Tribune de Marie Josée UFITAMAHORO, responsable du département Mpore Mémoire et Justice de Jambo Asbl.
Depuis quelques jours, les réseaux sociaux rwandais s’enflamment autour de l’histoire de Diane ISHIMWE, une jeune orpheline, née dans les camps de réfugiés en RDC à la recherche de sa famille et dont l’interview a été supprimée quelques heures à peine après sa publication sur YouTube. Dans cette tribune, Mpore Mémoire et justice, revient sur cette affaire, les probables raisons de cette censure, les inquiétudes exprimées concernant le sort de cette jeune femme et exhorte les autorités rwandaises de laisser à cette jeune femme et aux autres enfants qui sont dans la même situation l’occasion et l’espace pour parler de leurs expériences et de les aider à trouver des informations sur leurs familles.
Diane est une jeune femme de 25 ans qui a récemment approché MURUNGI Sabin, journaliste d’Isimbi TV, l’une des chaines YouTube les plus populaires au Rwanda, lui confiant l’histoire de sa séparation avec son père, RUKWAYA Pierre Célestin lors des retours massifs des réfugiés rwandais en 1996, avec l’espoir que quelqu’un puisse l’aider à connaitre le sort de son père ou la mettre en contact avec sa famille paternelle. Elle a déclaré au journal que depuis son arrivée au Rwanda, elle n’a connu que sa famille maternelle et n’avait jamais su où se trouvait son père ni eu de contact avec la famille de son père. Elle parle non seulement de son père mais aussi de sa tante paternelle MUKADISI qui venait leur rendre visite venant d’un autre camp de réfugiés proche. Elle demande à toute personne qui connaîtrait cette famille ou à toute personne ayant des informations sur son père de l’appeler et de le lui faire savoir.
Dans son récit, Diane a déclaré au journaliste qu’elle était née au Congo dans le camp de Chimanga, où ses parents se sont rencontrés.
Elle a quitté ce camp vers la fin de l’année 1996 alors qu’elle n’avait pas encore 2 ans, lors de la destruction des camps de réfugiés rwandais au Kivu par les soldats de l’APR/AFDL. Selon le rapport mapping des Nations Unies sur les violations des droits Humains au Congo publié en 2010, au cours de ces opérations de destruction et spécifiquement dans le camp de réfugiés de Chimanga, les éléments de l’AFDL/APR ont tué entre 500 et 800 refugiés dans ce camp situé à 71 kilomètres à l’ouest de Bukavu. (Page 90) Certains survivant de Chimanga auraient, toujours selon le rapport, été massacrés le 30 Mars 1997 en présence de plusieurs hauts responsables de l’APR, entre Katshungu et Shabunda dans les localités d’Ivela, Balika, Lulingu, Keisha et au niveau du pont Ulindi. (Page 94)
Dans ses propres mots, Diane a déclaré : « Mon père et ma mère se sont perdus de vue lors des rapatriements des réfugiés au Rwanda.… Donc, l’homme qui a emmené mon père était son camarade de classe à l’université de Butare (UNR), parait-il. Lorsqu’il a vu mon père il l’a pris de force et lui a dit : ‘ Toi Célestin, ça fait longtemps que je te cherchais. Maintenant j’ai la chance de te revoir, cette fois-ci tu ne vas pas m’échapper.’ C’est dans ces conditions qu’il l’a pris avec lui et l’a emmené comme ça.”
Diane a ajouté le cœur brisé : « Une fois qu’ils sont partis, après qu’il a été séparé de Maman, il parait que le groupe de réfugiés qui se déplaçait un peu devant nous a été interpellé, jeté dans un fossé et brulé vif avec de l’essence et des matelas. Ils sont tous morts personne n’a pu s’en échapper. On ne sait pas si mon père était parmi eux, personne ne l’a vu depuis et nous n’avons eu aucune information… Mais l’homme qui l’a pris avec lui paraissait être en colère contre lui ; et c’était de mauvais augure. Il n’est plus jamais revenu”
Diane et sa mère ont réussi à survivre à ce massacre et ont pu rentrer au Rwanda mais ne savent pas où se trouve le père de Diane depuis. Après leur retour au Rwanda, elles se sont installées dans la famille de sa mère dans la province du Sud, district de Huye, secteur de Kigoma. Quelque temps après, alors qu’elle n’avait que deux ans, sa mère est décédée, la laissant aux soins de sa grand-mère. Plus tard, après le décès de ses grands-parents, Diane est allée vivre à Kigali. Aujourd’hui l’orpheline cherche à trouver un moyen d’obtenir des informations sur la famille de son père, étant donné que son père et sa mère se sont mariés dans le camp au Congo, la famille de sa mère ne connaissait pas exactement la famille de son père. D’après le récit de sa mère, le père viendrait de la province du Nord, anciennement appelée préfecture de Byumba, dans la commune de Murambi.
Dans le but d’en apprendre plus sur sa famille, elle a raconté son histoire tragique sur la chaîne YouTube Isimbi TV, et a demandé à tous les téléspectateurs qui auraient des informations sur la famille de les lui partager.
Dans cette interview, Diane a déclaré : « … bien sûr, la vie n’est pas facile quand un enfant n’est pas avec ses parents, mais mes grands-parents se sont bien occupés de moi, maintenant ils ne sont plus là. J’aimerais savoir si mon papa vit toujours ou pas. Tout est possible. Mais même s’il n’est plus là, qui sait, tout le monde ne peut pas avoir disparu, peut-être que certains membres de sa famille sont encore là, ça me rendrait heureuse de les rencontrer. Ma plus grande préoccupation est de ne pas connaitre mes origines familiales », avant d’ajouter : « Mon père, je ne sais pas d’où il vient, je ne connais même pas sa famille. Les trouver rendrait mon cœur heureux. »
L’histoire de la recherche de Diane n’a duré qu’une journée sur YouTube !
Diane a raconté son histoire dans une émission comme tant d’autres de la chaine Isimbi TV. Elle a publié les noms et les photos de son père afin que ceux qui auraient des informations relatives à sa famille puissent l’appeler sur son téléphone au numéro +250785751876. Nous qui avons suivi cette émission, étions étonnés de voir que la vidéo n’est restée qu’une journée sur YouTube, elle a vite été retirée ! Serait-ce parce que la famille de Diane aurait été retrouvée rapidement ? Ou y’a-t-il eu d’autres raisons pour lesquelles elle a été immédiatement retirée de la chaine YouTube ? Une autre chose de spéciale avec cette émission, est que d’habitude, pour les personnes qui racontent leurs histoires, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, Isimbi TV fournit à l’audience un espace pour commenter ou donner leurs points de vue (section commentaires). Pour l’interview de Diane, cette section avait été désactivée!
Nous avons essayé de comprendre pourquoi cette histoire avait été immédiatement supprimée de la chaine YouTube, mais nous avons constaté que cela n’avait pas été fait parce qu’elle ne répondait pas aux critères de YouTube, ou autres médias sociaux, il est dès lors possible que ce soient les autorités rwandaises qui aient demandé que l’histoire soit supprimée du site. Selon plusieurs commentaires et posts sur différents réseaux sociaux, la raison principale du retrait est que dans son histoire, Diane a innocemment parlé de la mort des réfugiés dans le camp de Chimanga, confirmant ainsi plusieurs allégations portées contre l’armée du FPR sur les massacres de réfugiés hutus dans l’Ex-Zaire.
Cette interview anodine d’une orpheline qui cherche innocemment les traces de son père aurait pu ne rester que ce qu’elle était, à savoir, un malheureux fait divers à propos d’une histoire personnelle et familiale. Ceux qui ont décidé de supprimer la voix de cette orpheline, en ont fait indûment et cyniquement, une affaire politique. La voix de cette jeune fille qui devrait plutôt attirer l’empathie de tout être humain doué de cœur s’est heurtée au mur de la haine et de la négation de l’autre, érigé par un régime qui se maintient, entre autres, par la discrimination, le mensonge et la dissimulation de ses forfaits. L’histoire de Diane dérange. Elle ramène, collatéralement, à la mémoire des faits historiques que le régime du FPR a décidé de rayer de l’histoire officielle et de la mémoire collective. Pour ce régime, la vérité sur les crimes systématiques dont ont été victimes les réfugiés hutus au Congo doit être tue et quiconque l’évoque doit être honni, menacé, voire éliminé. L’évocation des crimes du FPR au Congo, pourtant bien documentés et parfaitement établis dans le rapport Mapping de l’ONU, a déjà couté la vie à plusieurs personnes. Elle a valu des menaces de morts à la journaliste Judi Rever ou encore au docteur Mukwege, lauréat du Prix Nobel de la paix en 2018, ainsi qu’à d’autres rares courageux et braves gens, moins mondialement connus, qui osent en parler. Il est ainsi très dangereux au Rwanda de réaliser des interviews qui risquent de faire référence à ces sujets « tabous et proscrits ».
Une obsession bien connue des régimes totalitaires est de modifier ou réarranger le souvenir laissé par les faits historiques et d’imposer l’oubli de certains faits, en fonction des besoins de la propagande. Le régime du FPR met des moyens importants pour réprimer toute voix qui évoque les victimes de ses crimes et également pour intimer aux rescapés d’oublier les leurs et, avec eux, et ce qui s’est passé. Il criminalise, notamment par une interprétation abusive des lois dites « contre le révisionnisme », tous ceux qui seraient tentés de rappeler les faits, qui se sont réellement passés, à partir du moment où ceux-ci sont susceptibles de contredire l’histoire officielle instituée par le régime. Il s’appuie, en effet, sur une stratégie qui a fait ses preuves dans d’autres régimes totalitaires, celle du déni et de l’amnésie collective organisés.
Ici nous rappelons la récente déclaration de l’ancien chef d’état-major du FPR dans « Libération 26 » dont la vidéo a été largement diffusée sur les réseaux sociaux, où le Géneral James Kabarebe affirme qu’aucun réfugié Rwandais n’a été tué par le FPR au Congo preuve en est qu’aucun corps n’aurait été retrouvé.
Nos inquiétudes après la publication de cette histoire
Depuis que la vidéo a été effacée de YouTube, ceux qui ont essayé de contacter Diane n’y sont pas parvenus car son téléphone ne passe étrangement plus. Nous osons espérer que le fait de raconter son histoire publiquement ne lui sera pas source d’isolement social ou toute autre forme d’abus qu’elle pourrait subir. On ne peut toutefois ignorer les informations alarmantes circulant sur les réseaux sociaux selon lesquelles Diane Ishimwe et sa tante seraient portées disparues depuis l’interviews. Nous ne sommes pas encore parvenus à confirmer ou infirmer ces informations, nous espérons de tout cœur que cela n’est pas vrai, et que Diane ISHIMWE et sa famille sont en sécurité. C’est en revanche malheureux de priver une orpheline du droit de chercher sa famille, en rayant son histoire des médias, avec pour seul motif qu’elle est née dans un camp de réfugiés au Congo. Nous ne pouvons-nous empêcher de souligner que le fait que son interview ait été immédiatement retirée est un acte de lâcheté et que les nouvelles de sa possible disparition sont hautement inquiétantes.
Après la suppression de la vidéo du compte YouTube d’Isimbi TV, des internautes qui avaient entre temps pu la télécharger l’ont remis sur d’autres chaines YouTube et d’autres plateformes.
Les enfants comme Diane devraient recevoir un espace pour raconter leur histoire et obtenir de l’aide
Après avoir regardé l’interview de Diane, le département Mpore Mémoire et Justice de Jambo Asbl, en se basant sur l’histoire de notre pays, rappelle qu’il y a un nombre important d’enfants au Rwanda avec des problèmes similaires à ceux de Diane. Outre le fait qu’au moins Diane a pu connaitre un de ses parents, elle partage son histoire avec tant d’autres orphelins dont les parents ou familles sont portés disparus ou sont décédés, ou simplement ne savaient pas par où commencer pour les retrouver. Nous exhortons les autorités rwandaises à donner à ces enfants l’occasion et l’espace pour parler de leurs vécus et les aider à trouver des informations sur leurs familles.
Rayer l’histoire d’un enfant à la recherche de ses parents sur les réseaux sociaux n’est pas la solution qui aidera l’enfant rwandais à se reconstruire et à lutter pour l’unité et la réconciliation que le gouvernement rwandais met en avant dans son message au peuple et à la communauté internationale. Mpore, Mémoire et Justice appelle également toute personne ayant des informations sur la famille de Diane ISHIMWE à l’aider à retrouver sa famille.
« La vie d’orphelins dans laquelle j’ai grandi m’a beaucoup appris parce que j’ai vu que tout est possible. La première chose que j’ai apprise a été d’être patiente et d’accepter son histoire, il faut avoir un but en soi et le suivre dans tout ce que vous faites, vous essayez de faire de votre mieux pour y parvenir », a déclaré Diane Ishimwe, jeune orpheline Rwandaise qui souhaite retrouver sa famille.
Ensemble aidons-la à y parvenir.
Tribune de Marie Josée UFITAMAHORO, responsable du département Mpore Mémoire et Justice de Jambo Asbl.