Le journaliste français Patrick de Saint-Exupéry a réalisé un périple à travers l’immense forêt congolaise, de Kigali au Rwanda à Kinshasa en République démocratique du Congo, pour selon lui « vérifier la véracité des accusations de deuxième génocide ». Très proche du régime dictatorial de Kigali, l’homme met en doute des nombreux rapports et témoignages évoquant l’extermination, systématique et dans l’indifférence générale, de milliers d’hommes et femmes entre 1996 et 1997 dans les forêts congolaises. Dans son article « Patrick de Saint-Exupéry : un faussaire au Congo», MSF dénonce les manipulations figurant dans le livre « la Traversée » et visant à effacer « les traces de la mise à mort de plusieurs milliers d’êtres humains ». L’association regrette par ailleurs « la faveur avec laquelle a été accueilli ce travail. »
Dans son livre « La Traversée – Une odyssée au cœur de l’Afrique » (éd. Les Arènes), Patrick de Saint-Exupéry retourne sur les pas de ces anciens réfugiés Hutu pour vérifier les accusations de « deuxième génocide ». Le journaliste a débuté son voyage au Rwanda, dont le régime est accusé d’avoir perpétré ce même génocide dont il devait vérifier la véracité. Plus encore, il a rencontré les dignitaires du régime rwandais, notamment le général James Kabarebe, actuellement Conseiller sécuritaire et militaire du dictateur rwandais Paul Kagame, et qui était aux commandes de la coalition AFDL-APR accusée d’avoir perpétré ces crimes.
Tout à sa quête pour démontrer qu’un second génocide n’a jamais eu lieu, Patrick de Saint-Exupéry en vient à nier ce qui a été documenté très précisément par des sources plus officielles : l’accumulation de récits, de témoignages et de rapports, avec des éléments de preuve solides sur les violences dont les réfugiés rwandais hutu ont fait l’objet. Le journaliste français, dont la grande affinité avec le régime de Kigali n’est pas un secret, ne s’est pas donné la peine d’interroger des rescapés des massacres en question, mais s’est contenté d’interroger quelques villageois congolais.
Dans son livre, Patrick de Saint-Exupéry ignore et tente de discréditer les rapports et témoignages pointant le rôle de l’Armée patriotique rwandaise et de ses alliés dans les massacres des réfugiés rwandais en RDC, au profit d’un petit nombre de témoignages récoltés ici ou là selon une méthode qui ne pourrait être qualifiée de scientifique. Même s’il s’est rendu sur le terrain pour ‘enquêter’, l’essentiel du travail de Saint-Exupéry se résume à une accumulation de détournements de faits et du contenu des documents. Il dit ainsi ne pas contester le fait « qu’il y ait eu des morts et des massacres en RDC dans les camps de réfugiés Hutu. Mais un massacre plus un massacre plus des tas de massacres ne font pas un génocide », sans jamais évoquer le caractère des dits massacres, ni leur ampleur.
Parmi les enquêtes sur les massacres contre les réfugiés rwandais, le Mapping Report élaboré par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme est le plus important et le plus explicité. Il s’agit d’un document dense et détaillé de 1200 pages, basé sur des recherches extensives et rigoureuses effectuées par une équipe d’une vingtaine de professionnels congolais et internationaux en matière de droits humains sur une période de 12 mois. Le rapport examine 617 des incidents les plus graves survenus dans tout le Congo sur une période de 10 ans, et fournit des détails sur des cas graves de massacres, de violences sexuelles et d’attaques contre des enfants, ainsi que d’autres exactions commises par une série d’acteurs, notamment l’armée rwandaise.
Le Mapping Report conclut que la majorité des crimes documentés peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. En référence à une série particulière d’événements qui se sont déroulés entre 1996 et 1997, le rapport soulève la question de la possible qualification en crimes de génocide pour certains actes commis par l’armée rwandaise et son allié congolais, le groupe rebelle de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), contre des réfugiés hutu rwandais et des citoyens hutu congolais. Le rapport précise qu’il appartiendrait à un tribunal compétent de trancher sur une telle question.
Mais Patrick de Saint-Exupéry, au bout de quelques mois d’une « enquête » solitaire, met en cause le Mapping Report de l’ONU, qui selon lui « ne vaut rien juridiquement », estimant que « des gens mal intentionnés utilisent ce document en jouant sur les mots pour en faire un deuxième génocide ».
Pourtant, c’est bien le livre de Patrick de Saint-Exupéry que MSF qualifie notamment de « présentation frauduleuse » de ses archives, une présentation hors contexte ou carrément détournée du travail de MSF et qui défie toute règle de recherche scientifique.
Avec « La Traversée », Patrick De Saint-Exupéry se targue d’avoir discrédité le travail de Médecins Sans Frontières, Human Rights Watch, Amnesty International, et l’ONU notamment, qui entre eux comptabilisent des milliers d’heures de travail de recherche scientifique et qui ont produit des milliers de pages de rapports et d’archives qui documentent les massacres contre les réfugiés hutu au Congo. Ces archives représentent le travail de centaines sinon de milliers de chercheurs, d’enquêteurs, de témoins qui étaient sur place. Et ces massacres pourraient être qualifiés de crimes de génocide selon l’ONU.
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Le Mapping Report ne « vaut rien juridiquement » parce qu’il appartiendrait à un tribunal compétent de trancher sur la qualification des crimes. C’est précisément ce que demandent de nombreuses parties, dont le Docteur Mukwege, Prix Nobel de la paix, tandis que le régime de Kigali impliqué par le rapport s’oppose farouchement et avec toutes ses ressources à l’établissement d’un tel tribunal, ou même à toute enquête par un tribunal indépendant sur les crimes commis au Congo.
Jean Mitari
Jambonews.net