« Rapport Mapping RDC, un instrument pour la fin de l’impunité ? » Tel était l’intitulé du séminaire qui a eu lieu ce lundi 2 décembre 2019 à l’Assemblée nationale à Paris sous le support du député français Vincent Bru. Jambonews revient sur cette demi-journée d’étude.
C’est à treize heures tapantes que les nombreux participants ont commencé à arriver à l’Assemblée nationale et aux alentours de 14h, ils étaient tous installés dans la salle Colbert, qui paraissait étroite au regard de l’affluence.
Parmi les participants, beaucoup de ressortissants congolais et rwandais dont des personnalités comme Martin Fayulu, ancien candidat à la présidence congolaise, Marie-Inaya Munza, auteure du roman Black in the city, Madeleine Mukamabano, journaliste franco-rwandaise à la RFI, Yves Muneza, premier secrétaire à l’ambassade du Rwanda en France, et Joseph Matata, défenseur rwandais des droits de l’Homme et coordinateur du Centre de Lutte Contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR).
La séance a débuté par un hommage d’abord aux 13 militaires français tués au Mali le 25 novembre dernier pour qui une cérémonie officielle avait lieu aux Invalides à quelques pas de l’Assemblée, puis à la mère du docteur Denis Mukwege dont le décès survenu ce week-end a empêché le Prix Nobel de la paix 2018 d’être présent au séminaire.
Dans son allocution d’ouverture, le professeur Jean-Pierre Massias, président de l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie (IFJD) et co-organisateur du séminaire, a entre autres insisté sur la nécessité de donner la parole aux victimes pour « raconter l’horreur de la crise » et « nommer les prédateurs », estimant que l’impunité était « dévastatrice » sur le plan moral et sociétal.
La parole a ensuite été donnée à Luc Henkinbrant, professeur de droit à l’université catholique de Bukavu pour le rapport introductif. L’élément marquant de l’introduction a été la projection des incidents extraits du Rapport Mapping qui ont leurs dates anniversaires en décembre. Les participants pouvaient lire et prendre connaissance du nombre des victimes par incident et des organisations militaires ayant commis les exactions. Au total 30 incidents ont été présentés, sur les 617 détaillés dans le rapport.
Jean-Jacques Lumumba a pris la parole et présenté le discours que le Dr Denis Mukwege avait spécialement préparé pour l’occasion. Dans son discours le prix Nobel déplorait l’absence de mémoire pour les victimes de l’hôpital de Lemera[1] plus de 20 ans après : « Aucune plaque commémorative, pas même une croix. » Il a évoqué la peur des rescapés qui composent avec leurs bourreaux aujourd’hui aux postes de commandement, « On ne construira pas la paix avec les bourreaux en uniforme qui terrorisent chaque jour les victimes ». Selon lui les criminels sont « protégés au plus haut niveau de l’Etat », et il appelle à une réforme des institutions de la République démocratique du Congo : la justice, la santé et l’armée pour assainir le système afin de protéger la population. Dans sa conclusion, il a rappelé que « depuis plus de 20 ans, la justice a été sacrifiée sur l’autel de la paix qui n’est toujours pas là ». Il espère enfin que pour la 25ème commémoration des massacres de Lemera, il y aura une plaque commémorative pour faire perdurer la mémoire des victimes et permettre l’apaisement des survivants.
Le séminaire a ensuite laissé place à deux ateliers dont les thèmes étaient ‘les moyens juridiques’ et ‘les ressources géopolitiques’.
Plusieurs sujets et pistes pour « dépoussiérer » le Rapport Mapping ont été abordés, on peut citer pêle-mêle l’imprescriptibilité des crimes répertoriés dans le Mapping Report, la nécessité de collecter les données tout en respectant la présomption d’innocence pour éviter qu’elles soient inutilisables devant la justice, les différences entre la ‘Common law’ et la justice de droit romano-germanique et laquelle des deux justices pourrait être appliquée pour les crimes répertoriés dans le rapport.
Le docteur Mukwege martèle en effet souvent que l’on ne peut pas construire la paix sans la justice, une interpellation suite à laquelle des intervenants ont fait remarquer que peut-être pour la RDC l’obstacle à la construction de la paix et à la justice transitionnelle est l’absence de cet état transitionnel de la guerre à la paix depuis plus de vingt ans.
Dans l’attente de cette justice, l’on a évoqué la nécessité que les sociétés civiles congolaise et de la région se saisissent du sujet. « A l’heure actuelle, Denis Mukwege n’est pas seul, il est porté par vous tous ici présent ; » a souligné Pierre Kabongo-Mbaya, chercheur en sociologie et professeur d’anthropologie à l’Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa de Rabat (Maroc).
L’ensemble des intervenants était d’accord sur le fait que la fatalité n’est pas admise et a plutôt mis en avant les différentes pistes de solutions pour rendre justice aux victimes. La place de la mémoire pour les victimes n’a pas été oubliée, plusieurs pistes ont été évoquées, dont la possibilité et la nécessité de commencer le travail de mémoire en mettant en place des mémoriaux numériques par exemple. Sur le sujet d’éventuelles réparations pour les survivants, les Etats, notamment ceux qui sont parties prenantes dans la crise en RDC, pourraient contribuer financièrement même si la première responsabilité revient à l’Etat congolais. La communauté internationale n’a pas été laissée de côté, notamment le Conseil de sécurité de l’ONU qui pourrait participer en facilitant la mise en place des moyens pour une justice internationale ou au travers de chambres mixtes[2].
En conclusion, Pierre Morel, ancien ambassadeur de France en Chine et en Russie notamment et directeur de l’Observatoire Pharos, co-organisateur du séminaire avec l’IFJD, a souligné le paradoxe actuel : « On veut sortir du déni tout en restant dans le silence, dans la complaisance. »
Jean-Pierre Massias a rappelé comme dans son introduction que le séminaire était une séance inaugurale, une première étape pour poser le problème. Le Mapping Report est l’un des rapports les plus documentés avec une méthodologie dans les règles de l’art, dès lors pourquoi ce blocage, pourquoi serait-il difficile de lutter contre l’impunité ? Il a invité toute personne intéressée par ce sujet à contribuer au projet de sortir le Mapping Report des tiroirs de l’ONU et de lui ôter cette poussière d’injustice et d’impunité ; et à contacter l’IFJD pour proposer les idées.
La boite à idées est ouverte.
[1] https://www.jambonews.net/actualites/20181211-rdc-denis-mukwege-prenons-notre-destin-en-mains/
[2] C’est une juridiction composée à la fois des juges nationaux et internationaux, à la place d’un Tribunal Pénal International, à l’exemple ce qui a été fait au Cambodge.