Contribution externe: Article d’opinion soumis pour publication par Rudatinya Mbonyumutwa
Tous les génocides sont confrontés à leur négation.
Celui commis contre les Hutus du Rwanda par le FPR (Front Patriotique Rwandais) de Paul Kagame pendant plus d’une décennie à partir du début de l’année 1991 n’échappe pas à la règle.
Or la négation d’un crime avéré n’est pas seulement un acte de solidarité avec l’auteur mais un acte de complicité qui contribue à parachever ce crime.
Le génocide perpétré contre les Hutus a des caractéristiques communes à tous les génocides mais il a aussi ses caractéristiques propres.
Il en est de même de sa négation qui a des points communs avec celle des autres génocides mais qui connaît des particularités inédites.
Un génocide caractérisé par son impunité
Comme tous les génocides, il remplit la caractéristique principale d’être le crime des crimes, c’est-à-dire celui qui a consisté à supprimer l’autre pour ce qu’il est.
Mais parmi ses caractéristiques propres les plus effrayantes, il y a d’abord l’impunité totale de ses auteurs.
Ils ont accédé au pouvoir au Rwanda il y a 25 ans et leurs crimes semblent passer inaperçus aux yeux des autres nations, ce qui est impossible à comprendre.
Il apparaît, de manière flagrante aujourd’hui, que ce génocide contre les Hutus a été le passage presque obligé de la plus grande entreprise criminelle de néo-colonisation de l’Afrique à la fin du 20èmesiècle.
La guerre menée par le FPR contre la République rwandaise à partir du 1eroctobre 1990 avait certes un objectif politique interne de revanche sur la révolution rwandaise de 1959 qui a émancipé la population majoritairement hutue.
Mais elle avait aussi un objectif international d’extension de l’influence anglo-saxonne et de pillage des ressources minières de l’Est de la République Démocratique du Congo au profit de multinationales occidentales.
Les ouvrages précis se sont multipliés ces dernières années sur le sujet et la seule consolation actuelle des victimes, en attendant que justice leur soit rendue, est de commencer à comprendre ce qu’il s’est réellement passé.
Il s’agit de l’alliance entre ces multinationales et la frange rwandaise de l’armée ougandaise de l’époque, les premières ayant offert leur soutien financier, politique et médiatique à la seconde qui a fait le travail sur le terrain pour leur offrir l’accès incontrôlé à ces ressources minières cruciales pour les nouvelles technologies.
A y réfléchir, il est évident que la prise du pouvoir militaire total au Rwanda par le FPR et l’invasion de l’Ex-Zaïre, aujourd’hui République Démocratique du Congo, ne pouvaient se faire que moyennant l’extermination d’une partie de la population hutue, majoritaire à 85 % au Rwanda, si l’objectif était d’y installer un pouvoir militaire issu de la minorité tutsie.
Mais la grille de lecture communautaire ou « ethnique » de ce conflit s’arrête là.
C’est-à-dire que le FPR est un mouvement politique et militaire issu de la minorité Tutsi qui a chassé du Rwanda un pouvoir en place issu de la majorité Hutu, grâce à l’armée de l’Ouganda voisin et le soutien de parrains occidentaux.
Mais il ne s’agit absolument pas de massacres inter-ethniques, comme ce que l’on a parfois pu lire, ou d’un conflit entre Hutus et Tutsis pris dans leur ensemble.
L’immense majorité des Hutus et des Tutsis n’a fait qu’être victime de cette guerre et surtout des crimes commis par les organisations politiques et militaires qui étaient impliquées dans le conflit, dont le FPR de Paul Kagame.
L’impunité est donc la première caractéristique de ce génocide qui est la conséquence d’un deal néocolonial réalisé sur place par une Armée Patriotique Rwandaise dont plus de la moitié des officiers supérieurs avaient moins de 25 ans en 1994 et dont les victimes sont aujourd’hui estimées à +/- 2,5 millions d’âmes.
L’impunité est telle qu’il subsiste une forme d’omerta lorsqu’il s’agit de nommer publiquement les auteurs de ce génocide.
L’impunité est la pire chose qui peut suivre un crime de telle nature.
L’impunité facilite en effet la négation et terrorise absolument les victimes tout en confortant l’auteur dans l’idée qu’il a agi comme il devait agir, surtout s’il a pris le pouvoir par le biais d’un tel crime.
Un génocide largement documenté
La deuxième caractéristique de ce génocide est précisément la documentation qui existe à son sujet et qui contraste avec son impunité.
Certes, tous les génocides sont documentés et il est impossible d’imaginer un crime de génocide parfait qui n’aurait laissé aucune trace et qui n’aurait connu aucun témoin mais dans le cas du génocide commis contre les Hutus, la documentation qui existe est particulièrement parlante.
S’agissant chronologiquement du dernier génocide en date dans l’histoire de l’humanité, il a pratiquement été filmé et photographié en direct par satellite.
Quelques rares images sont tombées aux mains du public et ont inspiré des films édifiants comme « Tears of the Sun / Les larmes du Soleil» du réalisateur Antoine Fuqua, sorti en 2003 avec le célèbre acteur Bruce Willis.
Mais il a surtout fait l’objet de rapports onusiens dressés par des observateurs neutres dans le cadre de leurs missions officielles au service des Nations Unies.
Le rapport Mapping publié en août 2010 par le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations-Unies est le document de référence en l’espèce (https://www.ohchr.org/documents/countries/cd/drc_mapping_report_final_fr.pdf) et n’est pas l’œuvre de n’importe qui puisqu’il s’agit de l’équipe de Madame Navanathem Pillay (ancienne présidente du TPIR – Tribunal Pénal International pour le Rwanda) et de Madame Louise Arbour (ancienne procureur du TPIR).
A la page 589 du rapport Mapping, paragraphe 514, on peut notamment y lire ce qui suit et qui ne laisse aucun doute sur la nature du crime :
« Au moment des incidents couverts par le présent rapport, la population hutu du Zaire, y compris les réfugiés venus du Rwanda, constituait un groupe ethnique au sens de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Par ailleurs, comme il a été démontré précédemment, l’intention de détruire un groupe en partie est suffisante pour être qualifiée de crime de génocide. (…) On peut donc affirmer que, même si seulement une partie du groupe ethnique hutu présent au Zaïre a été ciblée et détruite, cela pourrait néanmoins constituer un crime de génocide si telle était l’intention des auteurs. Finalement, plusieurs incidents répertoriés semblent également confirmer que les multiples attaques visaient les membres du groupe ethnique hutu comme tel. (…). »
Les passages en gras, sont en gras dans le texte cité.
Mais il existe plusieurs autres rapports et notamment deux autres rapports précédents qu’il est impossible de passer sous silence.
Il s’agit de ceux de Monsieur Robert Gersony du 19 octobre 1994 et de Monsieur Roberto Garreton du 2 avril 1997.
Le rapport Gersony a spécifiquement documenté le génocide commis contre les Hutus sur le territoire du Rwanda pendant et après la conquête militaire du FPR, alors même que la mission de son auteur était d’enquêter sur les crimes commis sur le territoire du Rwanda à partir du mois d’avril 1994, avec la présomption que tous les crimes avaient été commis par les milices Interahamwe.
Ce rapport est donc particulièrement important car il résulte d’une enquête neutre réalisée sur le terrain entre août et septembre 1994, auprès de dizaines de site de massacres au Rwanda, en recueillant à chaud la parole des survivants qui ont désigné le FPR comme ayant été de loin l’auteur des tueries les plus importantes.
Le rapport Gersony n’est certainement pas étranger au libellé neutre et général de la résolution 955 du Conseil de Sécurité de l’ONU, prise le 8 novembre 1994 et portant création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
Cette résolution a en effet créé un Tribunal International pour punir les crimes commis au Rwanda et sur les territoires voisins entre le 1erjanvier 1994 et le 31 décembre 1994 sans aucune précision quant à l’auteur éventuel de ces crimes et sans aucune précision quant aux victimes éventuelles.
Elle laissait donc la possibilité de poursuivre et de punir tous les crimes de droit pénal international commis par tous les auteurs contre toutes les victimes, c’est-à-dire à la fois ceux commis par les Interahamwe et ceux commis par le FPR.
Ce n’est que pour des raisons politiques que le Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda a choisi de ne pas poursuivre les crimes commis par le FPR, ce qui a finalement favorisé et même garanti cette impunité depuis 25 ans.
En vertu du principe de la compétence universelle lorsqu’il s’agit de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide, les justices de deux pays ont quand même tenté de mettre fin à cette impunité.
C’est ainsi que le juge espagnol Fernando Andreu Merelles, après avoir reçu des plaintes des familles de victimes, a enquêté sur ces crimes et délivré en février 2008 des mandats d’arrêts contres 40 hauts responsables du FPR pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
La France a également lancé une enquête indirecte sur ces crimes dans le cadre de l’enquête concernant l’attentat terroriste qui a coûté la vie à l’équipage français qui transportait le Président Juvénal Habyarimana et d’autres hautes personnalités, dont son homologue burundais Cyprien Ntaryamira.
Mais ces enquêtes n’ont abouti à aucun procès jusqu’à ce jour et semblent avoir été entravées par des intérêts géostratégiques et politiques.
Un génocide raconté librement par ses exécutants
Ensuite, et c’est assez singulier comme documentation pour le souligner, il s’agit d’un génocide qui a été raconté par écrit, par certains de ses exécutants et notamment par deux ouvrages de soldats du FPR qui ont donné des dates, des lieux et des précisions d’une valeur inestimable pour les victimes.
De mémoire d’homme, jamais les exécutants d’un génocide ne s’étaient repentis au point d’en témoigner librement et sans contrainte, par écrit dans des ouvrages de référence tel que c’est le cas au Rwanda, notamment dans le livre d’Abdul Ruzibiza (Rwanda : l’histoire secrète) ou dans celui du journaliste Jacques Pauw (Rat Roads), ce dernier ne faisant que retranscrire les propos recueillis directement auprès d’un ancien militaire du FPR qui s’est confié sur ses crimes.
C’est important de souligner ici le fait que ces exécutants en ont témoigné librement car il est évidemment plus douteux de faire parler des exécutants ou de prétendus exécutants s’ils sont en prison ou sous contrainte.
Avec toute cette documentation qui retrace une planification et une exécution méthodique et organisée, la justice que réclament les victimes à cor et à cri serait bien plus aisée à rendre que ce qui a déjà été vu devant les Tribunaux pénaux internationaux ou la Cour pénale internationale pour d’autres crimes.
En plus, les auteurs de ce génocide appartenaient à une armée structurée qui se disait elle-même disciplinée de sorte qu’il n’y aurait aucun mal à identifier ceux qui l’ont commis, même si l’idée ne serait probablement pas de poursuivre les petits exécutants dont certains étaient des enfants soldats.
En termes d’organisation, de nombreux réfugiés ayant échappé au génocide commis contre les Hutus racontent qu’ils ont été alertés par des soldats du FPR en première ligne qui leur disaient de fuir parce qu’il y avait derrière eux d’autres soldats chargés d’éliminer la population civile.
Il y a encore, en Europe d’ailleurs, de nombreux anciens soldats du FPR qui racontent le travail qu’ils ont dû faire et qui précisent par exemple qu’il a fallu dans certains cas avoir recours à des bulldozers venus d’Ouganda pour ensevelir leurs victimes dans des fosses communes au Rwanda.
L’un d’entre eux disait avoir déjà eu le doigt gonflé pour avoir appuyé toute une journée sur la gâchette de sa Kalachnikov en abattant des civils Hutus désarmés dans l’ancienne préfecture de Byumba au Nord du Rwanda.
Les auteurs ont à ce point été peu inquiétés que le Net a vu fleurir dernièrement des reportages à leur gloire dans lesquels ils se vantent ouvertement et avec arrogance des crimes qu’ils ont commis, le dernier de ces reportages qui leur rend hommage étant tout simplement intitulé « Inkotanyi » et diffusé au Cinéma.
Un génocide d’une durée insupportable
La troisième caractéristique est sa longue durée.
L’histoire récente, c’est-à-dire celle du 20èmesiècle, n’a pas connu de génocide d’une durée aussi longue.
Le rapport mapping, cité précédemment, examine la période entre 1993 et 2003, soit 10 longues années suffisantes pour exterminer une partie de la population hutue du Rwanda et bien sûr une partie de leurs frères congolais victimes des richesses minières de leurs pays.
Mais il est certain que ce génocide a commencé bien avant 1993, au Nord du Rwanda et qu’il est impossible de savoir à quel moment précis on peut considérer qu’il a pris fin puisqu’aucun évènement politique ou militaire n’est venu l’arrêter.
Un génocide efficace
La quatrième caractéristique, parmi d’autres qu’on ne pourra pas aborder ici dans leur ensemble, est l’efficacité de ce génocide qui compte pourtant le plus grand nombre de survivants directs d’un génocide à l’heure actuelle sur terre.
En effet, ce génocide a été efficace puisqu’il a permis d’atteindre rapidement le but visé par cette entreprise criminelle néocoloniale.
Les Hutus qui étaient près de 6 millions au Rwanda au début de l’année 1994 et qui vivaient dans leur pays en occupant tous les secteurs publics et privés n’ont pas seulement été intégralement chassés de ces secteurs, ils ne sont plus là.
Beaucoup sont en exil, nombre d’entre eux ont été emprisonnés mais leur disparition est due essentiellement à leur extermination systématique pour ne laisser place qu’à une nouvelle génération meurtrie.
Ce génocide s’est donc avéré efficace sur cet aspect-là et il n’est pas étonnant que l’impunité actuelle ne fasse que rassurer les auteurs quant au bien-fondé de la solution qu’ils ont trouvée et qu’ils sont naturellement déterminés à remettre en œuvre si les circonstances le justifient à l’avenir.
Un génocide confronté à un négationnisme insidieux
Quant à sa négation, elle connaît évidemment les mêmes mécanismes que la négation de tous les autres génocides.
Personne n’ose nier les faits, c’est-à-dire l’extermination systématique d’une partie de la population Hutue au Rwanda et sur le territoire de la République du Congo par le FPR, hommes, femmes et enfants indistinctement.
Ce génocide échappe donc à la forme primaire du négationnisme, celle qui consiste juste à nier les faits et à affirmer que cela n’est pas arrivé.
Mais les autres formes de négationnisme auxquelles il est confronté ne sont pas moins pernicieuses ou moins dangereuses.
La minimisation du nombre de victimes
La première d’entre elles est la minimisation du nombre de victimes qui est commune à la négation de tous les génocides.
Combien de fois n’a-t-on pas lu et entendu par exemple que le nombre de Hutus victimes ne dépasserait pas 500 000… ?
Comme si cela n’aurait d’ailleurs pas été assez.
Il suffit de prendre le cas des camps de l’Est de la République Démocratique du Congo dont les réfugiés avaient été minutieusement comptés par les organisations humanitaires qui sont venues à leur secours en juillet 1994.
Ces camps comptaient près de 2 800 000 réfugiés en octobre 1996, à la veille de l’attaque et de la destruction de ces camps par les troupes du FPR.
En mai 1997, le gouvernement du FPR à Kigali se targuait d’avoir rapatrié 500 000 réfugiés de force au Rwanda tandis que les autres s’étaient dispersés dans les forêts de la République Démocratique du Congo, entre la frontière du Rwanda à l’Est et celle du Congo Brazzaville à l’Ouest.
Le nombre de réfugiés survivants dénombrés par le HCR au Congo au début de l’année 1998 et dans les années qui ont suivi fut évalué à 400 000.
C’est ce chiffre qui est encore avancé aujourd’hui et qui permet d’évaluer les victimes rwandaises du FPR sur le seul territoire du Congo, entre 1996 et 1997 mais aussi dans les années qui ont suivi, à +/- 1,5 millions de morts, si l’on tient compte des quelques survivants qui ont pu rejoindre les pays limitrophes.
La dénaturation du crime
Vient ensuite la dénaturation du crime dont les Hutus ont été victimes qui est aujourd’hui la forme la plus virulente de sa négation.
Le crime de génocide étant le crime le plus grave du droit international humanitaire, sa dénaturation ne va jamais que dans le sens d’en atténuer la gravité.
C’est ainsi que le génocide dont les Hutus ont été victimes de la part du FPR a par exemple souvent été qualifié d’exactions ou est systématiquement banalisé comme étant des massacres sélectifs ou des massacres à grande échelle.
Aujourd’hui, l’évidence des faits amène certains à accepter quand même de le qualifier de crime contre l’humanité sans néanmoins utiliser le terme de génocide.
Il paraît pourtant essentiel de qualifier le crime comme il se doit sans le dénaturer et de le qualifier correctement en nommant les victimes, s’agissant d’un génocide.
C’est ainsi que des expressions génériques comme « génocide rwandais », « tragédie rwandaise », « drame rwandais » peuvent à juste titre être considérées comme inadéquates à l’égard de la spécificité du génocide commis contre les Hutus ou du génocide commis contre les Tutsis.
Si ce crime a été commis dans un cadre général caractérisé par la commission d’autres crimes graves de droit international, il n’est pas correct de le noyer dans une appellation générique qui ne fait que semer la confusion.
C’est-à-dire que si le constat factuel et juridique est qu’il y a eu deux génocides au Rwanda, un génocide commis contre les Hutus par le FPR entre 1991 et 2003 mais aussi un génocide commis contre les Tutsis par les miliciens Interahamwe au sens large entre avril et juillet 1994, le fait de désigner le tout comme étant un « génocide rwandais » revient finalement à nier les deux génocides.
La diabolisation des victimes
La diabolisation des victimes est certainement la forme la plus abjecte de la négation du crime de génocide et est souvent liée à la dénaturation du crime.
Dès 1994, une presse de mauvais aloi, sans doute à la solde de ceux qui ont perpétré ce génocide, a entrepris de diaboliser les Hutus d’une manière générale en leur donnant pernicieusement une image antipathique auprès du public.
Le paroxysme a été atteint en 1996 lorsqu’une journaliste écrivait par exemple, pendant que le FPR détruisait à l’arme lourde les camps de réfugiés Hutus à l’Est du Congo et exterminait hommes, femmes et enfants sous les yeux indulgents du monde entier, qu’il fallait finalement se demander si ces enfants n’étaient de toute façon pas de futurs génocidaires qui auraient hérité de l’idéologie de leurs parents.
Il était en effet acquis, pour cette journaliste, que les Hutus dans leur ensemble étaient en effet des génocidaires et que seuls les Hutus modérés, morts ou restés au Rwanda, échappaient à cette idéologie génocidaire transmise aux enfants.
Cette expression de « Hutus modérés » participait d’ailleurs de cette campagne de diabolisation puisqu’elle visait à introduire de manière subliminale l’idée que les Hutus auraient été mauvais par essence mais qu’il y en avait des modérés.
Si l’on sait que l’on ne peut être modéré ou pas que dans ses opinions mais certainement pas dans ce que l’on est, il est aisé de comprendre le but de ceux qui ont inventé cette expression et qui tentent encore de la pérenniser.
Cette manière de diaboliser ceux qu’on veut exterminer pour ce qu’ils sont, en attribuant globalement des crimes à leur groupe national ou ethnique, comme ceux qu’on accusait d’avoir tué Jésus-Christ, est connue depuis la nuit des temps et fait parfois et même toujours mouche dans l’esprit de certains publics.
Une fois les victimes diabolisées, les crimes commis contre elles deviennent alors excusables, voir justifiables mais perdent en tout cas leur gravité pour devenir des représailles ou de la vengeance, si quelqu’un s’y intéresse encore.
L’exemple le plus terrible en ce qui concerne le Rwanda concerne les prisons mouroirs du Rwanda et les fameuses juridictions gacaca dont la fonction était avant tout de purger le pays des hommes Hutus, en commençant par ceux qui étaient instruits, mais qui furent présentées comme étant destinées à punir les auteurs du génocide commis contre les Tutsis alors que cela était accessoire.
Dans le prolongement des gacaca, la dernière trouvaille du gouvernement du FPR à Kigali est ce programme intitulé « Ndi umunyarwanda » (Je suis Rwandais), destiné aux jeunes Hutus appelés massivement à demander pardon pour les prétendus crimes commis par leurs parents puisqu’ils ne peuvent matériellement plus être poursuivis pour avoir commis un génocide avant leur naissance.
Le gouvernement du FPR tente aujourd’hui d’expliquer qu’il serait en train de lutter contre une idéologie génocidaire qui aurait été transmise aux enfants Hutus, c’est-à-dire ceux qui dénoncent le génocide commis par le FPR.
Les victimes sont donc diabolisées comme étant des criminels dans une logique totalement pernicieuse qui consiste à vouloir occulter la réalité du génocide commis contre les Hutus en brandissant systématiquement la lutte contre la négation du génocide commis contre les Tutsis.
La mise en concurrence avec un autre génocide
Ceci nous amène à une autre forme de négationnisme qui n’est pas non plus l’apanage du génocide commis contre les Hutus.
Il s’agit de celle qui consiste à nier le crime en invoquant l’existence d’un autre crime concomitant ou antérieur qui viendrait presque justifier ce génocide.
Nous avons tous déjà entendu l’expression de contre-génocide que certains avaient voulu consacrer pour qualifier le génocide commis contre les Hutus, après celui commis contre les Tutsis, dans une démarche de quasi absolution pour le FPR auteur du génocide contre les Hutus.
C’est encore ce qui défraie la chronique ces derniers temps puisque de nombreuses personnes peinent encore à reconnaître l’existence d’un génocide commis contre les Hutus pour le seul motif qu’il y aurait eu un génocide commis contre les Tutsis au Rwanda au même moment.
Pire, certains jeunes rwandais innocents arborent fièrement des tee-shirts ouvertement négationnistes contre le génocide des Hutus sur lesquels on peut lire qu’il n’y a eu qu’un seul génocide au Rwanda, celui commis contre les Tutsis, sous-entendant par-là qu’il n’y a pas eu de génocide perpétré contre les Hutus.
C’est une erreur fondamentale de jugement de nier le crime de génocide commis contre un autre groupe au motif que son groupe aurait aussi été victime d’un génocide, comme s’il s’agissait de revendiquer une forme d’exclusivité macabre.
En effet, le génocide commis contre les Hutus est un crime distinct de celui qui a été commis contre les Tutsis et l’un ne justifie pas l’autre ni ne l’occulte.
L’un, celui commis contre les Tutsis, a été commis par ceux qu’on a globalement qualifiés d’Interahamwe au sens large pendant une période allant d’avril à juillet 1994 dans la zone officiellement sous contrôle du gouvernement intérimaire.
L’autre, celui commis contre les Hutus, l’a été sur une plus longue période, c’est-à-dire à partir de la fin janvier 1991 jusqu’au moins en 2003.
Il a également été perpétré sur un territoire plus grand, en l’occurrence une région allant de tout le territoire du Rwanda, selon l’époque, puis sur une bande s’étendant du Nord-Est au Nord-Ouest de la République Démocratique du Congo.
Et la transition est ainsi toute trouvée vers une autre forme de négationnisme particulière au génocide commis contre les Hutus et sans doute la plus incongrue.
La négation en miroir
En effet, la campagne de négation du génocide commis contre les Hutus, dont on voit qu’elle émane de ceux qui l’ont commis, c’est-à-dire les officiers du FPR encore au pouvoir à Kigali, consiste essentiellement à museler toutes les personnes qui se battent pour la reconnaissance du génocide commis contre les Hutus et pour la justice envers ses victimes, en accusant ces personnes d’être des négationnistes du génocide commis contre les Tutsis.
Ceux qui se battent pour que le génocide commis contre les Hutus soit reconnu et que ses auteurs soient punis sont gratuitement taxés de « négationnistes » parce que « partisans de la thèse du double génocide ».
Or, en toute logique, ce n’est pas celui qui clame l’existence d’un deuxième génocide qui est susceptible de négationnisme mais celui qui nie ouvertement et impunément l’un d’entre eux sans aucun argument factuel ou juridique.
Le génocide commis contre les Hutus n’est pas le fruit d’une thèse ou l’œuvre de partisans mais une réalité affreuse dont l’horreur suprême est de continuer à terroriser ses victimes plutôt qu’à leur rendre justice.
Cette campagne est de toute évidence absurde et illogique mais elle est pourtant relayée par des milieux intellectuels et politiques en Europe, même s’il ne s’agit pour le moment que de personnalités de second plan.
Bref, se livrer ouvertement à du négationnisme en accusant l’autre, celui qu’on nie, de négationnisme, est le comble du monde à l’envers.
Tout ce qui précède ne signifie pas qu’il n’y ait aucune place pour la discussion ou même la négation légitime et qu’il faille accepter le génocide commis contre les Hutus comme un dogme indiscutable et indéniable.
Chacun est en effet libre de nous démontrer en quoi les deux éléments constitutifs du crime de génocide contre les Hutus ne seraient pas remplis.
En effet, tout crime, quel qu’il soit, nécessite toujours un élément moral et un élément matériel, c’est-à-dire une intention dans le chef de son auteur et des actes.
Pour le crime de génocide, notamment contre un groupe national ou ethnique, l’intention exigée par l’article 2 de la Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide du 9 décembre 1948 est celle de détruire en tout ou en partie ce groupe, or cette intention n’est pas contestable en l’espèce.
Elle résulte des faits et des aveux mêmes de ceux qui l’ont commis, sauf qu’ils pensent à tort qu’ils n’ont pas commis de génocide parce qu’ils ne voulaient pas exterminer tous les Hutus mais seulement une partie d’entre eux.
Et les actes exigés sont énumérés au même article et consistent, entre autres, soit dans le meurtre de membres de ce groupe, soit dans l’atteinte grave à son intégrité physique ou dans la soumission intentionnelle de ce groupe à des conditions de vie devant entraîner sa destruction totale ou partielle.
Ces actes sont établis en l’espèce et c’est seulement pour cette raison-là qu’on peut affirmer qu’il y a eu un génocide contre les Hutus du Rwanda.
La démonstration contraire n’étant pas possible de toute évidence, la propagande et l’intimidation des victimes ont pris le relais, au point que la plus grande particularité de la négation de ce génocide commis contre les Hutus vient du fait qu’il est probablement le seul à être nié par les victimes elles-mêmes dont certaines refusent de qualifier de génocide ce dont elles ont été victimes.
Ce n’est ni le sommet de l’aliénation, ni l’illustration la plus aboutie du syndrome de Stockholm, c’est plutôt la conséquence de cette impunité qui pousse les survivants à nier eux-mêmes les crimes dont ils ont été victimes dans une forme de réflexe de survie destiné à amadouer des auteurs dont ils sont encore à la merci.
La négation va encore un cran plus loin lorsque certaines victimes, enrôlées aujourd’hui sous la bannière du FPR à Kigali, sont forcées d’endosser publiquement les crimes du FPR en tant qu’officiels du régime et donc d’endosser en leur propre nom les crimes dont elles ont été victimes.
Le défi actuel n’est même pas de faire reconnaître ce génocide par d’autres mais de le faire reconnaître par les Rwandais eux-mêmes, Hutus et Tutsis, en commençant par les Hutus qui en ont été victimes et qui doivent pouvoir en témoigner ouvertement sans se terrer dans la peur.
La reconnaissance conditionnée
Combien n’a-t-on pas entendu des gens de bonne foi plaider que si un tribunal devait qualifier de génocide les crimes qui ont été commis contre les Hutus, il faudrait alors l’accepter et se rendre à l’évidence.
C’est cependant un non-sens car l’existence et la qualification d’un crime ne dépendent pas d’une reconnaissance judiciaire.
Au contraire, le fait qu’aucun Tribunal n’ait jamais poursuivi ces crimes est une honte pour l’humanité toute entière.
Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA
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L’auteur est rwandais, né en 1975. Il est témoin direct de l’histoire récente de son pays à laquelle il s’intéresse depuis son plus jeune âge. Il était au Rwanda le 6 avril 1994 et pendant les semaines qui ont suivi. Il tient à préciser que ce texte est le fruit de plus de 23 ans de réflexion et de recul pendant lesquels il a assisté à de très nombreuses conférences et s’est entretenu avec de nombreuses victimes rwandaises Hutus et Tutsis. Il s’est procuré et a lu plus de 230 livres, sans compter les milliers d’articles, c’est-à-dire pratiquement tous les ouvrages principaux qui ont été publiés sur le Rwanda avant et après 1994 par les auteurs de tous bords. Il est avocat spécialisé en droit pénal qu’il a enseigné à l’Université.
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