 2ème vice-Président des FDU-Inkingi à RFI. « L’Etat rwandais à la responsabilité de nous dire où il se trouve », dit-il en demandant « une véritable enquête pour établir les circonstances exactes de sa disparition ».
C’est dans ce contexte difficile que s’annonce la 3ème édition de l’Ingabire Day. Cette année, les organisateurs de la journée rappellent plus que jamais qu’il faut accentuer la pression sur le régime de Kigali afin qu’il libère inconditionnellement tous les prisonniers politiques et d’opinion, qui se comptent par milliers dans les nombreuses prisons officielles et officieuses que compte le Rwanda.
Jean Mitari
Jambonews.net
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[1]Filip Reyntjens, ‘Lies, Damned Lies andStatistics: PovertyReductionRwandan-Style and How theAid Community Loves It’, AfricanArguments, 2015 <http://africanarguments.org/2015/11/03/lies-damned-lies-and-statistics-poverty-reduction-rwandan-style-and-how-the-aid-community-loves-it/> [accessed 24 May 2017].
[2]An Ansomsandothers, ‘Statistics versus Livelihoods: QuestioningRwanda’sPathway out of Poverty’, Review of AfricanPoliticalEconomy, 2016 <https://doi.org/10.1080/03056244.2016.1214119>.
[3]David Himbara, Kagame’sEconomic Mirage (North Charleston, S.C: CreateSpace Independent Publishing Platform, 2016).
[4] Emmanuel Ndahayo et Aimable-André Dufatanye, La Violence Politico-Militaire Contre Les Femmes Au Rwanda. De Ndabaga à Ingabire (Lille: Editions Sources du Nil, 2015).