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Rwanda : Naissance d’une nouvelle association de rescapés du Génocide des Tutsi

Rwanda : Naissance d’une nouvelle association de rescapés du Génocide des Tutsi

Ce dimanche 1er août 2021, plusieurs membres de la diaspora rwandaise vivant aux quatre coins du monde, ont annoncé la création d’une nouvelle association de rescapés du Génocide, baptisée IGICUMBI – La voix des rescapés du Génocide contre les Tutsi. L’annonce, principalement effectuée en Kinyarwanda, a eu lieu en direct sur une chaîne YouTube nouvellement créée par l’association et a été suivie d’un communiqué de presse rédigé en anglais et en français.

L’association IGICUMBI s’est présentée comme « une association internationale qui a pour mission d’être la voix des rescapés du génocide contre les Tutsis, notamment là où les autres associations sensées les représenter choisissent de garder le silence ou de se comporter en supplétifs du pouvoir même quand ça va à l’encontre des intérêts des rescapés. »

Contrairement aux associations de rescapés déjà existantes, IGICUMBI ambitionne donc de défendre les intérêts des rescapés du génocide même lorsque ceux-ci sont ignorés ou malmenés par le pouvoir du Front Patriotique Rwandais (FPR), ainsi que l’a abondamment expliqué son Président, le Pr. Philippe BASABOSE, membre de la diaspora rwandaise du Canada.

IGICUMBI reproche en outre aux associations de rescapés existantes, dont IBUKA en premier lieu, d’être devenues des organes de propagande qui ne servent plus qu’à défendre les intérêts du FPR plutôt que ceux des rescapés, et qui ne se mobilisent que lorsque le régime a besoin de faire diversion face aux graves violations des droits humains ou de mauvaise gouvernance dont il se rend régulièrement coupable. La méthode de diversion ou d’intimidation la plus utilisée étant d’accuser de négationnisme toute personne, rwandaise ou non, qui ose émettre la moindre critique sur la gouvernance du FPR.

D’après IGICUMBI, IBUKA et consorts ont oublié leur mission initiale, qui consistait à être la voix des rescapés et il était donc devenu impératif qu’une nouvelle association, apolitique, soit lancée afin de pallier à cet « oubli ».

Une association qui ne laisse personne indifférent

Du côté de l’opposition politique au FPR, les réactions ont été généralement prudentes. Certains, les plus libéraux n’y ont trouvé rien à redire, estimant que c’est le droit des fondateurs de se regrouper afin de défendre ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts légitimes.

D’autres en revanche, ont regretté la création d’une association qui ne regroupent que les seuls rescapés du génocide contre les Tutsi alors que beaucoup dans la communauté voudraient que tous les rwandais, toutes ethnie confondues, victimes des massacres des années 1990 soient pareillement reconnues.

C’est la position par exemple de IBUKABOSE RENGERABOSE[1], qui plaide depuis des années pour une reconnaissance de toutes les victimes ainsi que des droits identiques pour tous les rescapés, si l’on souhaite que les Rwandais puissent se réconcilier profondément et vivre ensemble malgré un passé complexe et douloureux.

Du côté du pouvoir, la venue d’IGICUMBI sonne comme une déclaration de guerre.
Jusqu’a présent, le FPR avait réussi à s’imposer comme l’unique sauveur et protecteur des rescapés Tutsi, en échange de quoi ces derniers lui doivent allégeance et reconnaissance éternelle, au point de devoir faire passer les intérêts du parti, avant les leurs.

C’est donc sans surprise que la réaction des sympathisants du FPR a été rapide et violente ; IBUKA a réuni les associations de rescapés qui marchent au pas du FPR et pendant plusieurs jours, elles ont lancé une mobilisation sans précédents pour décrédibiliser, dénigrer, et condamner l’arrivée de cette nouvelle association[2].

Tant sur les réseaux sociaux que dans la presse traditionnelle, des talk-show ont été organisés pour expliquer aux rescapés Tutsi que cette nouvelle association n’est rien d’autre qu’un groupuscule formés de personnes  « ingrates », « ennemies du FPR et du Rwanda », et dont ils devraient se distancier.

Des attaques ad hominem contre les Fondateurs réels ou supposés n’ont pas manqué, à l’instar de celles de Marie-Immaculé INGABIRE, une des thuriféraires les plus dévouées du régime et accessoirement directrice de la branche rwandaise de l’ONG américaine Transparency International lors d’un talk-show organisé par la chaîne YouTube « ONENATION TV »[3].

Cette nervosité, ainsi que les ces réactions démesurées d’IBUKA et consort, et même de certains officiels du Gouvernement rwandais, ne font que confirmer l’idée selon laquelle il ne s’agit en définitif que d’un conflit de loyauté entre le FPR qui exige un soutien inconditionnel de la part des rescapés du génocide et certains d’entre eux qui souhaitent s’émanciper de cette tutelle.

Iront-ils jusqu’au bout ?

Il est certain que les positions et les actions d’IGICUMBI vont être suivies et analysées à la loupe par toutes les parties.

La venue d’IGICUMBI est sans doute salutaire pour les rescapés Tutsi qui ne se reconnaissent plus dans la politique d’IBUKA inféodée au FPR. Avec elle, ces rescapés Tutsi se voient  offrir une option alternative à celle qui a jusque là consisté en un ralliement inconditionnel au FPR ou l’exclusion de la communauté, et c’est probablement cette liberté de choisir que le parti au pouvoir voit d’un mauvais œil.

Reste à voir jusqu’où les fondateurs d’IGICUMBI pourront aller dans leur désir d’émancipation, car face à un FPR qui ne tolère aucune nuance, une telle logique toute aussi exclusive risque de vite se retrouver dans une impasse. La seule voie qui s’offre à ceux qui souhaitent apaiser les cœurs et les esprits Rwandais est d’amener tous les rescapés, Tutsis comme Hutus, à dépasser leurs identités ethniques ou régionales pour n’être plus que des citoyens de la république rwandaise.

Dans sa chanson « igisobanuro cy’urupfu », Kizito Mihigo invitait ses compatriotes à vivre et agir en humains avant d’être des Rwandais, on ne peut que souhaiter que son message soit entendu, et que les Rwandais apprennent à se voir avant tout comme des citoyens d’une même nation partageant une communauté de destin avant d’être des Tutsis, des Hutus, etc.

Luc Rugamba

Jambonews.net


[1] http://ibukabose-rengerabose.org/

[2] Voir la déclaration de l’organisation parapluie des associations de survivants du génocide du 4 août 2021

[3] https://www.youtube.com/watch?v=O6tDZHI8sco

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