Le 10 août dernier, un événement à l’apparences anodin se déroulait à l’aéroport international de Kigali. Une Belge du nom de Marie-Rose Nkezabera était arrêtée à Kigali. Nkezabera, d’origine rwandaise, avait été arrêtée à sa sortie d’avion par le service de l’immigration à l’aéroport de Kigali. La raison invoquée, sa présence sur des listings d’opposants politiques vivant à l’étranger. Elle avait pourtant été rapidement libérée. Retour sur cet épisode étrange passé inaperçu.
Une opposante farouche
Marie-Rose Nkezabera habite depuis de nombreuses années en Belgique, où elle est arrivée en tant que réfugiée en provenance du Rwanda dans les années 1990. Elle a depuis acquis la nationalité belge. Nkezabera a pendant très longtemps été très active au sein de plusieurs associations et organisations se battant pour le changement, la démocratie et le respect des droits de l’Homme au Rwanda.
Marie-Rose Nkezabera est notamment connue pour avoir été présente à l’époque de la création de la branche belge du Réseau international des femmes pour la Démocratie et la Paix (RifDP). Cette association dont la figure de proue est Victoire Ingabire a été mise en place par des femmes déterminées à promouvoir la démocratie et la paix en Afrique et plus particulièrement dans la Région des Grands Lacs. « Sans donner d’explication, elle a cessé toute activité au sein l’association il y a près de 5 ans » nous a confié une amie de Marie-Rose.
Elle fut également pendant plusieurs années un membre très actif des Forces Démocratiques Unifiées (FDU-Inkingi) et était très proche de Victoire Ingabire, qu’elle accompagnait régulièrement lors de ses déplacements dans le cadre politique lorsque Ingabire se déplaçait en Belgique.
La scission
En 2012, elle prit ses premières distances avec la politique. Elle décida de quitter les FDU-Inkingi à la suite de la scission politique survenue en 2012, au cours de laquelle plusieurs personnalités dont Eugène Ndahayo, Jean-Baptiste Mberabahezi ou encore Sixbert Musangapfura avaient décidé de faire dissension de l’aile restée fidèle à Victoire Ingabire. Plusieurs autres personnalités du parti avaient suivi et quitté les FDU-Inkingi, notamment Marie-Rose Nkezabera et son ex-compagnon, Benoit Ndagijimana.
Elle continua un temps son activité politique au sein du parti FDU-MN Inkubiri fondé par Eugène Ndahayo suite à la scission, mais elle finira également par prendre ses distances, « se montrant moins impliquée et attisant les suspicions » comme nous l’a confié l’un de ses ex-camarade de la mouvance Inkubiri.
Nkezabera s’est ainsi peu à peu éloignée de la communauté rwandaise de Belgique. « Son discours en coulisse a commencé à évoluer, se montrant moins critique et plus conciliante avec le pouvoir en place au Rwanda » d’après l’amie de Marie-Rose. Elle a alors effectué son premier voyage au Rwanda en 2015, officiellement pour un enterrement. « Elle est devenue très discrète sur ses relations et ses voyages au Rwanda. Elle semblait cacher des choses, même aux membres de sa famille, » ajoute encore l’amie. « Elle nous a avoué un jour qu’elle devait régulièrement retourner au Rwanda afin de régulariser la situation des biens immobiliers et des terrains qui lui appartenaient au Rwanda, sans quoi elle risquait de les perdre. Mais nous n’en savions pas beaucoup plus. »
Arrestation à Kigali
Récemment, un individu proche des services de l’ambassade du Rwanda en Belgique qui a préféré garder l’anonymat a informé Jambonews que Marie-Rose Nkezabera aurait été arrêté en aout 2018 à son arrivée à l’aéroport de Kigali. Un récit que Jambonews a pu vérifier en recoupant plusieurs informations. Voici les faits.
Le 10 août 2018, à l’arrivée à l’aéroport international de Kigali du vol Rwandair en provenance de Bruxelles, Marie-Rose débarquait donc en habituée au pays des mille collines. Mais, surprise, elle est mise aux arrêts dès son arrivée au service de l’immigration de l’aéroport. Une source proche de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles nous confie que « Cette arrestation était en fait due à des listings d’opposants vivant à l’étranger qui ne sont pas à jour et sur lesquels son nom se trouvait encore pour ses activités passées aux seins des FDU-Inkingi et du RifDP. »
En effet, les services rwandais de l’immigration tiennent des bases de données contenant des informations sur les personnes impliquées dans des mouvements d’opposition ou proches des personnalités de l’opposition à l’extérieur du Rwanda. Ces listings sont tenus conjointement d’un côté par les services des Affaires étrangères par l’intermédiaire des agents de renseignements reliés aux ambassades et de l’autre côté par les services de renseignements, la très puissante Defense Intelligence Department (DID, ex-DMI) et la National Intelligence and Security Service (NISS).
L’ambassade du Rwanda à Bruxelles intervient en faveur de Nkezabera
Aussi étonnant que cela puisse paraître, lorsque les services de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles sont informés de l’arrestation de Marie-Rose Nkezabera, ils réagissent immédiatement. Le plus surprenant est que l’ambassade réagit en sa faveur. « Les autorités les plus hautes de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles en charge des questions liées aux renseignements ont en effet contacté les services de l’immigration et du renseignement à Kigali afin de demander qu’elle soit relâchée » nous a confié notre source. Pour sa défense, « elles ont argué que Nkezabera n’était plus membre de l’opposition en Belgique et qu’au contraire, elle travaillait désormais aux cotés des services de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles pour faire du renseignement. » Elle finira par être relâché et par ressortir blanchie de cette histoire mais « consigne lui a été donné de ne jamais conter cet épisode à personne ».
Nkezabera, informatrice pour l’ambassade ?
D’après nos informations, depuis quelques années, Marie-Rose Nkezabera a été petit à petit approchée par les services de l’ambassade du Rwanda en Belgique. En plus de la séduire en lui faisant miroiter la récupération de ses biens fonciers, ils ont profité de sa déception suite à la scission au sein des FDU-Inkingi.
Les services de renseignement de l’ambassade disposent d’un important réseau d’informateurs au sein de la communauté rwandaise en exil. Ainsi, un membre de ce réseau nous confie : « Puisqu’une partie des Rwandais ne viennent pas aux événements organisés par l’ambassade ou les services officiels de la diaspora, il est alors nécessaire de se renseigner sur eux et de les connaitre autrement. » Le moyen pour les connaitre n’est autre que de débaucher et utiliser des membres lambdas de la communauté, originellement de bonne réputation et supposément contre le pouvoir de Kigali, qui sont alors mis à profit pour faire remonter toute information intéressante à la cellule de renseignements rattachée à l’ambassade. Ces renseignements sont alors rémunérés, quelques centaines d’euros le plus souvent, et pour certains, comme Marie-Rose Nkezabera, des avantages en nature sont parfois accordés directement au Rwanda. Les services de renseignement rwandais ciblent les personnes qui connaissent des difficultés financières, professionnelles ou d’ordre sentimental, « ce sont
généralement les plus vulnérables, c’est d’ailleurs le genre d’informations qu’ils aiment avoir pour anticiper là dessus », nous a confié notre source au sein de ce réseau. « Tout est quadrillé, rien n’est laissé au hasard, toute information sur un membre de la communauté et ses activités, même s’il n’est pas une menace, est bonne à prendre. Et ça, ne s’arrête d’ailleurs pas qu’aux Rwandais… même les personnalités qui peuvent impacter les dossiers relatifs au Rwanda sont suivis», conclue notre informateur.
Toujours selon l’amie de Mari-Rose, celle-ci « jouissait d’une très bonne réputation, elle était très active et très respectée ». En effet, Marie-Rose est restée très proche de plusieurs personnalités de l’opposition politique au régime rwandais en Belgique. Pour cette amie, « elle continuait à se tenir informée très régulièrement. Même si elle ne participait plus aux événements, elle restait à l’affut de toute les informations intéressantes, elle n’en manquait pas une. Elle se montrait parfois très insistante pour avoir des informations qui paraissaient parfois anodines. C’est ce qui a attiré mon attention et m’a poussée à enquêter. C’est triste d’apprendre qu’elle profitait de la naïveté de certains membres de son entourage pour leur soutirer des informations. »
Nous avons tenté de joindre madame Marie-Rose Nkezabera pour lui proposer de réagir mais elle n’a pas souhaité donner suite à nos demandes.
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