La Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a condamné, ce 7 décembre 2018, le gouvernement rwandaisà verser 65 230 000 francs rwandais (72 000$) à l’opposante Victoire Ingabire en guise de réparation des préjudices matériels et moraux occasionnés par ses huit années d’emprisonnement. Victoire Ingabire avait été condamnée en 2011 à 15 ans de prison pour « minimisation du génocide », pour finalement être libérée de manière anticipée en septembre dernier dans le cadre de la libération anticipée de plus de 2 000 prisonniers décidée par le général Paul Kagame, l’homme fort du Rwanda.
Saisie en 2013 par l’opposante rwandaise Victoire Ingabire après sa condamnation en appel à quinze ans de prison au Rwanda, la Cour africaine des droits de l’Homme avait reconnu en novembre 2017 que les droits fondamentaux de l’opposante rwandaise avaient été bafoués, et elle avait donné six mois au Rwanda pour rétablir Victoire Ingabire dans ses droits par une révision de son procès et en lui octroyant des réparations. Le Rwanda avait refusé de reconnaitre le verdict de la Cour dont le pays s’était retiré peu avant le début de la procédure entamée par l’opposante. Le Parlement européen avait également dénoncé à maintes reprises le non-respect des normes internationales pendant le procès et avait demandé la révision de celui-ci.
C’est le 7 décembre dernier que la CADHP a rendu son arrêt dont le compte-rendu complet a été publié sur son site internet. L’affaire en jugement portait le numéro 003/2014 et opposait la présidente du parti FDU-Inkingi VictoireIngabire à la république du Rwanda. La Cour, qui a tenu son audience à Tunis, a estimé que le Rwanda devrait verser des sommes forfaitaires à l’opposante rwandaise en réparation des préjudices matériels et moraux qu’elle, son époux et ses enfants ont subis. En effet,la Cour a estimé qu’il était plus approprié d’accorder à la requérante le remboursement des frais du traitement administratif de son dossier judiciaire et des honoraires d’avocat pour la somme forfaitaire de 10.230.000 francs rwandais.S’agissant de la demande en réparation du préjudice moral, la Cour a considéré que la requérante, son époux et ses enfants ont été affectés par la campagne de dénigrement menée contre la requérante, et qu’ils ont souffert de son arrestation et de son incarcération souvent dans les conditions qui ont été dénoncées par les défenseurs des droits humains. En réparation de ce préjudice moral, la Cour a ordonné à l’Etat rwandais de payer à Victoire Ingabire une indemnité compensatrice forfaitaire de 55.000.000 francs rwandais.
Par contre, la Cour a estimé qu’elle n’était pas en mesure d’ordonner l’apurement du casier judiciaire de l’opposante, ni d’exiger le remboursement des dépenses qu’elle a effectués en prison au cours de ses huit années en détention.
Au total, le gouvernement rwandais doit verser à Victoire Ingabire Umuhoza le somme de 65 230 000 francs rwandais (72 000$) dans un délai de six mois, faute de quoi l’Etat rwandais aura à payer également des intérêts moratoires calculés sur la base du taux fixé par la Banque centrale rwandaise. Jusqu’à présent le gouvernement rwandais n’a pas réagi à cette condamnation.
Le parti de Victoire Ingabire se dit satisfait par cet arrêt
Du côté des Forces démocratiques unifiées (FDU), le parti de l’opposante, on affiche une certaine satisfaction. Pour Fidèle Kabera, le secrétaire général adjoint du parti, cette décision prouve que Victoire Ingabire a été victime d’un acharnement politique. « Pour nous, c’est une bonne nouvelle. Parce que le Rwanda doit finalement être conscient que la communauté internationale voit bien que le procès de notre présidente était un procès politique et que notre présidente n’aurait pas dû être en prison. Qu’elle aurait dû avoir le droit de représenter notre parti et de contribuer au bien-être de notre pays » a- t-il confié à la RFI.
« La somme, ce n’est pas vraiment ce qui nous importe le plus. Ce qui nous importe le plus c’est le symbole même. Le fait que l’Etat rwandais soit condamné et qu’on demande à l’Etat rwandais d’indemniser notre présidente. C’est ce symbole même, c’est ça la victoire pour nous : qu’ils sachent qu’elle était dans ses droits de faire de la politique au Rwanda.»
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est une Cour continentale mise en place par les pays africains pour assurer la protection des droits de l’Homme et des peuples en Afrique. La Cour a compétence pour connaitre de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’Homme et ratifié par les Etats concernés.
Rentrée au Rwanda en janvier 2010 pour se présenter aux élections présidentielles après une quinzaine d’années passées en exil aux Pays-Bas, celle que ses partisans surnomment la « Mandela rwandaise» avait été condamnée pour « minimisation du génocide de 1994 et propagation de rumeurs dans l’intention d’inciter le public à la violence », accusation que l’opposante a toujours niée, accusant le régime connu pour ses dérives autoritaires d’utiliser l’appareil judiciaire pour tenter de l’écarter du jeu politique. Elle a été libérée le 15 septembre dernier en même temps que deux mille autres prisonniers dont le célèbre chanteur Kizito Mihigo, qui était lui aussi emprisonné pour des motifs politiques.
Jean Mitari
Jambonews.net
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